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Le Dialogue (Hurtaud)/94

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 331-336).


CHAPITRE VII

(94)

Comment les mondains qui pleurent sont battus par quatre vents différents.

Ces pauvres âmes sont battues de bien des vents. Il y a celui de la prospérité et celui de l’adversité, celui de la crainte et celui de la conscience Cela fait quatre vents. Le souffle de la prospérité développe l’orgueil, par une folle présomption, une grande estime de soi-même, accompagnée du mépris du prochain. Si le mondain détient le pouvoir, il multipliera les injustices. Son cœur, plein de vanité, sera partagé entre les impuretés du corps et de l’esprit et le souci égoïste de sa propre gloire. Et combien d’autres vices encore que la langue ne pourrait raconter.

Le souffle de la prospérité est-il lui-même corrompu ? Non ! C’est la souche principale de l’arbre qui est corrompue, et qui corrompt tout le reste. C’est moi qui vous envoie, c’est moi qui vous dispense toute chose, moi qui suis l’Etre souverainement bon. Il ne peut donc être mauvais, ce souffle de la prospérité. S’il en résulte pour le mondain de la souffrance et des larmes, c’est dans son cœur qu’il en faut chercher la cause. Ce cœur n’est pas rassasié, parce qu’il désire ce qu’il ne peut avoir. Ne pouvant l’obtenir, il en est attristé. Sa tristesse lui tire des larmes, parce que, ainsi que je te l’ai dit, les yeux veulent satisfaire aux sentiments du cœur.

Puis vient à souffler le vent de la crainte servile. Sous son inspiration, l’homme a peur de son ombre, tant il craint de perdre ce qu’il aime. Il a peur de perdre sa propre vie, il a peur de perdre ses enfants ou quelqu’un des siens, il a peur de perdre sa situation, il a peur de perdre les honneurs et les richesses, ou celles des siens, par amour-propre, par ambition ou par avarice. Cette crainte ne lui laisse aucun repos, elle trouble toutes ses joies. Tous ces biens il ne les possède pas, dans l’ordre de la soumission à ma volonté de là cette crainte servile, de là cette épouvante. Il s’est fait esclave misérable du péché. On peut bien estimer qu’il est devenu semblable à la chose dont il s’est fait esclave par le péché, or le péché n’est pas quelque chose. Esclave donc du néant, il est réduit à néant.

Le vent de la crainte n’a pas fini de le secouer, que voici venir le vent de la tribulation et de l’adversité qu’il redoutait et qui le dépouille en tout ou en partie de ce qu’il possédait entièrement, quand il perd la vie, car la mort le sépare de tout, en partie, quand il perd tantôt une chose, tantôt une autre, ou la santé, ou ses enfants, ou ses richesses, ou sa situation, ou ses honneurs, suivant que, Moi le bon médecin, je l’estime nécessaire a son salut. Car c’est pour son salut que je lui envoie ces épreuves.


Mais sa fragilité est toute corrompue, elle n’a plus aucune connaissance d’elle-même et de Moi, et ne peut goûter ce fruit de la patience. Elle ne produit donc que l’impatience, les scandales, les murmures, l’aversion pour moi et pour mes créatures. Ce qui est un don de Moi pour la vie, il le reçoit pour la mort. La douleur de la peine est égale à l’amour qu’il avait pour le bien qui lui est enlevé, et il en est réduit à ces larmes de colère et de révolte, qui dessèchent, l’âme et la tuent en lui ôtant la vie de la grâce, qui dessèchent aussi et consument le corps, qui aveuglent spirituellement et corporellement. Le voilà vide de toute joie, parce qu’il n’a plus d’espérance. Sa joie, son amour, son espérance, sa foi, c’était ce bien qu’il possédait. Et il l’a perdu ! Et il le pleure !

