Le Koran (Traduction de Kazimirski)/30

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Traduction par Traduction d’Albin de Kazimirski Biberstein.
Librairie Charpentier (p. 325-330).

CHAPITRE XXX.

LES GRECS.


Donné à la Mecque. — 60 versets.


Au nom du Dieu clément et miséricordieux


  1. Élif. Lam. Mim.[1]. Les Grecs ont été vaincus[2]
  2. Dans un pays très-rapproché du nôtre[3] ; mais, après cette (vi)ctoire, ils vaincront à leur tour
  3. Dans l’espace de quelques années[4]. Avant comme après, les choses dépendent de Dieu. Ce jour-là les croyants se réjouiront
  4. De la victoire obtenue par l’assistance de Dieu ; il assiste celui qu’il veut ; il est le Puissant, le Miséricordieux.
  5. C’est la promesse de Dieu. Il n’est point infidèle à ses promesses ; mais la plupart des hommes ne le savent pas.
  6. Ils connaissent de la vie de ce monde ce qui frappe les sens, (e)t ne doutent pas de l’existence de la vie future.
  7. N’ont-ils pas réfléchi dans eux-mêmes que Dieu a créé les cieux et la terre et tout ce qui est entre eux, pour la vérité ; qu’il a fixé leur durée jusqu’au terme désigné d’avance ? Mais la plupart des hommes ne croient point qu’ils comparaîtront un jour devant leur Seigneur.
  8. N’ont-ils point voyagé dans les pays ? n’y ont-ils pas vu quelle a été la fin de leurs devanciers plus robustes qu’eux ? Ils ont sillonné le pays de routes et de digues ; ils en habitaient une partie plus considérable que ceux-ci. Des apôtres se présentèrent chez eux, accompagnés de preuves évidentes. Ce n’est pas Dieu qui les a traités durement ; ils ont été iniques envers eux-mêmes.
  9. Mauvaise a été la fin de ceux qui commettaient de mauvaise actions. Ils ont traité de mensonges nos signes, et ils les prenaient pour l’objet de leurs railleries.
  10. Dieu produit la création et la fait rentrer dans son sein. Vous retournerez à lui.
  11. Le jour où sera venue l’heure[5], les criminels deviendront muets.
  12. Ils ne trouveront pas d’intercesseurs parmi leurs compagnons ; ils renieront leurs compagnons (les divinités).
  13. Le jour où commencera l’heure, les hommes seront séparés les uns des autres.
  14. Ceux qui auront cru et fait le bien se divertiront dans un parterre de fleurs.
  15. Ceux qui ne croient point et qui traitent de mensonges nos signes et la comparution dans l’autre monde, seront livrés au supplice.
  16. Célébrez donc Dieu le soir et le matin.
  17. Car la gloire lui appartient dans les deux et sur la terre ; célébrez-le à l’entrée de la nuit, et quand vous vous reposez à midi.
  18. Il fait sortir le vivant de ce qui est mort, et ce qui est mort du vivant ; il vivifie la terre naguère morte ; c’est ainsi que, vous aussi, vous serez ressuscites.
  19. C’est un des signes de sa puissance que de vous avoir créés de poussière. Puis vous devîntes hommes disséminés de tous côtés.
  20. C’en est un aussi de vous avoir donné des épouses créées de vous-mêmes, pour que vous habitiez avec elles. Il a établi entre vous l’amour et la tendresse. Il y a dans ceci des signes pour ceux qui réfléchissent.
  21. La création des cieux et de la terre, la diversité de vos langues et de vos couleurs, sont aussi un signe ; certes il y a dans ceci des signes pour l’univers.
  22. Du nombre de ses signes est votre sommeil dans la nuit et dans le jour, et votre désir d’obtenir des richesses de la générosité de Dieu. il y a dans ceci des signes pour ceux qui entendent.
