Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise I/Dessein IIII

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DESSEIN QVATRIESME.


Roſolphe m’aymant point les Dames deuient ſeruiteur de Feriſee, qu’ayant veüe il demande à femme. Eſtant Roy, elle luy demande vn don, qu’il luy očtroye ſous des conditiōs qu’ils debattent, & elle le vainc. Il la faict ietter au fonds de la Tour des Chiens.



CEste Dame accōplie qui deſiroit retenir le plus long tēps qu’elle pouuoit ces trois freres tant agreables, leur fit le diſcours de ceſte hiſtoire. Du tēps que la prudēce gouuernoit le Royaume de Crăce, par l’induſtrie du vieil Roy Selió duquel les trophees eſtoiēt grauez és courages de ſes ſuiects, & marqués en la paix dont il les faiſoit iouyr, tout rioit en ce beau pays, & le peuple cōtent de ſon bon Roy, n’auoit autre frayeur que de le perdre, toutesfois il y auoit eſperance que la perte ne ſeroit pas abſoluë, car il auoit vn fils bō, beau, ſage & vaillant, mais deſia vn peu aduancé en âge, & ne deſirant point eſtre ioinct à vne femme, à cauſe d’vne deſdaigneuſe opinion qu’il en auoit conceuë eſtimaut les femmes eſtre la ruine des cœurs, & le mariage le ſepulchre des viuans : & bien que le Roy ſon pere priſt peine de le diuertir pour faire changer ceſte opinion, ſi ne pouuoit-il y entendre, par ce que ſon courage n’y eſtoit pas enclin. Or comme toutes rencōtres ont leur tēps, il aduint vn ſoir que ce Prince eſtant en deuis auec les Dames qu’il frequentoit, plus pour monſtrer qu’il ſçauoit bien qu’il eſtoit fils d’vne femme, que pour plaiſir qu’il y prit. Vne ancienne de la compagnie qui auoit eſté ſa nourrice, ſe mit à diſcourir des beautez & perfections de Feriſee fille d’vn Gentilhomme du pays, laquelle elle exaltoit ſur toutes, meſme par deſſus les accomplies de la Court, où cette-cy ne hâtoit pas, pource que le pere la cognoiſſoit eſtre belle, & ne deſiroit point qu’elle fuſt occaſion de luy donner du trouble par la demande qu’il penſoit que bien toſt on luy en feroit contraire à ſa reſolution, & ainſi ne pourroit euiter les inimitiez de ceux qui la demanderoient, & ne la pourroient obtenir. Encor qu’il la retint de voir la Court, ſi ne laiſſoit-il de luy permettre toutes höneſtes & licites libertés, & meſme l’exercice de la chaſſe, dont elle ſe delectoit ſingulierement, s’eſtant tellement pour ce ſuiet addextree à tirer de l’arc, qu’elle pouuoit aiſément emporter le prix ſur ceux qui en faiſoient eſtat. Le Prince Roſolphe qui n’auoit iamais penſé, qu’il y euſt beauté capable de l’eſmouuoir, oyant ſi aduantageuſement parler de ceſte Demoiſelle voulut la veoir mais auec reſpect : pour à quoy paruenir, il s’enquit de la façon de viure de la belle, à quoy il s’accommoda ſi diſcretement & ſecretement, qu’aucun ne s’apperceut de ſon deſſein. Il ſceut que Feriſee ſelon ſa couſtume eſtoit à la chaſſe, & il prit fi bien le tēps, qu’il la trouua cōme par hazard, il auoit de la conſcience, & ſçauoit bien que quand les grands, & ſurtout de ſon rang, alloient viſiter les Dames, les meſdiſans en prenoient occaſion d’eſguiſoires à leurs fers, dont ils taſchent à frapper la reputation, Son entrepriſe fut prudente, & ſe trouua au lieu deſiré fort peu ſuiuy, comme reuenant de quelque partie faicte, & vint aſſez pres de l’endroict où la belle eſtoit, auec quelques Demoiſelles ſes cōpaignes ; il ne fut pas veu d’elles, d’autant qu’elles eſtoiēt attentiues à vn