Certes ce ne sont pas les larmes seules qui produisent ces tristes effets. C’est aussi et avant tout l’amour désordonné, la douleur du cœur d’où sont venues les larmes. Les pleurs qui tombent des yeux ne sauraient par eux-mêmes donner la mort et mériter un châtiment, s’ils ne venaient pas de cette source mauvaise, qui est l’amour-propre, l’amour désordonné du cœur. Si le cœur était bien réglé par la grâce, les larmes elles-mêmes seraient de bonnes larmes qui me contraindraient, moi, le Dieu éternel, à faire miséricorde. Pourquoi donc ai-je dit que ces larmes des mondains sont des larmes de mort ? Parce que les larmes sont le signe extérieur de la mort ou de la vie qui est dans le cœur.

Mais voici venir le vent de la conscience, nouveau messager de ma divine Bonté ! Par la prospérité, j’ai voulu attirer le pécheur à moi, en essayant de l’amour. Je l’ai sollicité par la crainte, afin de l’amener, par le trouble et l’inquiétude de son cœur, à quitter l’amour déréglé pour aimer dans la vertu. Je l’ai éprouvé par la tribulation, pour lui faire connaître la fragilité du monde et le peu de fond qu’il faut faire sur lui. Enfin, à quelques autres à qui ce remède est nécessaire, j’envoie le remords de la conscience, pour qu’enfin ils desserrent les lèvres et vomissent la corruption du péché par la sainte confession.

Mais eux, comme s’ils étaient obstinés dans le mal et véritablement réprouvés par moi a cause de leur iniquité, ils refusent absolument de recevoir ma grâce. Pour échapper au remords de la conscience, ils essayent de l’étouffer en des plaisirs misérables, au mépris de moi-même et de leur prochain.

La raison en est, que la racine de l’arbre est corrompue, comme aussi l’arbre tout entier, et tout lui est cause de mort. Voilà ces malheureux dans les tristesses, et les gémissements, et les larmes amères, et s’ils ne se corrigent pas, pendant qu’ils ont encore le temps d’user de leur libre arbitre, ils ne seront délivrés de Ces larmes passagères, que pour être voilés à des pleurs sans fin. Ce qui n’était que fini devient donc infini, parce que ces pleurs furent versés avec une haine sans fin de la vertu, je veux dire avec un désir de l’âme, fondé sur une haine infinie. Il est vrai que, s’ils l’avaient voulu, ils se seraient épargné ces larmes éternelles, avec le secours de ma grâce, quand ils étaient encore libres, nonobstant cette haine infinie.

Infinie, en effet, elle peut être, par la volonté et par l’être de l’âme, mais ici-bas, la haine ou l’amour qui sont dans l’âme, de soi, ne durent pas nécessairement toujours. Car, tant qu’on est en cette vie, on peut changer de haine ou d’amour, comme l’on veut. Mais si l’on meurt dans l’amour de la vertu, l’on reçoit un bonheur qui ne finira pas ; et si l’on meurt dans la haine, l’on demeure dans cette haine sans fin, en recevant l’éternelle damnation, comme je te l’ai exposé, en parlant de ceux qui se noient dans le fleuve. Désormais ils ne peuvent désirer le bien, privés qu’ils sont de ma miséricorde et de la charité fraternelle, que goûtent mes saints les uns avec les autres, comme aussi de la charité qui est en vous, pèlerins et voyageurs en cette vie, où je vous ai placés pour arriver à votre fin, c’est-à-dire à moi qui suis la Vie éternelle. Par conséquent, ni prières, ni aumônes, ni bonne action qui puissent leur être de quelque secours. Ils sont des membres retranchés du corps de ma divine charité, parce que, durant leur vie, ils n’ont pas voulu s’unir à l’obéissance de mes saints commandements dans le corps mystique de la sainte Église, sous cette douce autorité, qui vous distribue le Sang de l’Agneau immaculé, mon Fils unique. Ils reçoivent le fruit de l’éternelle damnation, avec les pleurs et les grincements de dents. Ce sont des martyrs du démon, qui leur donne la récompense qu’il a reçue lui-même.


Tu le vois donc, les larmes des mondains leur procurent une amère souffrance dans ce temps qui passe, et à la mort, pour toujours, la compagnie des démons.