Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise II/Dessein XVI

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DESSEIN SEIZIESME.


Viuarambe preſente ſon ſeruice à la Royne, qui le recoit ſous belles conditions. Apres le banquet il fait chanter vn hymne d'amour en ſa faueur, & partant luy laiſſa vn doux adieu.



VIuarambe ayant occaſiō de repenſer à ce qui s'eſtoit paſſé, & voyant à quelque geſte l'alteration de la Royne pour ſon ſujet, & que d'effect elle ſe rēdoit fort accoſtable, & ſur tout à luy ſe dōna licēce de ſe diſpoſer à la ſeruir : & n'auoit plus autre peine, que la crainte qu'il auoit, qu'elle leur dōnat congé trop toſt. Parquoy il ſollicite promptement ſon cœur à l'auācement du plaiſir qu'il reçoit à s'obliger à ceſte belle Royne, piquée de meſme, & qui eſmeuë du pareil ſoin, trouue tous les iours diuers & cōmodes moyens de retenir ces Ambaſſadeurs, qui eſtoyēt aſſez contents d'eſtre forcés à ce qu'ils deſiroyent : car Viuarābe auoit cōmuniqué ſon affaire à ſes freres qui l'approuuoyent. Et pour en eſtre reſolu, & ſ'il ſeroit accepté de la Royne, vn iour, que ſelō ſa couſtume elle entretenoit puis l'vn puis l'autre des Fortunez, remettāt leur depeſche au retour d'vn ſiē ſecretaire d'eſtat qui negardoit l'heure d'arriuer de la Chine, où il eſtoit allé pour en amener des Imprimeurs, afin de renouueler la Bibliotheque Royale ; Elle deuisāt auec Viuarābe, il vint à propos de faire quelques queſtiōs, & apres quelques vnes reſolues, il lui demanda ſ'il eſtoit touſiours permis aux aigles de regarder impunément le Soleil ; Elle reſpond qu’ouy, à quoyil replique, il m’eſt donc permis de porter ma veuë iuſques à vous pour en tirer ma lumiere, & ma vie, par quoy auec ceſte aſſeurance, ie vous offre mötreſ humble ſeruice. Ou pour le cöſeil que par la loy qu’en auez eſtablie, vous deuiez prëdre de moy, ou pour eſtre accepté devous pour celui que vo° eſlirez par mon auis : LA RoYNE. Veu l’ordre que vo*y tenez i’approuue fort voſtre courage, & veux bien vous receuoir pour mien, mais #ie fais vne affaire de telle cöſequéce ſi ſoudain, il së, blera que ce ſera àl’auãture& poſſible vous meſ | mes aurés mauuaiſe opinion de moy, m’eſtimant ou volage, ou de peu de reſolutiö : Parquoy pour preuue de ce que vous eſtes, & pour demöſtratiö devoſtreamour faites que ie ſois induite à me ré dre voſtre, & ie ſeray preſte à vous rédre ſelö vo · ſtre merite amoureux, & trouuerayaſſez d’occa ſion de vous faire paroiſtre mon affectiö : cepen dant cherchez le moyë de me conquerir, & vous cóquerrez auſſi ce Royaume, mais auiſez que ce ſoit galäment, & auec ce qui cöcerne ma reputa tion : ils eurét pluſieurs autres deuis de fidelité, & d’aſſeurance & le ſecretaire arriuéils eurêt quel que böne parole enſemble au futur côtentemét de leurs cœurs. Les freres bië contants de l’heur de ſi bon voyage, practiquerent leur congé qui fut auiſé au premier iour, & laRoyne depeſchale Marquis de Bariſe pour aller vers l’Empereur re porter le miroir, le chargeât de toute ſa volöté, Leiourde deuât elle fit vn sôptueux bäquetaux Ambaſſadeurs Glindiës, où aſſiſterët les Princes & grands du Royaume. Le ſoir venu le feſtin accompli, les exercices de toutes ſortes & ſelon le temps furent mis en auant, & la muſique donnee à la fin de laquelle vn page de Viuarābe veint auec vn lut, & chanta deuant ſa majeſté cet aér, ioignant ſa voix aux accords,

