Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise I/Frontispice

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L’HISTOIRE

VERITABLE,

OV

LE VOYAGE DES PRINCES

FORTUNEZ.

ENTREPRISE PREMIERE :

FRONTISPICE.




Es Rois verront icy la gloire de leurs magnificences, les Grands qui ont fait eſtat de la Vertu, iugeront par ces diuerſitez des fruicts heureux que produisent les actions genereuſes : Et les Dames pudiques iettant l’œil sur ces trauerſes y remarqueront les fideles profits qu’apportent les passions legitimes conduites par la Raison : Car toutes ames d’honneur que la curiosité pouſſera vers ces recherches, diſcerneront en ces meſlanges les effects accomplis qui reüſſiſſent abondamment du Devoir. Mais ie demande pardon au Ciel, à l’Amour, & aux beaux eſprits, de ce que ie preſente indiferemment à tout le monde les excellens myſteres de perfection, pour ſouffrir meſmes les plus ineptes eſtre iuges de cet ouurage. Le Ciel me le pardonnera, d’autant qu’il m’a conduit auec les autres, qui tant plus ont excellé & plus ont eſté ſuiets aux iugemens des moindres, & de ceux qui eſtoient indignes d’y penſer, l’Amour m’excuſera pource qu’il veut que ſes feux paroiſſent ; & les beaux Eſprits me remettront ma faute, pour autant que leur loüange s’augmentera en ce qu’ils ſont ſeuls, auſquels i’adreſſe ces raretez pour leur y repreſenter ce que ie tiens d’eux : Si ie ſuis moindre que pluſieurs qui excellent, ma reputation fera qu’ils m’enſeueliſſent en l’honneur de leurs merites ; Si i’en egale quelques-vns, ils ſeront touſiours mes lumieres ; & ſi quelqu’vn taſche de me faire voir au deſſus de ma valeur, i’auray ce beau contentement de l’auoir eguillonné à la iuſte enuie qui nous meine tous vers le terme de felicité : Et ceux que ie ſurpaſſeray n’auront point honte de ma gloire, qui ſera le Fare de leurs eſperances. Doi-je craindre le haſard qui eſchet aux plus grāds ? Ces memoires auront-ils la diſgrace de tōber quelques fois entre les mains communes ? Les bouches ignorātes profereront-elles ces paroles qui enuelopent tant d’exellences ? Qu’il arriue ; Si est-ce que i’auray ce glorieux auantage pour conſolation, qu’il n’y aura que les ames d’intelligence qui conceuront ce qui eſt icy de notable, les prudens ſeuls l’entendront ; & ce qui eſt de beau ne fera point, le chant ny les paroles vagantes des indiſcrets : Et bien que parfois les aërs apparens en soyent poſſible reſonnez par les leures abiectes, le ſecret pourtant n’en ſera cognu que des Sages ; C’eſt ce que mon courage reſolu m’en fait penser. En cette liberté vous ayant pour guide aſtre de mon bon-heur, vous seul dont l’vnique faueur m’eſleue à produire ces grands deſſeins ; ie ne fay plus de difficulté d’eſtaler les precieux ſecrets de Sapience : Ie me licentie donc, & prenant carriere pour eſtre conduit aux vrais ſentiers d’Amour, ie m’adresse auſſi à vous Belle que ie reuere sous plusieurs de ces noms, eſquels la vertu reluit ; à vous lumiere de mon cœur de laquelle ie chante l’honneur sous ces feintes veritables où ie meſle mes deſirs, mes ſeruices, mes paſſions, & les galantises de ma dexterité : Prenez y plaisir, afin que ie trauerse heureusement toutes dispositions contraires à mes belles entrepriſes. Et vous tous qui participerez à ces delices, rezſiouyssez-vous d’icelles & les goustez ; Ne pensez pas que ces Rois ſoient causes de ces effects : Amour qui triomphe de tout, les a reduits ſous son obéissance pour les faire trophees de mes artifices : Ce n’eſt pas aussi pour leur seruices que ie m’occupe ; ie les fay seruir aux intentions qui eſlancent ma valeur : Ceux qui ſont maiſtres de leurs penſees sont Rois en leurs courages ; ce qu’ils honorent, est la loy & le loyer qui les contraint à mettre au iour ce qu’ils meditent. Ces escriuains qui se donnent de l’affliction au recueil des Hiſtoires dont possible ils ne ſçauent rien, pource que tout ce qui fort des humains, est souuent iuiet à ne conuenir à la verité. Ces pauures qui mercenaires se moleſtent l’ame à esſrire les actes des Grands, ſont ſeulement proclameurs de la gloire des autres, qui ont l’honneur entier des actions vertueuses. Ie ne ſeray point de la ſorte, car ſans eſtre suject à la calomnie qui les perſecute, ou aux reproches probables, ie me trace vne belle voye auec la Renommee, en laquelle ſans crainte ou ſoucy des censeurs iniques, ie m’eſgaye en mes precieuses inuentions. Ie ſeray le ſujet & le Heraut de mes geſtes, & sauourant ma vie, ie la dilateray à mon gré en ces beaux proiects, eſquels ie remarqie, voile, ou deſcouure industrieuſement parmy les mignons creſpes de ces deſſeins, ce qu’il y a de recommandable és plaisir d’esprit, recueüillant de quelques ouurages d’autruy ce qu’il falloit ioindre à mes agreables fantaiſies. ainſi meſtant le mien de ce que i’ay glorieusement enleué aux champs par leſquels i’ay passé, ie vay ſuyuant les pointes des occaſions qui m’attirent apres les idees, leſquelles me fourniſſent ces abiſmes de contentements en l’obiect de mes vertueuſes affections, & puis tout nous eſt permis. Et ma Belle ie vous proteſte que

