Le Dialogue (Hurtaud)/86

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 297-300).


CHAPITRE LVI

(86)

Récapitulation de quelques vérités. Et comment Dieu invite cette âme à prier pour toute créature et pour la sainte Église.

Tu as vu maintenant, par l’œil de l’intelligence, tu as entendu par l’oreille du cœur, en Moi Vérité éternelle, de quel moyen tu peux profiter toi-même, et faire profiter le prochain de la doctrine, et parvenir à la connaissance de ma Vérité, comme je t’avais dit dès le commencement.

C’est par la connaissance de toi-même que tu arrives à la connaissance de la Vérité, non, il est vrai, par la connaissance isolée de toi-même, mais unie à la connaissance de moi-même en toi. Tu as ainsi trouvé l’humilité, la haine et le mépris de toi, et tu as découvert le feu de ma Charité, par la connaissance de moi-même en toi. Par là, tu en es venue à l’amour et dilection du prochain, en le servant par la doctrine et par l’exemple d’une vie honnête et sainte.

Je t’ai aussi montré le Pont : je t’ai expliqué comment il est établi, les trois degrés qu’il faut franchir, représentant en général les trois puissances de l’âme, et comment aucune ne peut avoir en soi la vie de la grâce, si l’âme n’a monté les trois degrés, c’est-à-dire si les trois puissances ne sont pas assemblées en mon nom.

Je t’ai ensuite donné une explication plus particulière de ces trois degrés, par les trois états de l’âme, figurés sur le corps de mon Fils unique. De son corps t’ai-je dit, il a fait comme une échelle, dont je t’ai indiqué les degrés dans ses pieds percés, dans son côté ouvert, et dans sa bouche, où l’âme goûte la paix et le repos, de la manière que je t’ai exposée.

Je t’ai découvert l’imperfection de la crainte servile, puis l’imperfection de l’amour, en ceux qui m’aiment à cause de la douceur qu’ils trouvent en mon amour ; enfin, j’ai expliqué la perfection du troisième état, en ceux qui sont arrivés à la paix de la bouche. Ils n’y sont parvenus qu’après avoir parcouru avec un ardent désir le pont du Christ crucifié, en franchissant les trois degrés généraux, c’est-à-dire après avoir recueilli les trois puissances de l’âme et uni en mon nom toutes leurs opérations, puis les trois degrés particuliers, c’est-à-dire en passant de l’état imparfait à l’état parfait.

Tu les a vus alors courir dans la vérité ; je t’ai fait goûter la perfection de l’âme, respirer l’odeur des vertus, en même temps que je t’ai mise en garde contre les illusions auxquelles l’âme est exposée, avant d’arriver à la perfection, si elle n’emploie pas son temps à se connaître et à me connaître.

Je t’ai exposé aussi la misère de ceux qui vont se noyer dans le fleuve, pour ne pas vouloir passer par le pont et suivre la doctrine de ma Vérité. Je ne l’ai pourtant établi, ce Pont, que pour vous empêcher de périr ; mais eux, comme des fous, ils préfèrent se noyer dans la misère et la fange du monde.

Tout cela je te l’ai expliqué, pour attiser en toi le feu du saint désir, et la compassion et la tristesse de la perte des âmes, afin que la douleur de leur damnation jointe à l’amour, te contraignît à me faire violence à Moi, par tes pleurs, par tes sueurs, par les gémissements de la prière humble et continue, montant vers moi toute enflammée d’un ardent désir pour qu’enfin je fasse miséricorde au monde et au corps mystique de la sainte Église pour lesquels tu me pries tant ! Ce n’est pas pour toi seule que je l’ai dit, mais aussi pour beaucoup d’autres créatures qui sont mes serviteurs et qui l’entendront. Ils sentiront les étreintes de ma Charité, et, tous ensemble, toi et mes autres serviteurs, vous me prierez pour me forcer de faire miséricorde. Je t’ai déjà dit, il doit t’en souvenir que j’accomplirais vos désirs, en accordant une consolation à vos labeurs, en satisfaisant à vos désirs douloureux par la réforme de la sainte Église, à qui je donnerai de bons et saints Pasteurs. Ce n’est pas par la guerre, par le glaive, par la cruauté, que je la réformerai, je te l’ai dit, mais dans la paix et la tranquillité, par les larmes et les sueurs de mes serviteurs.

C’est vous, en effet, que j’ai chargés de travailler au salut de vos âmes et de celles du prochain, dans le corps mystique de la sainte Église, par l’exemple, par la doctrine, par de continuelles prières offertes à Moi, pour lui et pour toute créature, en produisant des actes de vertu à l’égard d’autrui, de la manière que je t’ai expliquée ; car, ai-je dit, toute vertu s’exerce et se développe, tout péché se commet et s’accroît au sujet du prochain. C’est pourquoi je veux que vous vous employiez à son service c’est le véritable moyen de faire fructifier votre vigne.

Sans cesse, faites monter vers moi l’encens de prières parfumées pour le salut des âmes ; car je veux faire miséricorde au monde. Avec ces prières, avec ces sueurs, avec ces larmes, je veux laver le visage de l’Épouse, la sainte Église. Déjà je te l’ai montrée sous la forme d’une femme dont la face est salie et comme lépreuse. Ces souillures, ce sont les péchés des ministres et de tous ceux de la religion chrétienne, qui se nourrissent au sein de cette épouse. De ces péchés je te parlerai en un autre endroit.