  23. C’est aussi un de ses signes, qu’il fait briller à vos yeux l’éclair pour vous inspirer la crainte et l’espérance ; qu’il fait descendre du ciel l’eau avec laquelle il rend la vie à la terre naguère morte. il y a dans ceci des signes pour les hommes intelligents.
  24. C’en est aussi un, que, par son ordre, le ciel et la terre soient debout. Puis, quand il vous appellera des entrailles de la terre, vous en sortirez tout à coup.
  25. À lui appartient tout ce qui est dans les cieux et sur li terre : tout lui est soumis.
  26. C’est lui qui produit la création et qui la fera rentrer ta son sein : cela lui est facile. Lui seul a le droit d’être comparé à tout ce qu’il y a de plus élevé dans les cieux et sur la terre.
  27. Il vous propose des exemples tirés de vous-mêmes. Prenez-vous vos esclaves, que vos mains vous ont acquis, pour vos associés dans la jouissance des biens que nous vous avons donnés, au point que vos portions soient égales ? Avez-vous à leur égard cette crainte (cette réserve) que vous avez dans vos rapports entre vous ? (C’est ainsi que nous exposons nos enseignements aux hommes doués d’intelligence.)
  28. Non, cela n’est pas, seulement les méchants suivent leurs passions sans discernement. Et qui dirigera celui que Dieu a égaré ? qui peut lui servir de protecteur ?
  29. Redresse donc, pieux et dévoué, ton front pour cette religion, œuvre de Dieu, œuvre pour laquelle il a créé les hommes. La création de Dieu ne saurait être changée. Cette religion est immuable, mais la plupart des hommes ne l’entendent pas.
  30. Tournez-vous vers Dieu et craignez-le ; observez la prière, et ne soyez point du nombre des idolâtres ;
  31. Du nombre de ceux qui ont partagé leur religion, et se sont formés en sectes où chaque parti est satisfait de sa portion.
  32. Lorsqu’un malheur les atteint, tournés vers leur Seigneur, ils crient vers lui ; puis, qu’il leur fasse goûter sa miséricorde, un grand nombre d’entre eux lui donnent des associés.
  33. C’est pour témoigner leur ingratitude des bienfaits dont nous les avons comblés. Jouissez. Bientôt vous apprendrez…
  34. Leur avons-nous envoyé quelque autorité qui leur parle des divinités qu’ils associent à Dieu ?
  35. Quand nous faisons goûter aux hommes les bienfaits de notre grâce, ils se livrent à la joie ; mais, si un malheur les surprend en punition de leurs péchés, les voilà qui se désespèrent.
  36. N’ont-ils pas considéré que Dieu tantôt distribue à pleine mains la nourriture à qui il veut, et que tantôt il la mesure ?
  37. Donne à chacun ce qui lui est dû, à ton proche, au pauvre, au voyageur. Ceci sera plus avantageux à ceux qui veulent obtenir le regard bienveillant de leur Seigneur. Ils seront heureux.
  38. L’argent que vous donnez à usure pour le grossir avec le bien des autres ne grossira pas auprès de Dieu ; mais toute aumône que vous ferez pour obtenir les regards bienveillants de Dieu[6] vous sera doublée.
  39. Dieu vous a créés et il vous nourrit ; il vous fera mourir et puis revivre. Y en a-t-il un seul parmi vos compagnons[7] qui puisse en faire quoi que ce soit ? Par sa gloire ! il est trop au-dessus de ce qu’on lui associe.
  40. La destruction apparut sur la terre et sur la mer, à cause des œuvres des mains des hommes ; elle leur fera goûter les fruits d’une partie de leurs méfaits.
  41. Dis-leur : Parcourez le pays, et voyez quelle a été la fin de ces peuples d’autrefois, dont la plupart ont été incrédules.