Ce n’eſt point mon deſſein de dire des grandeurs.
Les Princes ny les Rois, ne ſont point ma penſee,
Amour domteur des grāds, monarque de tous cœurs,
D’vne plus belle pointe a mon ame eſlanncee.
Amour veut que raui de vos perfections
Je N’aye que vous ſeule obiet de ma memoire,
Que ie n’aye autre but preſſé de paſſions
Que uous le ſeul ſujet de mon unique gloire.
Les Rois ne me font rien, ie n’ay Rois que vos yeux
Qui ſeuls ſont ſur mon cœur abſolu en puiſſance,
C’eſt icy que ie veux paroiſtre ambitieux,
car ce fuiect est ſeul le ſuiect d’importance.
L’eſperance des Grands ne tend qu’à vanité,
La Fortune s’en ioüe, & le Temps la meſprise.

Mais des deſſeins tracés au iour d’une beauté
La fortune s’auance, & le Temps s’autorise
Auſſi ie ne pretends autre felicité
Que de me conſumier en ma fidelle flame,
Car ie ne recognoy que la ſeule beauté
Qui cauſe, & qui nourrit, ce beau feu dās mon ame.
Je n’ay point de deſir de Fortune ou d’eſpoir,
Que de me diſposer à uous faire ſeruice,
Mediter apres uous, & uous rendre deuoir,
Eſt de mon cœur heureux l’agreable exercice.
Vn doux aër de uos yeux bluettant doucement,
Plus que toutes grandeurs mon ame gratifie,
Je ne vay recherchant autre contentement
Que uiure de ces feux qui font uiure ma vie :
Ma Belle croyez moy que ie n’eſtime rien
Aupris d’auoir l’honneur de uoſtre belle grace,
Seulement le penſer, m’apporte tant de bien
Que tout autre deſir de mon eſprit s’eſface.
Ie ne practique point les Rois pour leur faueur,
Et ie ne diſcours pas ainsi qu’un mercenaire ;
Je ſuis aſſez contant de uous dire l’honneur,
Que i’ay de rechercher ma Belle à uous complaire.

Toutesfois quand les deſtours de mes penſees m’en donnneront le loiſir, & que ie m’auiſeray de preſter mon induſtrie aux geſtes recommandables de quelque Roy qui m’excitera dignement à manifeſter ſes vertus aux yeux du monde, il ny aura rien de galant que ie ne propoſe ; rien de braue que ie ne face briller, & rien de vertueux que ie ne face eſclatter : Et bien que parauanture les paroles que i’en retracerois, fuſſent de petite apparence, ſi eſt-ce que ſous l'humble eſcorce de ma façon de dire on verroit tant reluire de beautez, qu’encor que le ſujet de mon diſcours fut tout grand, on doutera qui ſurmonteroit en gloire ou le Prince ou l’Historien.