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Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise II/Dessein VII

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DESSEIN SEPTIESME.


Aduis des Fortunez pour deſcouurir la trahiſon. Inuention de l’Empereur pour y paruenir. Diotime parle à Paramißia, qui preſumant eſtre aymee de l’Empereur, declare toute la trahiſon premeditee.



LE lendemain à heure propre, l’Empereur fit appeller les Fortunez, & les ayans pris à part leur dit, à la verité ie recognoy par la preuue que vous auez raiſon en vos paroles & actiōs, qui fait que i’ay vne grande croyance en vous, parquoy ie vous prie que vous faciés en ſorte, que ſi Paratolme a quelque mauuais deſſein, ou machination cōtre moy, on le puiſſe deſcouurir, & ſ’il ſe trouue coulpable, i’eſpere le faire auſſi biē punir comme i’ay iuſtement chaſtié le fils. C’eſt icy où il faut trauailler, en quoy vous eſtās employez ie vous demonſtreray apres quel honneur & recōpenſe ie ſcay faire aux gens de bien. Vivarambe. Sire, Voſtre bonté nous oblige tant, que nous ne pouuons n’y oſons faillir à noſtre deuoir, & ſ’e— ſpere Dieu aydant, que mes freres me cöduiront # bien en ceſte entrepriſe, que nous en verrons l’iſſuë en brefà voſtre contentement.Ie vous de clareray ce que nous en auons medité : mais vous diſant noſtre intention, Sire, elle demeurera en l’enclos du ſecret de voſtre cœur.Nous auös deſ couuert que Paratolme eſt eſperduëment eſpris de labelle Paramiſſia, qui eſt encor fortieune, & il eſt d’âge, toutesfois il ſemble qu’elle préne plai ſi à ſa recherche, à cauſe de ſa grande fortune : Quät à luiil n’y eſpargne riéfaiſant le ieune, & le galant tant qu’il peut, on croid qu’en fin ill’eſ pouſera ; Ceux qui ne conſeruent point l’höneur des Dames, en diſent ce que d’opinion ils en croyent, eſtimãs qu’il ſoit vray.Ceſte demoiſelle eſt fort prudente, & qui tirera de lui auſſi bien les ſecrets que l’argent, celui qui abâdonne ſa bour ce à l’amour, donne aux femmes ſes penſees en proye.Les femmes sôt curieuſes de tout ſcauoir, rien ne leur eſchappe de ce qu’elles deſirent de ceux qu’elles poſſedent. Partant ie croy qu’il ne lui aura rien cellé, meſmes ſ’il a quelque grand coup à faire, illuy aura declaré : afin que § dé couuerture de ſon ame, qu’il luy aura manifeſtee à nud, elle ſoit aſſeuree qu’il l’ayme. Noſtre auis eſt d’vne cötre-batterie : la demoiſelle eſt de grä de & illuſtre maisö, mais pauure au pris de la no bleſſe : dont le caractere fait que l’on n’ait que la grandeur en recommendation, ce que nous pre—. tendons, eſt que par ſous-main & par l’induſtrie d’vne femme honneſte & fine, vous luifaciez en tendre que vousl’aymez, &que ſi elle veut obtēperer à vos ſaints deſirs, que vous la rendrés plus u’elle ne peut ſouhetter : ſoudain ceſte vanité de # penſer aymee de voſtre majeſté, ſurquoy elle fondra infinis grands deſſeins, pleins de belles · imaginatiös, ſera cauſe que ſ’il lui a declaré quel que point de ſes affaires, &mauuaiſes intentions, vous le ſaurez ; careſtant atteinte ou d’amour ou de gloire, elle ne pourra rié celler, parce que tou te ſuperbe de ſi belle auentute, elle oublira toute autre amitié pour penſer à ce nouuelobiect, l’a— bondance d’vne imaginaire grãdeur eſperee, luy fera mettre ſous pied, tout ce qui ores lui eſt de plus recommandable.Sire, auiſez pour autoriſer mon dire, que telles femmes ont les cheueux bië longs, & leiugemét bien court & puis qu’eſt-ce qui plaiſt le pl°àvne femme, qu’eſtre recherchee & encores du plus grâd ? Qu’elleſentira d’aiſe en — sö ame, que ſes perfectiös lui cauſent vne ſi belle fortunel Nous croyons que ce conſeil eſt bon & qu’il eſt expedient d’y entêdre. Cetauis approu ué, l’Empereur luymeſme pour plus ſeurement cöduire ſon affaire, parla à vne ſage Dame ancié ne, dont il eſtoit aſſez familier, & lui dit, Diotime vous ſcauez de quel pied i’ay