  42. Élève ton front vers la religion immuable avant qu’arrive ce jour, que nul ne saura éloigner de Dieu[8]. Alors seront séparés en deux partis
  43. Les incrédules portant le fardeau de leur incrédulité, et ceux qui ont fait le bien et préparé leur lieu de repos,
  44. Afin que Dieu récompense de sa générosité ceux qui ont cru et faille bien. Il n’aime point les infidèles.
  45. C’est un des signes de sa puissance, qu’il envoie les vents porteurs d’heureuses nouvelles[9], pour faire goûter aux hommes les dons de sa miséricorde ; qu’à son ordre les vaisseaux fendent les vagues ; que les hommes demandent des richesses à sa générosité[10]. Peut-être serez-vous reconnaissants envers lui.
  46. Avant toi nous avons envoyé des apôtres vers chacun de ces peuples ; ils se présentèrent munis de preuves évidentes. Nous avons tiré vengeance des coupables. il était de notre devoir de secourir les croyants.
  47. Dieu envoie les vents, et les vents sillonnent le nuage. Dieu l’étend dans le ciel comme il veut ; il le divise en fragments, et tu vois sortir la pluie de son sein ; et lorsqu’il la fait tomber sur ceux d’entre ses serviteurs qu’il veut, ils sont dans l’allégresse,
  48. Eux qui, avant qu’elle tombât, étaient dans le désespoir.
  49. Tourne tes regards vers les traces de la miséricorde de Dieu : vois comme il rend la vie à la terre morte. Ce même Dieu fera revivre les morts ; il est tout-puissant.
  50. Mais, si nous envoyons un vent brûlant, et qu’ils voient leurs récoltes jaunir[11], voyez alors comme ils se montreront ingrats.
  51. Tu ne saurais, ô Mohammed ! te faire entendre des morts ; tu ne saurais faire entendre un cri aux sourds, quand, tournant le dos, ils s’en vont.
  52. Tu m’es point le guide des aveugles pour les empêcher de s’égarer. Tu ne saurais te faire écouter que de ceux qui croient en nos signes et qui se résignent à notre volonté.
  53. C’est Dieu qui vous a créés de faiblesse[12] ; après la faiblesse, il vous accorde la force, et, après la force, il ramène la faiblesse et les cheveux blancs. Il crée ce qu’il veut ; il est le Savant, le Puissant.
  54. Le jour où l’heure se lèvera, les coupables jureront
  55. Qu’ils ne sont restés qu’une heure dans les tombeaux. C’est ainsi qu’ils mentaient sur la terre.
  56. Mais ceux à qui la science et la foi furent données leur diront : Vous y êtes demeurés, selon l’arrêt du livre de Dieu, jusqu’au jour de la résurrection. Voilà ce jour, mais vous ne le saviez pas.
  57. Ce jour-là les excuses des méchants ne leur serviront de rien ; ils ne seront plus invités à se rendre agréables à Dieu.
  58. Nous avons proposé aux hommes dans ce Koran toutes sortes de paraboles. Si tu leur fais voir un miracle, les incrédules diront : Vous n’êtes que des imposteurs.
  59. C’est ainsi que Dieu imprime le sceau sur les cœurs de ceux qui ne savent rien.
  60. Et toi, ô Mohammed ! prends patience, car les promesses de Dieu sont véritables ; que ceux qui ne croient pas avec certitude ne t’ébranlent pas.
