Le Dialogue (Hurtaud)/84

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 288-290).


CHAPITRE LIV

(84)

Comment l’âme, parvenue à l’état d’union, éprouve un désir infini de laisser sa dépouille terrestre, pour s’unir à Dieu.

Quand je me retire de la manière que j’ai dite, et que l’âme reprend conscience de son corps, cette âme, au sortir de l’union que j’avais faite avec elle et qu’elle avait faite avec moi, reporte vers moi le sentiment qu’elle éprouve en se retrouvant en son corps. En se voyant privée de cette union qu’elle avait avec Moi et séparée de la société des immortels qui me rendent gloire, pour se retrouver au milieu des mortels qui m’outragent si misérablement, elle ne peut supporter de me voir offenser par mes créatures. C’est en cela que consiste la croix du désir qu’elle endure. Cette souffrance, jointe au désir de me voir, lui rend la vie insupportable. Cependant elle ne se plaint pas, parce que sa volonté n’est plus sienne elle est devenue une même chose avec moi par l’amour, et elle ne peut vouloir me désirer rien d’autre que ce que je veux. Tout en désirant venir à Moi, elle est donc contente de rester et de demeurer en sa souffrance, si c’est ma volonté, pour procurer à mon nom plus d’honneur et de gloire et mieux coopérer au salut des âmes. En aucun point, elle n’est en désaccord avec ma volonté ; mais emportée par le désir qui l’oppresse, elle court, revêtue du Christ crucifié, passant par le pont de sa doctrine, se glorifiant des opprobres et des souffrances. Elle se délecte dans les peines, et la mesure de ses peines est la mesure de sa joie. Plus elle est éprouvée par les tribulations, plus elle y trouve d’apaisement à son désir de mourir ; car souvent, le désir qu’elle a de souffrir adoucit la peine qu’elle ressent d’être enchaînée à son corps.

Dès lors ce n’est plus seulement avec patience que mes serviteurs accueillent la souffrance, comme dans le troisième état ; ils se font gloire d’endurer pour mon nom de nombreuses tribulations. Souffrir, pour eux c’est jouir ; leur souffrance est de ne pas souffrir. Ils n’ont qu’une crainte, c’est que je ne veuille récompenser en cette vie leurs bonnes actions, et que je n’aie pas pour agréable, le sacrifice de leurs désirs. Dès qu’ils sont dans la peine, dès que je leur ménage des tribulations, leur âme retrouve son allégresse, en se voyant ainsi revêtue des souffrances et des opprobres du Christ crucifié. S’il leur était possible de pratiquer la vertu sans peine, ils ne le voudraient pas. C’est sur la croix, avec le Christ, qu’ils veulent trouver leur joie ; c’est par la souffrance qu’ils veulent acquérir la vertu et arriver à la vie éternelle, parce qu’ils ont été plongés et embrasés dans le Sang, où ils ont trouvé le feu de ma Charité ; car cette Charité est un feu, un feu qui procède de Moi, pour ravir leur esprit et leur cœur, en consumant le sacrifice de leur désir.

Le regard de leur intelligence se porte alors vers moi, pour contempler ma Divinité, emportant à sa suite la volonté qui s’unit à moi pour s’y nourrir. Cette vue est une grâce infuse que j’accorde à l’âme qui m’aime et me sert en toute Vérité.