Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise III/Dessein I

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DESSEIN I.


Legations des Ambaſſadeurs de Sobare & de Glindicee vers le Roy de Nabadonce. L’Ambaſſadeur du Roy de Nabadonce vers l’Empereur, cognoiſt les Fortunez, & ſous vne belle feinte les fait cognoiſtre à l’Empereur.



TOvt nous rioit en Glindicee, on ne parloit que de l’aiſe & des futures delices des effects du voyage en Nabadonce ; & les Fortunez qui ſçauent toutes les maximes d’Eſtat, & les veulent practiquer pour obeyr, & vn iour auenir commander, mettent ordre à leurs affaires, qu’ils traictent tant dextrement, qu’ils n’effectuent rien qu’apres auoir eu conſeil ſur ce que le cœur a determiné pour l’iſſuë de leurs deſſeins, & le prennent de ce qu’ils entendent de leurs amis, auſquels ils ont communiqué. Ainſi ils apprennent comme la Royne de Sobare ne fait faute d’executer l’artifice raiſonnable de leur entrepriſe : car elle leur a faict entendre qu’elle a enuoyé le Comte de Patince en ambaſſade vers le Roy de Nabadōce, auquel elle demande à mari ſon fils Viuarambe, dequoy ce bon Roy fut ioyeux & eſtonné, d’autant qu’il eſtoit ſurpris, ne ſçachant rien des affaires de ſes enfans : Toutesfois il fit reſponce à la Royne ſelon ſon deſir, remettant le tout au retour de ſes fils, leſquels auoyent entrepris vn voyage qui les retenoit encor, adiouſtant à ſon diſcours la grace dont les princes ſçauent gratifier, amuſer ou ſuſpendre les cœurs, ſelon que l’iſſue des affaires les contraindra. En meſme temps l’ambaſſadeur de l’Empereur de Glindicee fut ouy, lequel obtint auec grand ſigne de courtoiſie, ce qu’il vouloit, pour confirmation dequoy le Roy enuoya le Duc de Porictonie vers l’Empereur, luy offrir tout ce qui eſtoit en ſon pouuoir, & deuant que ces ambaſſadeurs partiſſent il fit venir Sarmedoxe auquel il enioignit que l’hermitage fut ſumptueuſement accōmodé, & que tout y fut d’ordre pour y receuoir des Princes de telle qualité. L’empereur qui n’attendoit que le retour du Prince de Glacere, eſtoit preſt à partir, que le voicy arriuer accompagné de belle nobleſſe de pluſieurs prouinces, & honoré du grand Duc de Porictonie, lequel ſe preſenta à l’Empereur qui auoit eſté auerti du merite de ceſt ambaſſadeur lequel fut dignemēt receu, rafraiſchi & traicté, en toute magnificēce. Iour d’audience luy ayant eſté donné, il fut introduit deuāt l’Empereur pres de la majeſté duquel eſtant en ſon deuoir il deduit en belles paroles & ſuccintes la cauſe de ſa legation, & ſelon ce qui luy eſtoit commandé aſſeura le monarque de la bonne volonté du Roy de Nabadonce ſon maiſtre, à quoy il reçeut reſponce aggreable oyant ſortir de la bouche de ceſte Empereur les beaux & ſages diſcours qui le contenterent tant qu’il a plus faict eſtat de ſon belle eſprit que des magnihcences de ſa court, bien qu’elles fuſſent inimitables.Ce grand Duc qui ne ſcauoit rien de la rencontre des fils de ſon Roy fut fort eſton né de les voir tenir les premiers rangs auConſeil, illes recogneut bien, mais comme ſage & adui ſé ſe retint, & n’en fit aucun ſemblant, non plus qu’eux qui le ſceurent bien cognoiſtre. Le Duc ſorty du cöſeil s’enquit de ceux qui l’accompa gnoient, qui eſtoient ces trois Seigneurs veſtus de meſmes parures & d’habillemens tels que les grands les portent