coup que Feriſee miroit, ce qu’ayant apperceu le Prince, il ſe haſta, & ayant l’arc en main, il deſcocha le premier & emporta l’oiſeau que la belle pretendoit ſeulement fraper, de ſorte qu’elle luy euſt emporté le pied & le bec. La belle ayant veu ceſte deception ſans ſçauoir d’où elle procedoit, vid la compagne de l’oiſeau bleſſé, s’enuoler, dont ſoudain pour n’auoir viſé à perte, enfonce ſur l’oiſeau volant qu’elle enfila de bonne grace. Ce coup fait, elle ſe deſtourna, & vid le Prince qu’elle cognoiſſoit pour l’auoir veu paſſer par la ville lors qu’elle y alloit pour acheter des eſtofes, mais elle ne fit aucun sēblänt de le tenir pour ce qu’il eſtoit : Roſolhe ayāt fait leuer l’oiſeau par vn page, l’enuoya à la Demoiſelle, qui le receut gracieuſement, cōme d’vn Gentilhöme que la courtoiſie incitoit : & le page luy dit que ſon maiſtre le luy enuoyoit en ſigne du prix qu’elle auoit merité pour fon adreſſe. Incontinant elle fait auſſi prendre celuy qu’ellea uoit abbatu, & l’accouplant à celuy du Prince, les luy enuoya tous deux, auec parole que c’eſtoit en teſmoignage de ſon plus aduantageux merite. Le Prince prenāt les deux oyſeaux, ſon arc & ſes fleſches enuoya tout à la belle par le page, qui le poſant à ſes pieds ſe retira en diligence par vne voye, qui fit perdre les erres du Prince, ſi qu’elle ne peut plus riē renuoyer. Roſolphe ne voulāt point eſtre vaincu de courtoiſie, ſentit en ſoy vne nouuelle emotion de deuoir où iamais il ne s’eſtoit aduancé, & ſe retira ne deſirant pas que celle qu’il euſt voulu ſeruir l’euſt deuancé en humilité. La belle le pēſant eſloigné, ſe mit à diſcourir de ceſte rēcontre, & ne le penſant ſi pres, oſta ſon maſque, & leua ſa coëffe pour ſe rafraichir pres la fontaine, que voici venir le Prince, qui la surprēd, & vit ceſte beauté, parangon de l’vnique, il eut peu de propos auec elle, & paſſa outre prudemment, emportāt vn vehemēt traict au cœur, lequel a fait telle playe qu’à iamais la cicatricey demeurera. Eſtāt à part ſoy, & meditant ceſte auenture, il changea de courage, ſi qu’il ſe delibera de ſubir les douces loix du premier commandement de Dieu : partant prenant l’opportunité de le faire entēdre au Roy son pere, il luy declara ſa penſee & intentiō, le ſuppliant au reſte d’ē diſpoſer ſelō ſa ſageſſe & bō plaiſir. Le bō Roy cōtēt au poſſible de ce chāgemēt & volōté ſuruenuë, qui luy eſtoit tāt agreable. auſſitoſt enuoya querir le Gētilhōme pere de Feriſtee, auquel il fit entēdre ſon vouloir, le priāt, nō cōme ſuiet, ains en Seigneur, dōt il deſiroit l’aliāce, d’auoir agreable le mariage du Prince ſon fils, & de ſa fille. Le ſage Gentilhōme ne pouuant ny deuāt s’excuſer, ou refuſer, ou remettre la partie, dōna en tres-hūble ſuiet la carte blanche à ſon Roy, pour y deſigner ce qu’il luy plairoit tellemët que le mariage fut cōclud & la belle mādee, vint en Court, où ſa mere l’amena. Eſtāt parmy les Dames, il ne fallut point de iuge particulier en beauté pour la remarquer entre les autres, il ne falloit que les yeux pour la diſcerner, ne plus ne moins qu’on remarque vne fleur entre les herbes d’vn pré, qui n’ōt riē que ce qui eſt cōmun. Les accords eſtās faits on cōmēça les iours de ceremonie auec grāde ſolénité. Le vieil Roy ſentit ſon cœur raſſâſié de tant de lieſſe, que ſon ame s’ē exhala ſoulee de cōtentemēt terreſtre : Ceſte diſgrace occaſiōna du dueil à la Court : mais il fut biē toſt paſſé par l’effort de la