Ie neſcaurois aymer vn ſujet tranſitoire,
Il me faut vn obiet qui ſoit digne de moy,
Ma valeura tant mis en moname de gloire
Que ie n’oblige point aux vanitez ma foy.
Belles conceptions qui releuez mon ame,
Ne vous eſlancez pas apres de vains obiets,
Mais ſuiuant les ardeurs de ma celeſte flame,
Auancez mes deſſeins de deſſeins plus parfaits.
Que l’vnique beauté ſºit voſtre but extreſme,
Que la perfection vous eſneuue touſiours,
Ie veux aymer ainſi, ainſi le grand cœur ayme,
Car l’ame de valeur n’a point d’autres amours.
Mes ſens ſont eſpurez, ma ſainte intelligence
Dans les ſecrets diuins recherche ſes plaiſirs,
Et ayant recognu la plus parfaite eſſence
De ce qu’il faut aymer, y porte mes deſirs.
Mais ainſî releué, ie ſens mille trauerſes
Trop ſeparé du but de mes perfections,
Et tant ſollicité de mes peines diuerſes,
Mon ame n’eſt que feu, mon cœur que paſſions.
Cét agreable mal qui fait que ie ſouſpire
Qui me point nuict & iour n’eſt trauail ny douleur,
Ains vne viue ardeur qui toute ſe retire
Auec ſa violence, au centre de mon cœur.
Puis eſtant ſeparé du bien de ma penſee,
Mō biē me cauſe vn mal cruel en doux tourmēt,
Ce doux cruel tourment, qui m’a l’ame eſlancee,

Par mille doux efforts l’afflige douçement.
Ainſi que le Phœnix qui ſon corps renouuelle,
Sent de ſon dernier feu les poignantes ardeurs,
Mö cœur qui s’eſt bruſlé das les yeux de ma Belle
Sent par ce feu diuin trop de belles douleurs.
Ce bien-heureux oiſeau pour ſe reduire en cendre
Afin de viure encor plus celeſte & plus beau,
Deſſus l’autel ſacré au ſoleil, ſe vient rendre
Dans ſon buſcherformédu plus rare rameau.
Ainſi mon beau deſir heureuſement m’adreſſe
Au temple, ou de l’Amour lege la deité,
Là pres de ſon autel és yeux de ma Deeſſe,
Ie me viens conſumerpour viure enſa beauté.
Ceſte beauté d’honneur qui ſeule eſt tout merite,
Éſtant l’organe ſainct de mes intentions,
Fait que me conſumant heureux ie reſuſcite,
Pour eſtre tout d’amour bruſlé d’affections,
Voila mon beau deſir qui n’eſtpoint periſſable,
Auſſi ien’erre pas apres la vanité,
Le beau trait de beauté qui rend ma dame aimable,
N’eſt que l’vnique effort dont ie ſuis arreſté. |
Et bien que de beautez elle ait toute la grace,
Que tout l’effort d’amour ſe liſe dans ſes yeux,
Une belle grandeur qui toute autre ſurpaſſe,
Fait d’elle preſumer cela qu’elle a de mieux.
C’eſt ce parfait eſprit quiſes beautez anime,
Dont la perfection iamais ne changera,
C’eſt ce rare pouuoir qui mon ame domine,
La beauté qui touſiours mon cœur enflamera
Cet eſprit eſt du mien la parfaite harmonie,
Qui m’adreſſe aux beauteX recognues des yeux,
Et ſa perfection la beauté non finie
Qui pouſſe mes ſouhaits biºplus loin que les cieux

si j’aime ſeulement vne beauté mortelle,
Quand elle paſſera, mon amour deffaudra,
Mais mon cœur eſt eſpris de la forme eternelle,
Qui m’allume d’vn feu qui point ne s’eſteindra.
Or ma belle c’eſt vous qui eſtes ma conduite
A ſi braues deſſeins, oit ie vai m’eſleuant,
Si vous m’attribuez vn peu voſtre merite,
Vous me verrez encores auancer plus auant.
Uoilà comment par vous ma fortune eſt heureuſe,
Auſſi rien ne m’eſt beau quand ie ne vous voi pas,
De meſme mon amour vous rendra glorieuſe,
Car mon cœur eſt ſi grand, qu’il n’aime riē de bas.