touſiours marché & que ie n’ay iamais voulu ſouiller mon nom de mauuaiſes actions, partantie croy que vous eſti, merez vray ce que ie vous diray, & que vous fe rez ce dontievous priray.vous cognoiſſezPara miſſia qui eſt belle& galante, appartenât à beau coup de gens de bien : Elle eſt fort curieuſe & on m’a aſſeuré qu’elle avn ſecret excellët, qu’vn no table Curieux lui a enſeigné, ie ne vous dy point que c’eſtd’autãt que voſtre eſprit ne ſ’eſt pas addōné à tels ſujets, mais ie vous declare que fe fuis fortaffectiöné de le ſçauoir, & ie n’ay qu’vn mo yen d’y paruenir, parce que luy demandant nai uemêt, elle deguiſera l’affaire & ſ’excuſera, ſi que ie n’yauiendray point : i ay imaginévn artifice où vo"me pouuézaider fauorablemét, c’eſt que i’ay penſé de feindre que i’ay de l’amour pour elle, & pourceie vous prie de luy en porter parole, luy declarant que ſi elle veut m’aymer, que ie feray tant pour elle, que ſa fortune & celle des ſiens en reſplédiront, &par m eſme moyen vous lui don nerez ce diamant en arres de ma bonne volonté.. Ie ſcay que ſi elle eſcoute, ie pourray auoir d’elle le ſecret. Auiſez döc à conduire ce fait ſelon vo ſtre prudence. DIoTIM E. Ce grand amour que vous auez à la vertu, & la grande crainte de Dieu quevous auez, fait que ie ne preſume rié de mau uais en ceſt affaire, & pource ie ne diſputeray, point en mon cœur pour ſcauoir ſi ie vous dois obeïr ou non, mais de franche volonté ie feray ce que me commādez:car ie croy que c’eſt pour vn bien, & qu’en tout il n’y aura point de mal, ceſte bonne creance m’aſſeure du tout, parquoy laiſſez moy faire. La ſage Dame eſpia le temps qu’elle trouueroit Paramiſſia à propos, & § viſiter.Apres vne viſite ou deux & Diotime ayāt preparé le diſcours, fit tomber la belle au point de luy dire; Vo° pouuezvous eſtimer la plus heu-, reuſe du möde, pour vn ſecret queie vous decla reray:L’Empereur ſcait bié queyous auez de l’af fection pour quelque ſeigneur, que chacû croid † vous eſpouſerez, mais ſi vo° voulez bië pen—. er en vous, il ſe preſentevn bien contre fortune; L’Empereur vous ayme d’amour, &m’a cöman dé de le vous dire en ſecret, & vous auertir de ne le deceler point : d’autãt qu’il veut que cet affai re ſoit cöduit en ſilence, & ſecrettement, à cauſe deMadame ſa fille, qui le ſachant pourroit l’en deſtourner par l’entrepriſe de ceux auſquels elle en parleroità voſtre deſauantage, auiſez-y& ne melpriſez rié.Qui eſt-ce qui ſcaitce qui peut aue nir,il ne faut qu’vn hazard, vne viue pointe d’af · fectrö, qu’il vous feraImperatrice, &afin que vo* ſachiez que ce n’eſt point feinte, voilail vous en | uoye ce diamant en ſymbole de parfait amour. Paramiſſiafut fort eſtönee de ce meſſage, & aiſe pourtät de ceſte nouuelle qui la troublavn peu, tät pour le magnifiquehazard dont elle ſevoyoit eſmeuë, que pour ne ſçauoir cöme elle ſe deuoit reſoudre, & en ceſte ſurpriſe ne peut faire autre reſpöſe, que derecognoiſſance de ſon peu de me rite, & excuſes ſur trop d’honneur qui lui eſt fait, mettäten auātles belles & douces conſideratiös qu’ô propoſe par maniere de refus, quãd on veut honneſtement accepter vne offre. Diotime co gnoiſſant l’inquietude de ce cœur touché au vif, par vne ſi auâtageuſe auanture, & iugeant de l’vl cere, que ce coup a fait en ceſte ame auecvne ſui te de belles paroles, diſpoſa la Belle d’acquieſcer au b6 vouloir de ſon Prince.A quoy elle cötinua u’elle feroit ce qui ſeroit en elle, mais qu’elle le § que comme iuſte tel qu’il eſt recognu, que ce futauec cöſeruation de § höneur.Quel ques iours apres Diotiume veint voir Paramiſſia, & lui cóta côme l’Empereur auoit trouué bónes ſes excuſes, & reparties, vsät d’vn ſi doux artifice qu’elle enfiâma tät ceieune courage en l’amour du Monarque, que les dedains cömencerët à nai ſtre contreParatolme, lequel en deuis ordinaires & particuliers auec Diotime, elle deſchifroit deſ ſia de toutes ſortes, le