ioye que dōna le couronnemēt de Roſolphe. Les obſeques de Se lion eſtāt acheuees, le Roy voulut entendre à ſon mariage qui fut celebré en toute magnificēce. La Nobleſſe y aſſiſta en feſtes, iouſtes, tournois, cōbats feints, & tous plaiſirs de grands, Quand ce fut au ſoir, & qu’on parla de coucher la future Royne, elle ſe vint preſenter au Roy luy demandant vh don, qu’elle luy ſuplioit humblement ne luy refuſer, ains à l’antique facon de leurs anceſtres, luy accorder. Le Roy la voyant en ceſte gracece & diſpoſition, luy dit, Demandez, & elle, Sire encore que ie ſois voſtre treſ-hūble ſuiette & ſeruante, & qu’il vous a pleu par vne ſpeciale faueur me choiſir pour eſtre voſtre hūble femme, ſi eſt-ce qu’eſtant pres du rang que ie doy tenir, ie ſens mon cœur s’eſleuer, nō pour eſtre glorieuſe Princeſſe, ains digne compaigne d’vn grand Roy, & par ainſi ſortir de mes premiers limites pour entrer en autres plus excellens, & eſquels il conuient auoir vn cœur Royal partant afin que ie ſois telle qu’il eſt ſeant, ie vous requiers d’vn don pour le prix de ma virginité, & pour me releuer à bō droit le courage. Le Roy. Ie remets à la raiſon tout ce que vous auez de pretentions, vous priant auſſi d’auoir eſgard à ce que ie puis & dois, ſans adiouſter voſtre merite. Feris. Si i’ay eu du merite par le paſſé, il n’eſtoit pas de telle qualité que celuy auquel vous me ferez paruenir. Le Roy. Parlez donc. Feristee, Ie ne mettray point en auant ce que les filles peuuent propoſer pour le guerdon de leur prudence, Ie ne vous preſente que celle qui ſera l’autre vous-meſmes lors qu’il vous plaira, & en ceſte qualité pleine d’amour & de grandeur, ie vous demande ce don, c’eſt qu’en voſtre monnoye mon nom & ma figure ſoyent grauez auec les voſtres. Le Roy. Ie ne pouuois pēſer que ceſte enuie fuſt en voſtre courage, auſſi m’eſtonnant de voſtre requeſte qui passe outre le terme de requiſition, ie n’eſtimois pas que me demādaſſiez ce que iamais Dame n’a preſumé d’auoir en ces pays, où les ſceptres ne tombent point en quenoüille : partant ie vous prie de changer les termes du don, d’autant que celà ne ſe peut Feristee. Miſerable moy, pourquoyvous ay ie offencé ? Pourquoy l’amour m’ayant voulu eſgaler à vous, le deſtin m’abat de mon degré ? Ie n’ay que du cœur, & vous Sire, toute grandeur, or ie laiſſe choir ce que i’en auois deſia embraſſé, & m’enſeueliſſant dās l’extreme deſplaiſir que i’ay d’eſtre eſconduite, ie veux mourir, & encore plus inſtamment ie le veux, pour auoir oſé m’auancer à vous requerir puis qu’il vous eſt deſagreable, & mon regret ſe multiplie pour auoir en ceſte fortune tant auguſte trouué ce qui reſiſte au bon-heur de noſtre mutuelle conuenance. Faſcheux ſuccez qui me perdez ! Sire, vous eſtes Roy, & dauantage, vous auez reputatiō d’eſtre plus ſage que Roy, & pourtant mon intention a eſté vous faiſant ce ſte demande, de cognoiſtre & deſcouurir par vous meſnes ſi parfait amour, tel que le merite mavir ginité, vous a incité à m’eſlire pour voſtre, ou ſi c’eſt vne pureardeur de conuoitiſe qui vous y ayt ſtimulé : & pour ce que ie deuois eſtre plus Roy ne que grande, ie vous dy que vous n’aurez riē de moy que la vie par effort, ſi vous l’entreprenez cōme Monarque, ſi ie n’ay le don requis, pource que ie ne ſuis non plus digne d’eſtre voſtre femme, que d’obtenir ce dont ie ſupplie, & qui m’eſt deu par le deſſein qui vous a faict m’eſtimer capable d’eſtre voſtre