Le lendemain que tout fut preſt, les Fortunez prirent congé de la Royne qui leur ordonna vn conuoy magnifique. Ainſi ils partirent emportās beaucoup de ſignes de bonne volonté de tous ceux du pays. Or eſt il que la Royne auoit à chacun fait vn beau preſent, mais à part elle auoit dōné à Viuarambe vne bague de ſept anneaux qui ſe ioignoient par vn tel artifice, qu’ils n’eſtoient que vn, ayant ſept chas, en chacun deſquels eſtoit vne pierre vnique en valeur, &differente de toutes les autres, & chacun des anneaux pouuoit eſtre ſe paré : & luy il luy donna vn colier fait de quatre pierres Hermetiques ſupportees de criſtal, œuure admirable & tellement recherché d’ouurage, qu’il peut eſtre dit le Seul, il l’auoit eu de ſa bonne ſœur Olocliree, la Royne luy iura de ne le laiſſer iamais : auſſi elle le portera auec ſon amour autant que ſa vie, & le Fortuné touſiours accompagné de ſon anneau pluſieurs vn, le tiendra autant cheremēt que ſon ame, laquelle ne ſe pouuant biē conſoler qu’auec ſa Royne, ſe coula toute en ceſt adieu qu'il gliſſa entre ſes mains à ſon partement, apres lequel ſouuent elle conferera cōme s'il luy racontoit la preſence & abſence de celuy dont inceſſamment l'idée l'eſmouuera.

C'eſt faict, ieſuis perdu, ie n'ay plus de courage,
Ie ne recognoy plus comme il faut deſirer,
Vous eſloignant ie ſens au cœur tant de dommage,
Que i'ay preſque perdu le moyen d'eſperer.
Non, ie ne viuray plu, car i'eſloigne ma vie,
Ie ne verrai plus rien perdant voſtre clarté,
Ia mon ame d'ennuis eſt toute enſeuelie,
Et mon cœur affligé tout plein d'obſcurité.
Il vous faut dire adieu, belle ame de mon ame,
Ie ne puis differer ce depart ennuyeux,
Adieu doncques beauté la ſource de ma flame,
Ie dis adieu au iour le diſant à vos yeux.
Je ſuis tout eſperdu, ie n'ay pas l'aſſurance
Te dire cet adieu plus cruel que la mort,
L'abſence auec l'amour font tant de violence
A mon eſprit confus, que i'en ſuis preſque mort.
Je voudrois que le Ciel m'euſt fait ſans cognoiſſance,
Ou qu'il euſt de mon cœur oſté l'effection :
Car ie ne ſerois pas en ceſte impatience,
Troublé de deſplaiſir preſſé de paſſion.
Pourquoi voulut le ciel vous faire ma maiſtreſſe,
Que pour iniquement tiranniſer mon cœur ?
Lors que ie n'aimois rien, ie viuois ſans detreſſe,
Si i'eſtois ſans plaiſir, ie viuois ſans douleur.
Voilà que c'eſt d'aimer. Si vous aimez ma belle,
Vous ſcaurez bien iuger de ces afflictions,
Uous direz bien qu'il n'eſt paſſion ſi cruelle,
Que d'eſloigner l'obiet de ſes affections.
Conſiderez mon cœur, vous le verrez diſſoudre,

S’eſcoulant de regret d’abſenter vos beautez,
Il a tant ſouſpiré qu’il en eſt tout en pouldre,
Sans humeur deſſeiché par ſes aduerſitez.
Madame puis qu’il faut qu’à ceſte departie,
Mon cœur vous diſe adieu, ma belle il le vous dit,
Mais las en y penſant, ceſte melancholie
Lui trouble tant le ſens qu’il eſt tout interdit.
Mais en me rauiſant, heureux ie me raſſeure,
Ie vous viens dire adieu, mais vn adieu d’eſpoir,
Car voſtre beau pourtraict en mon ame demeure,
Et j’eſpere bien toſt Madame, vous reuoir.
Si vous auez au cœur pour moi quelque memoire,
Repenſez quelquefois à mes fidelitez,
Et que tous mes deſſeins ſont pour vo° faire croire
Que ie ne puis aimer que vos ſeules beautex.
Ie baiſe ceſte main en paſſion extreſme,
Et du plus doux d’amour ie la rebaiſe encor,
Ma Dame excuſez moy, l’amour dōt ie vo° aime
Remplit de ce baiſer mon amoureux threſor.