Le Koran (Traduction de Kazimirski)/31

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Traduction par Traduction d’Albin de Kazimirski Biberstein.
Librairie Charpentier (p. 331-334).

CHAPITRE XXXI.

LOKMAN[1].


Donné à la Mecque. — 34 versets.


Au nom du Dieu clément et miséricordieux


  1. Elif. Lam. Min.[2]. Voici les versets du Livre sage.
  2. Il sert de direction et est une grâce accordée par Dieu à ceux qui font le bien,
  3. Qui s’acquittent de la prière, qui font l’aumône et croient fermement à la vie future.
  4. Ils dont dirigés par leur Seigneur, et ils sont les bienheureux,
  5. Tel parmi les hommes de ce pays achètera des contes futiles pour faire dévier les autres du sentier de Dieu ; il n’a point de science, il cherche dans ces contes de quoi s’égayer. A de tels hommes est préparée la peine ignominieuse[3].
  6. Si on lui récite nos enseignements (les versets du Koran), il se détourne avec dédain, comme s’il ne les entendait pas, comme s’il était sourd[4]. Eh bien ! à celui-là annonce le châtiment douloureux.
  7. Ceux qui auront cru et pratiqué les bonnes œuvres habiteront es jardins de délices.
  8. Ils y demeureront éternellement » en vertu de la promesse de Dieu, de la promesse vraie ; il est le Puissant, le Sage.
  9. Il a créé les cieux et la terre sans colonnes visibles r il a Jeté sur la terre des montagnes comme des pilotis, pour qu’elle ne s’ébranlât pas quand vous y êtes ; il y a répandu des animaux de toute espèce. Nous faisons descendre du ciel l’eau, et par elle nous produirons chaque couple précieux[5].
  10. C’est là la création de Dieu ; maintenant faites-moi voir ce qu’ont fait d’autres que Dieu. Oui, les méchants sont dans un égarement évident.
  11. Nous donnâmes à LOKMAN[6] la sagesse, et nous lui dîmes : Sois reconnaissant envers Dieu, car celui qui est reconnaissant le sera à son propre avantage. Celui qui est ingrat, Dieu peut s’en passer. Dieu est riche et plein de gloire.
  12. Lokman dit un jour à son fils[7] par voie d’admonition : O mon enfant ! n’associe point à Dieu d’autres divinités, car l’idolâtrie est une grande iniquité.
  13. Nous[8] avons recommandé à l’homme ses père et mère (sa mère le porte dans son sein et endure peine sur peine, il n’est sevré qu’au bout de deux ans ). Sois reconnaissant envers moi et envers tes parents. Tout aboutit à moi.
  14. S’ils t’importunent pour que tu m’associes ce que tu ne sais pas[9], ne leur obéis point, comporte-toi envers eux honnêtement dans ce monde, et suis le sentier de celui qui revient à moi[10]. Vous reviendrez tous à moi, et je vous rappellerai ce que vous avez fait.
  15. O mon enfant  ! ce qui n’aurait que le poids d’un grain de moutarde, fût-il caché dans un rocher, au ciel ou dans la terre, Dieu le produira au grand jour, car il est pénétrant et instruit de tout.
  16. O mon enfant ! Observe la prière, ordonne le bien et défends le mal, et supporte avec patience les maux qui peuvent t’atteindre. C’est la résolution indispensable en toutes choses.
  17. Ne fais point de contorsions avec ta bouche par dédain pour les hommes ; que ta démarche ne soit point orgueilleuse, car Dieu n’aime point l’homme présomptueux, glorieux.
  18. Cherche à modérer ton pas[11] et à baisser ta voix, car la plus désagréable des voix est bien la voix de l’âne.
  19. Ne voyez-vous pas que Dieu vous a soumis tout ce qui est dans les deux et sur la terre ? Il a versé sur vous ses bienfaits visibles et cachés. il est des hommes qui disputent de Dieu, sans science, sans guide, sans livre qui éclaire.
  20. Lorsqu’on leur dit : Suivez ce que Dieu vous a envoyé d’en haut, ils disent : Nous suivrons plutôt ce que nous avons trouvé chez nos pères. Et si Satan les invite au supplice du brasier ardent ?
  21. Celui qui s’abandonne entièrement à Dieu est juste, il a saisi une anse solide[12]. Le terme de toutes choses est en Dieu,
  22. Que l’incrédulité de l’incrédule ne t’afflige pas ; ils reviendront tous à nous, nous leur redirons leurs œuvres. Dieu connaî(t) ce que les cœurs recèlent.
  23. Nous les ferons jouir pendant quelque temps, puis nous les contraindrons à subir un rude supplice.
  24. Si tu leur demandes qui a créé les cieux, ils répondent : C’est Dieu. Dis-leur : Gloire à Dieu ! mais la plupart d’entre eux ne le savent pas.
  25. À lui appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. Il est riche et plein de gloire.
  26. Quand même tout ce qu’il y a d’arbres sur la terre deviendrait autant de plumes, quand même Dieu étendrait la mer en sept mers d’encre, les paroles de Dieu ne seraient point épuisées ; il est puissant et sage.
  27. Vous créer tous et vous ressusciter un jour tous, c’est pour lui comme de créer et de ressusciter une seule personne, car Dieu entend et voit tout.
  28. Ne vois-tu pas que Dieu fait entrer le jour dans la nuit et la nuit dans le jour ? Il vous a assujetti le soleil et la lune ; l’un et l’autre poursuivent leur cours jusqu’au terme marqué. Dieu est instruit de tout ce que vous faites.
  29. C’est parce que Dieu est la vérité même, et que les divinités que vous invoquez à côté de lui ne sont que vanité. Certes, Dieu est le Sublime, le Grand.