compagne, pour à quoy paruenir pour la ſplendeur de uoſtre gloire, il eſt auſſi conuenable que i’aye autant de ſoin pour vous eſtre conioinéte, que vo° pouuez auoir de zele à maintenir voſtre vnique grādeur, ou vnie auec moy, ou ſeparee de moy. Le Roy. Ie laiſſe ma grādeur, i’oublie mon ſceptre, ie quitte mon authorité, me faiſant meſmes moindre que vous par le reſpect d’amour lequel couure tout ſous le manteau de ſes douceurs, & faict que ie ne prens point garde à la vehemēce dont vous m’vlcereriez, ſi ie me tenois ferme en ce que ie deurois eſtre, ſi ie n’aymois, point, i’excuſe par ce moyen la violence que vous me faites, pour faire paroiſtre qu’il n’y a riē que le, vray feu d’amour qui m’eſlance : Ie vous pardōne tout ce qui peut offencer vn Roy, ie n’entēs point les reproches qui m’appartiendroient, ſi la loy ne dependoit de moy. Ie ne veux rien aperceuoir de ces defaux cōmis cōtre ma dignité : car ie me ſuis addonné à vous par tel excez de vertueux amour, que ie vous feray paroiſtre, pource que ie le veux, qu’il n’y a que la vertu qui m’ait induit à vous aymer : & pour autant que vous eſtes galāde, & auez vne belle preſomption, ie veux par elle-meſme vous vaincre, ou ployer ſous vous, s’il ſe peut, parquoy ie veux que vo9 obteniez par voſtre dexterité (qui eſt voſtre reſte) ce que vo9 pretēdez, ou que vous vous deportiez de voſtre pretētion, pour obeyr à ce que vous me deuez. Et afin que ie ſois d’autāt iuſte cōtre moy, que ie le doy eſtre en cōſeruant le droit de mō peuple, tout maintenant & tandis que nos cœurs y ſont diſpoſez, ſuiuant leur alteration, faites aporter voſtre arc & vos fleſches, & ayant les miennes en ceſte galerie, nous ferons vne galanterie qui me liberera de voſtre importunité, ou vous maintiendra en voſtre preſomption, Nous tirerōs trois coups pour ceſt effect. Feriſtee s’accorda à la códitiō que le Roy auoit iugee, puis tous deux ſe trouuerēt au lieu deſigné. Le Roy ayāt fait appareiller la gallerie, fit mettre au bout opposé à celuy où il eſtoit vne grāde ouale d’argent, ſouſtenuë d’vn pieddeſtal, & par la lumiere des flambeaux monſtra à Feriſtee que c’eſtoit le but où il falloit tirer, lors que les feux oſtez, ils tireroiēt poſſible à l’auanture, & poſſible à l’eſgal de l’adreſſe. Les lumieres oſtees, le Roy qui ſouuent auoit fait cet eſſay, tira trois coups qui furēt ouys, d’autāt que la lame reſonna par l’atteinte du trait. Apres celà il dit à Feriſtee, faites autant ou mieux, vous auez ouy ce que i’ay executé : Sire, dit-elle, deux ſens ſont plus qu’vn, puis le plus exquis dōnera vn iugement plus aduantageux : alors ayant l’arc preſt, elle enfonça ſa fleſche, qui donnant ſon atteinte, ſe fit bien ouyr, apres elle decocha les deux autres coups, qui ne donnerent non plus de ſon, que ſi la fieſche euſt paſſé aupres du but oppoſé en le frayant. Et bien luy dit le Roy, qui a gaigné ? Sire, dit-elle, la veuë en rēdra teſmoignage. Les feux remis, on alla viſiter les fleſches, celles du Roy auoient chacune fait leur paſſage, ce qui fut cogneu & bien remarqué : mais celles de Feriſtee dont la premiere ſeule fit du bruict, n’auoient ſuiui qu’vne voye, car la belle auoit ſi biē addreſſé ſes coups, que la premiere ayant faict ouuerture, fut ſuiuie des autres, ſi que par le iugement meſmes du Roy, Feriſtee auoit le mieux fait, & pourtant ſa requeſte ne luy fut pas accordee par Roſolphe, qui opiniaſtre au vain maintien de l’opinion de ſa