en Nabadonce. Il n’en apprit autre choſe, ſinon qu’ils eſtoient fort galands, & que leur beleſprit les auoit ainſi approchez de la perſonne de l’Empereur : Le Duc qui auoit peur de faillir, ne ſcachant pas l’intention des Prin ces, n’oſa paſſer outre, ny s’enquerir d’auanta ge. Le Conſeil eſtant leué, les Fortunez par le commandement del’Empereur traitterent ceſt Ambaſſadeur, & luy firent voir les ſingularitez † us exquiſes du lieu. Puis en temps conuenable e menerent à la fontaine où ilsluy donnerent le laiſir de la muſique & des autres exercices döt † ſe plaiſt, & par deſſein l’ayans ſeparé des autres le menerent à la Tonnelle Riante, là ils firent cognoiſſance, & ſous le ſymbole de fi—. delité communiquerent librementauiſant de ce qui eſtoit à faire. Ce Duc eſtoit fort prudent, il aymoit ſon Roy & ſes enfans, & eſtoit de ceux qui en auoit ploré la perte, parquoy les voyant il fut recreé, &voulut leur rendre l’honneur & le reſpect deu : apres quoyils le prierent pourl’aue nir de ſe contenir, veu la neceſſité des affaires : Luy qui ſcait bié que ce qui eſt de loy eſt ſtable, & qui n’eſt pas ignorât de l’amour des peres vers les enfans, & cognoiſt à peu pres les deſſeins que ſouuent on a és choſes grandes, les arraiſonnaa uec raiſon, ſi qu’apres ies mutuelles repliques, illeur conſeilla, entendant que c’eſtoit l’ordre u’ils deſiroient ſuiure, d’enuoyer prier le Roy leur pere de leur pardonner, & les receuoir en grace, leur remonſtrant en outre qu’il eſtoit bon meſmes treſ neceſlaire de ſe faire cognoiſtre à l’Empereur qui moyenneroit leur reconciliatiö vers le Roy qui les deſiroit, & qui le trouueroit extremement à propos de ceſte façon, leur pro poſant ce qui s’eſtoit paſſé és legations precedé tes vers le Roy : Ce que meurement conſulté, ils remirent le toutes mains du Duc qui en prit la charge, parquoy le lendemain il fit ſupplier ſa Maicſté † luy fut permisde l’entretenir de · quelque diſcours particulier. L’Empereur l’in troduiſit fort gracieuſement en ſa chambre, & eurent enſemble pluſieurs propos, à la ſuite deſ quels il fit rencontrer ce qu’il auoit à dire, & par la ainſi à lEmpereur, Sire, le Roy de Nabadon ce auoitvn excellent & notable ioyau, precieux ſur tout ce qu’il poſſede, d’autant qu’il a plu ſieurs vertus, & # compoſé de trois admirables pieces, & diuerſitez accordantes, & de telle vniö qu’iln’ya riéau möde quiluy ſoit égalen beauté & merite.Ileſtauenu par vn certain malheurac compagné de bonne fortune, par la propre vo lonté du Roy, & contre ſon deſir, de proposde liberé, & ſans y penſer, degayeté de cœur & à re gret, iugeant bien ce qu’il faiſoit, & n’ayant au cune cognoiſſance de ce qui aduiendroit, le de ſeſperant & s’y attendant, &voulāt ce qu’il craignoit le plus, qu’il a eſgaré ceſt exquis ioyau, ſans ſcauoir où il eſt : Il ſouhaite de tout ſon cœur le recouurer pour ſa ioye & commodité, & ſon honneurl’empeſche de le rechercher. Il appete ſur tout de le rauoir pour ſon vnique contente ment, & ſagloire approuuee par ſaiuſtice le cö traint de faire vn ſemblant tout autre : Le plai ſir de l’homme combat la dignitédela perſonne : Ie ſçay que ce luy ſera vn infiny contentement de l’auoir, & toutesfois il ne le demâdera iamais, & ie croy que s’il ſçauoit ce que i en dis mainte nant, il m’en deſaduoueroit, encor que ie ſcache qu’il m’en ſcaura