pourtrayât de ſes propres ualitez.Ainſi trâſporté de la vanité de ſa pëſee, elle ſe deſcouuroit à la ſage Dame, de tous § ſe crets de ſon cœur : ces entreueuës n’eſtoyêt point nues, elles eſtoyent accôpagnees de quelque ex uis preſent à la Belle, qui fut toute induite à cö § au bon plaiſir de l’Empereur, Vn ſoir que ces deux Dames eſtoyét en profond diſcours, Pa ramiſſia ayât parlé de pluſieurschoſes, qui toutes diuerſes tomboiët en fin ſur ſon amour, en iettät vn grād ſouſpir, qui leua de l’eſprit de laBelle tou † conſideratiös qu’elle eut peu auoir pour Paratolme, fit auſſi couler quelques larmes, & la fit ainſi parler : Ma mere, i’ay tât d’obligation à ce bon Empereur, que ie ſerois tropingrate, ſi de toute ma puiſsäce ie ne procuroisſon bié, le pou uant, & n’empeſchois le mal qui lui peut auenir, & me dirois trop indigne de viure, ſi ayât moyen de deſtourner ſa proche ruine, ie ne m’y emplo yois, en § d’vn malheur qui lui eſt pre paré.Sachez, Madame mamie, que ce deſloyal Paratolme qui me penſe eſpouſer, & auquelie n’ay pas encor donné congé parce queie leveux tenir en l’eſtat accouſtumé, à ce que ie puiſſe fai re vn bon ſeruice à mon Empereur ; le traiſtre a malheureuſemët coniuré de faire mourir noſtre ſage Monarque, & ce par vn moyen non encor ouy, & d’vne façon qui n’a point ſa sêblable en tre les trahiſons les plus deteſtables. Il eſt reſolu en ſon meſchât deſſein, pour auoir la végence de la mort desö fils, & aiuré qu’il n’auraiamais pa tiéce ni repos qu’il ne l’ait executee, & pour cet effet, il doit däs peu de iours chercher l’occaſion de prier ſa Majeſté, de ſe trouuer en vn banquet magnifique où il apelleratous les Princes, & ſei gneurs & beaucoup de nobleſſe : meſme ce qu’il eſt abſent, eſt pour ce ſujet, & eſt en vn lieu auec vn grãd Alquemiſte, où il prepare vn venin ſi de licieux, qu’il afferme qu’il yaura du plaiſir de ſa uourer la mort par sövſage, & c’eſt ce dötil doit faire mourir l’Empereur : mettât ceſte drogue en vne potiö qu’il lui preſentera au lieu d’hypocras, il ſ’aſſeure que l’Empereur la prédra, côme autre fois il a pris d’autres exquis breuuages en tels fe § eſtoyët preparez pour ſa ſanté : Et l’excellëce de ce venin eſt, qu’il ne rëdra aucû ef fet de ſavertu que † heures apres, qu’é faiſant dormir, il multiplira puis apres ſi fort le ſommeil qu’il deuiendra perpetuel, & terminera la vie, ainſi ce mortel poiſon eſteindra l’Empe reur, sãs qu’on ſe puiſſe aperceuoir de ceſte meſ chāceté.Ie vous prie qu’il ſoit ſecretemétauerti de cecy, quât à moy ie feray böne mine, & entre tiendray égalemét ce meſchât, de peur de l’éfa roucher, & par effet l’Empereur iugera cöſiderät ce ſeruice, queie lui ſuis treshüble& qu’il ne m’a pas † pour en eſtreingrate, & afin qu’il co gnoiſſe laverité de tout, il ſera bö qu’il ſe trouue au bäquet, où il n’y aura rié de dägereux, &n’aura qu’à ſe † de prédre la colation, de laquelle la coupe ſera empoiſonnee devenin.La ſage Dame oyant ces diſcours iugeoit que c’eſtoit le ſecret que l’Empereur vouloit deſcouurir, & cependāt, elle admiroit le courage de ceſte fille, toutesfois elle trembloit dās le cœur au recit d’vn tāt enorme cōſeil, dont elle eut eſté troublee, ſi la ſageſſe ne lui eut apris à diſſimuler, parquoy ne faiſant autre ſemblāt que de ſ’eſmerueiller de telle entrepriſe, l’inuitoit de perſeuerer en ſi bon deuoir, qui ſeroit ſuiui d’vne notable recōpēſe, & entre meſlant pluſieurs perſuaſions & deuis familiers, diſpoſoit l’ame de la Belle encor plus ardēment en ſon eſperance, qui ne lui faiſoit rien imaginer moins que d’eſtre vn iour Imperatrice. Diotime eſtāt venue vers l’Empereur, ſceut choiſir le tēps, & lui fit entēdre par le menu tout ce qu’elle auoit deſcouuert, qu’il cōmuniqua aux Fortunez : ce pendāt elle gouuernoit paiſiblemët Paramiſſia, augmētant en ſon cœur par beaux diſcours, preſens & promeſſes les deſirs qui l’eſlançoient.