  30. Ne vois-tu pas le vaisseau voguer sur mer chargé de dons de Dieu pour vous faire voir ses enseignements ? Il y a dans ceci des signes pour tout homme patient, reconnaissant.
  31. Lorsque les flots enveloppent le vaisseau comme des ténèbres, ils invoquent Dieu avec une foi sincère ; mais, aussitôt qu’il les a sauvés et rendus à la terre ferme, tel d’entre eux flotte dans le doute. Mais qui niera nos miracles, si ce n’est le perfide, l’ingrat ?
  32. O hommes ! craignez votre Seigneur, et redoutez le jour où, pour si peu que ce soit, le père ne satisfera pas pour son fils, ni l’enfant pour son père.
  33. Les promesses de Dieu sont véritables. Que la vie de ce monde ne vous éblouisse pas ; que l’illusion ne vous aveugle pas sur Dieu.
  34. La connaissance de l’heure est auprès de Dieu, Il fait descendre du ciel l’averse. Il sait ce que portent les entrailles des mères. Aucune âme ne sait ce qu’elle gagnera demain[13], aucune âme ne sait dans quelle contrée elle mourra. Dieu est savant et instruit.
  1. Voyez sur Lokman la note du verset 11.
  2. II, 1, note
  3. Ce verset ainsi que le suivant étaient dirigés contre un certain Nodhar ben el-Hareth, qui avait rapporté de son voyage en Perse les récits des exploits de Roustem et d’Isfendiar, deux des plus fameux héros de ce pays, et en lisait des passages aux Koreïchites, faisant observer que ces histoires étaient bien supérieures à celles du Koran.
  4. Mot à mot ; comme s’il y avait de la pesanteur dans ses oreilles,
  5. C’est-à-dire, le mâle et la femelle dans tous les êtres de la création,
  6. Lokman, dont il est parlé ici, est un personnage renommé par sa sagesse parmi les Arabes ; c’est pourquoi on joint toujours à son nom l’épithète de al-hakim (le sage). Parmi les faits relatifs à l’histoire des Arabes avant Mahomet, on trouve que les Adites, peuple d’Arabie, souffrant de la sécheresse, avaient envoyé un message au temple de la Mecque pour implorer la pluie. Parmi ces délégués était un certain Lokman ; mais les commentateurs ont soin de faire observer que ce Lokman ne doit pas être confondu avec le personnage nommé dans le Koran. Celui-ci, disent-ils (et cela, comme il arrive toujours, sans citer aucune autorité à l’appui), était fils de Baoûra, fils de Job ; il vécut mille ans et atteignit ainsi les temps de David, dont il apprit la sagesse. Avant ce temps-là, il donnait des consultations en matière de droit. Dieu, ajoutent d’autres, lui avait donné à choisir entre le don de la prophétie et celui de la sagesse, et c’est cette dernière qu’il aurait choisie. Une autre tradition, conservée chez les poëtes, nous apprend que Dieu lui avait accordé un âge égal à celui de la vie successive de sept faucons, ce qui le porterait à cinq cent soixante ans. Ceux qui le disent contemporain de David ajoutent que Lokman, voyant David travailler à une cotte de mailles (voy. chap. XXI, 80, et XXXIV, 10), voulut l’interroger sur ses procédés, mais que, fidèle à son esprit de sagesse, il se tut, et, à force d’attention, reconnut que Dieu rendait le fer ductile comme de la cire entre les mains de David. Tous ces détails, desquels il serait oiseux de vouloir rechercher l’origine et l’authenticité, font de Lokman un modèle de discrétion, de politesse, de réserve, et le passage du Koran qui nous occupe leur sert d’appui. On sait qu’il existe en arabe un recueil de fables qui porte le nom de Lokman le Sage. L’analogie que l’on remarque entre les sujets de ces fables et ceux des apologues attribués à Ésope ferait conclure à l’identité des deux personnages. A l’appui de cette hypothèse viendrait la caractéristique de Lokman, rapportée par les écrivains orientaux. Lokman était, disent-ils, un noir du pays des noirs d’Égypte, et esclave ; selon d’autres, il était charpentier, tailleur, cordonnier, pâtre. Un jour que quelqu’un avait l’air de le regarder avec dédain à cause de sa couleur et de ses lèvres épaisses, il aurait répondu que son visage était noir, mais que son cœur était blanc (pur), et que ses grosses lèvres distillaient des paroles subtiles. On raconte aussi qu’il avait apporté des langues quand on lui demandait ce qu’il y avait de meilleur au monde, et puis encore des langues quand on lui demandait ce qu’il y avait de pire. On veut enfin, dans le nom de son fils Anaam, voir Ennus, fils d’Ésope. Nous ne nous arrêterons pas à discuter la valeur de ces faibles indices de l’identité de ces personnages. Nous appellerons plutôt l’attention du lecteur sur la manière dont Mahomet cherche à s’emparer de tous les noms célèbres de son temps, parmi les Arabes, et met dans la bouche de ces personnages la profession de foi unitaire et musulmane.
  7. Dont le nom était Anaam, comme on vient de le dire dans la note ci-dessus.
  8. Dans les versets 13 et 14, c’est Dieu qui parle.
  9. Des divinités dont l’existence ne t’est conformée par aucune autorité.
  10. Revenir à Dieu signifie se repentir.
  11. Il ne faut marcher ni trop vite ni trop lentement.
  12. C’est l’expression proverbiale arabe pour dire : il a trouvé un excellent appui.
  13. C’est-à-dire, nul homme ne sait s’il méritera demain une récompense ou un châtiment.