bon gré, &en ſera treſaiſe, d’au tant que ce que ie pratique eſt ſelö ſa volôté, bié que ce ſoit ſans ſon cómandemét, & contre ſon intétion, meſme ſii’auois penſé de luy en parler, il m’euſt blaſmé&expreſſemët defendu de m’in gerer à ce que ie pourſuis † CC ſuiet : vous ſca— — uez, Sire, que ſouuent les bôs ſeruiteurs font de grãds ſeruices à leurs maiſtres, deſquels ils ſont auoüezayās bien fait, encor qu’à cauſe de l’hon neur & de la loy en apparence, ils n’euſſent pas voulu conſentir qu’on les executaſt, parquoy les ſages&fideles ſeruét dignemétau cœur plus qu’à l’œil : Et pource ayant grand deſir de faire vn ſi gnalé ſeruice à mon Roy, par voſtre faueur, ie me preſente deuantvoſtreMaieſté, parlant com me vn ſimpleGentilhomme, pour n’auoir en ce cyaueuque de vous ſeul, s’il vous eſt agreable, m ayant ouy, 1e croy que vous m exaucerez, car preſques l’égale part dubié quevous ferezà mon Roy vous eſcherra.Ievous ſupplie donc, que par voſtre moyen ceioyau ſoit cognu, trouué, & recouuré, & ie vous dis en parolcvraye, que diffi cilement paroiſtroit-il, ſi ce n’eſt par voſtre mo yen & authorité, ioint auſſi que tout ce que vo° eſperez ou pretédez en labelle entrepriſe de vo ſtre voyage, ne reuſſira aucunement ſans cere couurement : Et vaut autant pour vous deux grands Monarques que vous demeuriez ſeparez cöme cy deuant auez accouſtumé, que de vous voir ſans ce moyé. L’EMP. Ces beaux diſcours ont quelque grand deſſein caché ſous leur eſcor ce, ie vous prie de m’en eſclaircir ſerieuſemët, & apertement, à ce que mon eſprit ne peine point. L E D v c. Sire, l’honneur que ie reçoy de voſtre Maieſté, eſt occaſion que ie vous déduis cecy en la ſincerité de mon ame, auſſi ie vous obeyray promptement, & vous declareray tout ingenuement, pource qu’il ne faut pas ſe fein dre deuant vous. Et puis qu’oſeroit vne perſon ne priuee deuant vn ſi grand Prince ? Ce que ie vous diray & declareray vient de moy, tant pour voſtre ſeruice, que pour le bien de mon Roy, & s’il vous plaiſt le ſcauoir, ie vous ſupplie de m’in teriner ma requeſte, car il y va de voſtre parfait contentement, &du plusaccomply bien que vo ſtre ame deſire. L’EMP. Eſtes-vous plus accort que les Fortunez ? Il n’eſt pas que vous ne les ayez ſondez, & que ne ſcachiez comme par leur conſeil, i’entrepren le voyage qui me doit ren dre content, auez-vous plus de pratique qu’eux : cognoiſſez-vous d’auantage mes affaires qu’ils ne font pour me promettre l’heur qu’ils m’ont promis en me remettant à l’auoir par vn autre moyen, Ie ſuis fort aſſeuré d’eux, & ie ne vous cognois pas encores : A la verité, voſtre façon & vos paroles me ſemblent partir d’vne ame ſince re, & vous tiens pour höme d’honneur, veu meſ me le rang que vous tenez § le Roy mon frere : mais voſtre deſſein me fait auoirie ne ſcay quel doute, qui me met en peine, & me ſemble que ce quevous auancez, ſoit au deſaduantage de · ces perſonnages döt i’ay tät de ſeurté, &auſquels i’ay tant de croyance : En bon eſcient ſi i’eſtois volage, & prompt comme i’ay eſté quelquefois, à mon grand regret, ie deſcherois d’eſpoir : vou driez-vous bien qu’ils fuſſent preſens pour vous ouyr, afin qu’ils repartét ſur voſtre propoſition ? Il n’ya pas longtéps que preoccupé de mö ſens, & de § creusvne calönie contre eux, & ie les ay cuidé perdre, la penitence a ſuiuy la faute, ie ne