Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 20

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Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 167-174).
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XX.

Ce n’est pas sans raison en effet qu’ils les regardent comme des faussetés et comme des mensonges, car il est facile de voir, que ces prétendus miracles n’ont été inventés qu’à l’imitation des fables et des fictions des Poëtes Païens ; c’est ce qui paroit assez visiblement par la conformité qu’il y a des uns aux autres. Si nos Christicoles disent que Dieu donnoit véritablement pouvoir à ses Saints de faire tous les miracles qui sont rapportés dans leurs vies, de même aussi les Païens disent que les filles d’Anius, grand Prêtre d’Apollon, avoient véritablement reçu du Dieu Bacchus la faveur et le pouvoir de changer tout ce qu’elles voudroient en bled, vin, huile etc. Pareillement, disent ils, que Jupiter donna véritablement aux Nymphes, qui eurent soin de son éducation, une corne de la chêvre, qui l’avoit alaité dans son enfance, avec cette proprieté qu’elle leur fourniroit abondamment tout ce qui leur viendroit à souhait. Ne voilà-t’-il pas de beaux miracles ? Si nos Christicoles disent que leurs Saints avoient des révélations divines, pareillement les Païens avoient dit avant eux, que Athalides, fils de Mercure, avoit obtenu de son père le don de pouvoir vivre, mourir et ressusciter quand il voudroit, et qu’il avoit aussi la connaissance de tout ce qui se faisoit en ce monde et en l’autre ; pareillement ils avoient dit qu’Esculape, fils d’Apollon avoit ressuscité des morts, et entr’autres qu’il ressuscita Hipolite, fils de Thesée, à la prière de Diane, et qu’Hercules ressuscita aussi Alceste, femme d’Admete, Roi de Thessalie pour la rendre à son Mari. Si nos Christicoles disent que leur Christ est né miraculeusement d’une vierge, sans connaissance d’hommes, pareillement les Païens avoient déjà dit avant eux que Remus et Romulus, prémiers fondateurs de la ville de Rome étoient miraculeusement nés d’une vierge vestale nommée Ilia, Sylvia ou Rea Silvia. Ils avoient déjà dit que Mars, Argé, Vulcain et autres avoient été engendrés de la Déesse Junon, sans connoissance d’homme, et que Minerve, Déesse des Sciences avoit été engendrée dans le cerveau de Jupiter et qu’elle en sortit toute armée par la force d’un coup de poing, dont ce Dieu se frapa la tête. Si nos Christicoles disent que leurs Saints faisoient sortir des fontaines d’eau des Rochers, pareillement les Païens disent que Minerve fit jaillir une fontaine d’huile, en récompense d’un temple qu’on lui avoit dédié. Si nos Christicoles se vantent d’avoir reçu miraculeusement des images du ciel, comme par exemple celle de notre Dame de Lorrette et de Liesse et qu’ils ont miraculeusement reçu plusieurs autres présens du ciel, comme la prétendue S. Ampoule de Rheims, comme la Chasuble blanche, que l’on prétend que S. Ildephonse reçut de la vierge Marie et autres choses semblables, les Païens pareillement se vantoient avant eux d’avoir reçu du ciel un bouclier sacré, pour marque de la conservation de leur ville de Rome, et les Troïens se vantoient aussi d’avoir reçu miraculeusement du ciel leur Palladium ou leur simulacre de Pallas, qui vint lui-même, disoient-ils, prendre sa place dans le Temple que l’on avoit édifié en l’honneur de cette Déesse. Si nos Christicoles disent que leur Jesus-Christ fut vû par ses Apôtres monter glorieusement au ciel et que plusieurs Ames de leurs prétendus Saints furent vûës transférées glorieusement au ciel par les Anges, les Païens Romains avoient dit avant eux que Romulus, leur fondateur, fut vû tout glorieux après sa mort. Pareillement ils disent que Ganimède, fils de Tros, Roi des Troïens, fut par Jupiter transporté au ciel pour lui servir d’Echanson, ils disent même que la chevelure