grādeur, ayma mieux libremēt ſe fruſtrer du plaiſir plus Vingulier que les feintes d’amour ptopoVent, que de retrācher de ſa gloire, en cōmuniquant la moitié de ſon authorité à vne fēme. En ceſte tentation il demanda à Feriſtee ſi elle vouloit pas bien luy donner encor vne preuue de ſa dexterité, ſuiuant les meſmes conditions de tātoſt, à quoy s’eſtant hūblement ſoubmiſe, la partie fut arreſtee au lendemain, & la belle fut conduite en ſa chambre en ſon particulier. Il y auoit en la court du Palais l’effigie d’vn des anceſtres du Roy, ayant vn ſceptre en la main : Roſolphe cōmanda qu’on oſtaſt ce ſceptre, & que ſur la main on miſt vne orenge, puis l’heure venuë, il la monſtra à Feriſtee, luy diſant que ſi elle pouuoit ſi biē tirer, qu’elle oſtaſt ceſte orenge, & la remiſt ſans qu’elle touchaſt à terre, qu’il luy accorderoit ce qu’elle auoit demandé. Elle luy reſpond auec tout reſpect, qu’elle eſtoit preſte d’effectuer ce qu’il auoit propoſé, ſi luy-meſme qui eſtoit l’vnique entre les accomplis, en venoit à chef. Le Roy qui auoit premedité ſon affaire eſleut la fleſche faicte expres, & tira ſi proportionnément, qu’il enleua l’orenge & la fleſche qui la trauerſoit, cheut plantee en terre, ayant l’orenge pres l’empanage puis il prit la fleſche, & pouſſant l’orenge au bout, tira en l’aër auec telle raiſon, que la fleſche s’eſtant tournee, vint tomber le fer dans l’anneau que faiſoit la main my-cloſe, & laiſſant l’orenge deſſus, vint ſeule par ſa peſanteur choir perpendiculairement en terre ſous la main de la figure. Ceux qui auoient admiré les coups faicts en l’obſcurité, s’eſmerueillerent encore plus de ceux-cy, eſtimans qu’il n’y auoit plus d’inuentiō pour les effacer : Feriſtee ayāt conſideré ce qu’elle deuoit executer, choiſit entre les fleſchescelle que elle eſtimoit propre à ce qui ſe preſentoit : & ayāt l’arc en main ſe mit deſſous la figure, ordonnāt ſi iuſtement ſon coup, que la fleche decochee paſſa dans l’ouuerture de la main, emportant es airs l’orenge auec ſoy : puis ayant acheué ſon eſlancement vers le haut, ſe tourna ſi iuſtement, qu’elle reuint à plomb tomber au meſme endroit par où elle auoit paſſé, auquel lieu elle laiſſa l’orenge, & ſe ficha en terre, à l’endroit que celle du Roy s’eſtoit plantee. La vertu de ceſte Dame donnant d’vn autre trait dans le cœur du Roy, luy cauſa vn ſi vif deſplaiſir, que de regret deveoir ſa dexterité fleſtrie à l’ombre des perfectiōs d’vne ſimple demoyſelle, ſe mit au lict, plus atteint de fureur que de mal : là ſon dépit le recuiſant, il fantaſioit mille idees de vengeance contre l’amour, la Belle & ſoy-meſme, pour auoir apres tant de reſolutions donné entree à ce ruyneur de cœurs : lequel l’a tant raualé de courage. Ses malignes.pointes luy ſuggererent en fin vne cruauté que le dedain forgea ſur ce qu’il creut, que le meſpris auoit cauſé ces malheurs, parquoy ſe voyant ingratement foulé par l’orgueil outrageux d’vne qu’il a voulu faire plus grande qu’elle ne meritoit, ſelon qu’il le iuge en ſon amertume, il s’enuenime du tout contre elle, & en la vigueur de ſon indignation plain d’ire, excité de courroux & meu de douleur impatiente, commanda à quatre ſoldats de ſes gardes, d’aller incontinent ſaiſir Feriſtee, & la ietter en la foſſe de la tour, où repairoiēt les chiens dangereux, laiſſons luy prēdre vn peu de repos, à ce que toutes ſes fortunes ne la uyuent pas ſi viuement, & puis tantoſt nous acheuerons.