tomberay plusen ceſtinconueniêt, puis que pour ce ſuiet & ſans cötrainte vous vo° eſtes demis de voſtre rangcn ceſt acte, ie veux a gir auec vous pour ou contre en la qualité que vous vous eſtes offert. LE Dvc. Sire, où le So leil luit, les autres aſtres ne paroiſſent point, ce u’ils ſont, m’efface du tout, & eux ny moy ne § rien en la preſence de voſtre Maieſté : & our le faire court, ie vous dy, Sire, en telle qua # qu’il vous plaira me prendre, que les Fortu nez vous deçoiuent en vn point : Et pour le vous dire auec plusd’honneur encoresvne fois, & afin qu’il en ſuruienne vn effet notable, ie vous ſup plie d’vne faueur, ſi i’ay failly en ce que ie vous ay dit comme perſonne priuee, ie me ſubmets à la correction : Én outre ievous ſupplie auſſi que comme Ambaſſadeur du Roy de Nabadonce, ie vous declare en la preſence des Fortunez, qu’ils ne peuuent faire ce qu’ils vous ont promis, ſans que vous m’accordiez le don que ie vous ay re quis, touchant leioyau de mon Roy : & mainte nant, Sire, tenanträgd’Ambaſſadeur de tel Roy, ainſi qu’il vous a pleu me receuoir, à ce que vous ayez affaireà vn Prince qui vous puiſſe reſpon dre, & qu’il eſt beſoin en accuſant d’eſtre de la qualité de ceux qu’on accuſe, ou approchante. Ie vous declare que les Fortunez vous ont de, ceu, ils ſont Princes & comme repreſentant le Roy, & Prince ie les accuſe.L’Empereur n’entë dant point ces propos, luy dit qu’ille mettoit en trop d’impatience : & partant pour ſe reſoudre, il commanda qu’on fit entrer les Fortunez, leſ quels entrez, l’Empereur fit approcher, & leur dit que le Duc de Piroctonie les tenoit pour de ceueurs : ils ne reſpondirent rien. Et le Duc prit la parole, diſant, Sire, ces Princes ne debateront’point auec moy, ſi de tout en tout ils ne veulent deſchoir de ce qu’ils ſont. Demeurant au terme du don que ie vous ay demandé : ie vous declare que ces trois Princes preſens ſont fils du Roy de Nabadonce, & que ſe cellans ils vous deçoiuent, c’eſt dontie les accuſe, & le don queie deſire eſt que vous les reſtituez au Roy leur pere, ſans que il les demande, & tout ainſi que s’ils eſtoientvo ſtres, & que vous les luy donnaſſiez, ce que vo° ferez s’il vous plaitinterceder pour eux, à ce que ils trouuent grace, & ſoient reſtablis en leur pre mier eſtat. Ayant dit celà, il raconta ſuccincte ment tout ce qui eſtoit de leur fortune.L’Empe reur tout raui & ioyeux de telle nouuelletant a greable, cmbraſſaamiablemët les Fortunez. Ce ne fut point ſans les tancer de leur deceptiō cōmiſe, & leur reprocher le tort qu ils luy auoient fait de ne s’eſtre deſcouuerts à luy, & en ceſte actiō furēt miſes en auāt les excuſes qu’vn ſi grād peut conuenablement laiſſer eſchapper, & les douces requeſtes de pardon que deuoient expoſer ceux qui n’ont failli que par bien-ſeance & pour bien faire.

Ceſte affaire cognuë, la Cour fut remplie de ioye, & ceux qui auoient fait eſtat de ces Princes vindrent à leurs pieds ſe repentir du meſpris inconſideré qu’ils auoient fait de leur grandeur, les blaſmant reſpectueuſement du tort qu’ils auoiēt fait à leur rang, & à leur deuoir. Apres il fut aduiſé que l’Empereur partiroit, & que le Duc de Piroctonie iroit deuant pour impetrer la reintegration des Princes par le Roy leur pere, duquel ils attendroient la volonté ſur les frontieres de Nabadonce, ce qui pleut à l’Empereur.