  1. Voyez II, 1, note
  2. Le mot Er-roum du texte, que nous traduisons par Grecs, s’appliquait et s’applique encore en arabe aux Grecs d’Alexandre le Grand, à l’empire romain d’Occident et à celui d’Orient, ou aux Grecs du Bas-Empire. C’est de ces derniers qu’il s’agit dans ce chapitre. Ils avaient été défaits par les Perses, adorateurs du feu, et conséquemment idolâtres. Ce succès d’un peuple que les Arabes idolâtres pouvaient regarder jusqu’à un certain point comme leurs coreligionnaires, pendant que les Grecs, comme chrétiens et peuples possédant les Écritures, étaient censés se rapprocher davantage du culte unitaire prêché par Mahomet, ce succès causa une grande sensation dans l’Arabie. La révélation contenue dans les versets 2 et 3 avait pour but de rabattre l’orgueil des idolâtres et de rassurer les mahométans. Depuis que la prédiction du succès des Grecs s’est réalisée, tout ce passage du Koran est cité par les musulmans comme une preuve évidente de l’inspiration prophétique de Mahomet. On n’est pas cependant d’accord sur les dates de ces deux événements ; les uns mettent la victoire des Perses dans l’année 5 avant l’hégire, et celle des Grecs à l’an 2 de l’hégire ; d’autres placent le premier de ces événements à la troisième ou quatrième année de l’hégire, et le second à la fin de la sixième ou au commencement de la septième. Sans chercher ici à établir l’exactitude de ces données, nous ferons observer que le passage qui nous occupe se rapporte à l’époque de cette longue guerre que le roi de Perse Khosrou Perwiz faisait avec tant de bonheur à l’empire d’Orient, jusqu’à ce que l’empereur Héraclius vengeât par une victoire décisive, en 625, les affronts essuyés par son prédécesseur, et poursuivit à son tour une longue carrière de succès. L’accomplissement de la prophétie tomberait donc à l’année 3 ou 4 de l’hégire. (Voy. note 3.)
  3. Dans le pays très-rapproché. Les commentateurs diffèrent dans l’application de ce passage. L’un des plus célèbres, Ebn-Abbas, cité par Sale, pense qu’il s’agit de la Palestine.
  4. Les mots : espace de quelques années, répondent au bed’issinina du texte. Voici ce que les commentateurs rapportent à propos de cette désignation. Quand le passage prédisant la victoire des Grecs fut révélé, Abou-Bekr (plus tard calife) fit un pari avec Obba ben Schalf, Arabe idolâtre, que la prophétie serait accomplie dans l’espace de trois ans, et il gagea dix chameaux. Mahomet, ayant appris le pari, dit à Abou-Bekr que le mot bed’ (quelques) s’appliquait à un nombre quelconque depuis trois jusqu’à dix, et lui conseilla de modifier les termes du pari dans ce sens ; les deux parties fixèrent le temps à neuf ans, et la gageure à cent chameaux. On dit qu’Obba mourut en l’année 3 de l’hégire, et que, la prédiction s’étant réalisée peu de temps après, ses héritiers furent forcés de donner cent chameaux à Abou-Bekr. Une dernière observation nous reste à faire sur ce passage ; elle servira à apprécier le caractère du Koran. L’on sait que dans le système graphique des Arabes, ainsi que dans toutes les langues de souche sémitique, on n’écrit que les consonnes, et on supplée les voyelles en lisant. Le Koran n’a reçu sa vocalisation actuelle que bien après sa rédaction, et après avoir passé par l’écriture coufique, par conséquent à l’époque où on a pu déjà tomber d’accord sur le sens des paroles et le fixer définitivement. Or, les mots : les Grec ont été vaincus, qu’on lit maintenant, à l’aide de la vocalisation reçue goulibatirroumou (les Grecs ont été vaincus), peuvent être lus sans toucher aux consonnes, galabatirroumou (les Grecs ont été vainqueurs) ; et ensuite au verset 3, les mots saïaglibouna (ils vaincront), peuvent être lus, toujours en conservant les mêmes consonnes, saïouglabouna (ils seront vaincus). A voir le vague et la brièveté de ces paroles, on dirait que ce passage a été ménagé de manière à avoir toujours raison, en quelques circonstances que ce fût. Les interprétations des commentateurs ont, du reste fixé le sens tel qu’il est donné dans le texte actuel.
  5. L’heure, c’est le jugement dernier.
  6. Mot à mot : que vous ferez en recherchant la face de Dieu.
  7. L’expression vos compagnons a été expliquée plus haut.
  8. C’est-à-dire, que personne ne saurait l’éloigner, pour empêcher Dieu de régler le compte des hommes.
  9. C’est-à-dire, annonçant la pluie.
  10. Cette expression est toujours employée dans le Koran en parlant du commerce.
  11. Mot à mot : et qu’ils le voient jaune.
  12. Pour dire ; tout faible dans l’enfance.