de Bérenice, aïant été consacrée au temple de Venus, fut peu après transportée au ciel ; ils disent la même chose de Cassiopée, et d’Andromède, et même de l’âne de Silène. Si nos Christicoles disent que plusieurs corps de leurs Saints ont été miraculeusement préservés de corruption après leur mort, et qu’ils ont été miraculeusement retrouvés par des révélations divines, après avoir été un fort long tems perdus, sans savoir où ils pouvoient être ; les Païens en disent de même du corps d’Oreste, qui fut miraculeusement, selon eux, trouvé par l’avertissement de l’Oracle. Si nos Christicoles disent, que les 7. Frères dormans dormirent miraculeusement pendant 177 ans, qu’ils furent enfermés dans une caverne, les Païens disent qu’Epiménides, le prophète, dormit pendant 57 ans dans une caverne, où il s’étoit endormi. Si nos Christicoles disent que plusieurs de leurs Saints parloient encore miraculeusement après avoir eu la langue ou la tête coupée, les Païens disent aussi que la tête de Gabienus chanta un long poëme, après être séparée de son corps. Si nos Christicoles se glorifient de ce que leurs temples et églises sont ornés de plusieurs tableaux et riches présens, qui montrent les guérisons miraculeuses qui ont été faites par l’intercession de leurs Saints, on voit aussi, ou au moins on voïoit aussi autrefois dans le temple d’Esculape en Epidaure quantité de tableaux des cures et guérisons miraculeuses qu’il avoit faites. Si nos Christicoles disent que plusieurs de leurs Saints ont été miraculeusement conservés dans les flammes ardentes, sans y recevoir aucun domage dans leur corps, ni dans leurs habits, les Païens disoient que les Religieuses du Temple de Diane marchoient sur les charbons ardens, à piés nuds, sans se brûler et sans se blesser les piés ; ils disoient aussi la même chose des Prêtres de la Déesse Féronie et des Hyrpieux qui marchoient piés nuds sans se brûler sur les charbons ardens des feux-de-joïe, que l’on faisoit à l’honneur d’Apollon. Si les Anges, comme disent nos Christicoles, batirent une chapelle à S. Clément au fond de la mer, les Païens disent aussi que la petite maison de Baucis et Philémon fut miraculeusement changée en un superbe temple en récompense de leur piété. Si nos Christicoles se vantent d’avoir leurs Saints pour protecteurs et que plusieurs entr’eux, comme par exemple S. Jacques, S. Maurice et autres ont plusieurs fois parus dans leurs armées, montés et équipés à l’avantage, pour combattre en leur faveur contre leurs ennemis, les Païens disent aussi que Castor et Pollux ont paru plusieurs fois, en bataille, combattre pour les Romains contre leurs ennemis. Si nos Christicoles disent qu’un bélier se trouva miraculeusement, pour être offert en sacrifice à la place d’Isaac, lorsque son Père Abraham le vouloit sacrifier, les Païens disent aussi que la Déesse Vesta envoïa miraculeusement une génisse pour lui être sacrifiée à la place de Metella, fille de Metellus : ils disent pareillement que la Déesse Diane envoïa miraculeusement une biche à la place d’Iphigenie, lorsqu’elle étoit sur le bucher pour lui être immolée, au moïen de quoi Iphigenie fut miraculeusement délivrée. Si nos Christicoles disent que S. Joseph s’enfuit en Égypte sur l’avertissement qu’il en reçut d’un Ange du ciel, les Païens disent que Simonides, le poëte, évita plusieurs dangers mortels sur des avertissemens miraculeux qui lui en furent faits. Si Moïse fit sortir une source d’eau vive de son Rocher en le frapant de son bâton, le cheval Pégase, disent les Païens, en fit bien autant, puisqu’en frapant de son pié un Rocher, il en sortit une fontaine. Si nos Christicoles disent que S. Vincent Fevrier ressuscita un mort qui avoit été haché en pièces et dont une partie du corps étoit rotie, et cuite ; les Païens pareillement disent que Pélops fils de Tantale, Roi de Phrigie, aïant été mis en pièces par son Père, pour le faire manger aux Dieux, eux aïant reconnu cette barbare cruauté d’un Père envers son fils, ramassérent tous les membres, les réunirent et lui rendirent la vie. Si nos Christicoles disent que plusieurs de leurs crucifix et autres de leurs images ont miraculeusement parlé et rendu des réponses ; les Païens disent aussi que leurs oracles ont divinement parlé et qu’ils ont rendu des réponses à ceux qui les consultoient. Ils disent aussi que la tête d’Orphée et celle de Policrates rendoient des miracles après leur mort. Si Dieu fit connoitre par une voix du ciel que Jésus-Christ étoit son Fils, comme le disent les Evangelistes, les Païens disent aussi que Vulcain fit voir, par l’aparition d’une flamme miraculeuse, que Coeculus étoit véritablement son fils. Si nos Christicoles disent que Dieu a quelquefois miraculeusement nourris quelques-uns de ces Saints, pareillement les Poëtes Païens disent que Triptolème fut miraculeusement nourri d’un lait divin par Cèrés, qui lui donna aussi un char attelé de 2 Dragons. Pareillement ils disent que Phécée, fils de Mercure, étant sorti du ventre de sa mère déjà morte, fut néanmoins miraculeusement nourri de son lait. Si nos Christicoles disent que plusieurs de leurs Saints ont miraculeusement adouci la cruauté et la férocité des bêtes les plus cruelles et les plus féroces, les Païens disent aussi, qu’Orphée attiroit à lui, par la douceur de son chant et de l’harmonie de ses instrumens, les lions, les ours et les tigres, adoucissant la férocité de leur nature par la douceur de leur harmonie ; ils disent aussi qu’il attiroit à lui les rochers, les arbres et que mêmes les rivières arrètoient leur cours pour l’entendre chanter. Enfin, pour abréger et passer sous silence quantité d’autres semblables exemples, que l’on pouroit raporter, si nos Christicoles disent que les murailles de la ville de Jéricho tombèrent miraculeusement par terre par le son des trompêtes ; les Païens disent aussi que les murailles de la ville de Thèbes furent bâties par le son des instrumens de musique d’Amphion, les pierres, disent les Poêtes, s’étant agencées d’elles-mêmes, à la construction des dites murailles, par la douceur de son harmonie, ce qui seroit encore bien plus miraculeux et bien plus admirable, que de voir seulement tomber des murailles par terre.

Voilà certainement une grande conformité de miracles de part et d’autre, c’est à dire, de la part de nos Christicoles et du côté des Païens.

Il n’y a certainement pas plus d’aparence de vérité d’un côté que de l’autre, et comme ce seroit une grande sotise d’ajouter foi maintenant à ces prétendus miracles du Paganisme, c’est pareillement une grande sotise d’ajouter foi à ceux du Christianisme, puisqu’elles ne viennent, les uns et les autres, que d’un même principe d’erreurs, d’illusions et de mensonges. C’étoit pour cela aussi que les Manichéens et les Ariens qui étoient, vers le commencement du Christianisme, se moquoient de ces prétendus miracles, faits par l’invocation des Saints, et blâmoient ceux qui les invoquoient après leur mort et qui honoroient leurs reliques. Il y a bien aparence que M. de Fénélon, ci-devant Archevêque de Cambrai, ne faisoit guères d’état de ces prétendus miracles, et qu’il n’y ajoutoit guères de foi lui-même, puisqu’il n’a pas seulement daigné d’en dire un mot dans son livre, qu’il a fait de l’Existence de Dieu : car comme cet auteur a prétendu donner dans son dit livre les plus fortes preuves, qui se pouvoient donner de l’Existence de Dieu et qu’il n’a pas seulement parlé de celle-ci, qui eut été néanmoins une des plus fortes preuves, si les susdits miracles eussent été bien véritables et bien sûrs, n’en aïant pas, dis-je, parlé, c’est une marque assez visible, qu’il ne faisoit guères d’état et qu’il n’ajoutoit guères de foi à tout ce que l’on dit de ces prétendus miracles.