Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise III/Dessein IX

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DESSEIN IX.


Diſcours de l’Empereur & de Meliſſe, laquelle luy raconte vne hiſtoire nouuelle, d’Arleone & de ſes amours. Et comme vne fille ayant pris l’habit de gentilhomme, & vn gentil homme l’habit de fille, à la fin ils furent mariez enſemble.



CE beau iour eſtoit employé à vuider de ſemblables cauſes, & l’Empereur auant que ſ’ennuyer ſe leua prenät Meliſſe par la main, qu’il amena auec ſoy pour mener au iardin : A la verité elle eſtoit tant accomplie de beautez, que quiconques la voyant ne l’euſt deſiree euſt efté priué de cœur, auſſi rien n’eſt tant aisé que d’aymer ce qui eſt beau, c’eſt la redite des amans, & ie croy que ce Monarque euſt facilement induit ſes affections à ce beau ſujet, ſi l’vlcere de fon cœur luy euſt permis, ſ’il euſt peu oublier le premier caractere & ſoy-meſme, il euſt tout de laiſſé pour ſ’addonner à aymer ceſte belle qui n’eſt que toute agreable : mais n’ayant vers ce ſuiet autre deſſein que l’entretien commun, deuiſant auec elle, & voulant apprendre de plus en plus des cauſes & effets d’amour pour ſe conſoler en ſon mal, luy demanda : Belle, d’où vient que ce Gentilhomme a perdu vos bonnes graces ? Melisse. Sire, les hommes ont pour la plus part de terribles & eſtranges opinions, leſquelles ils croyent, telles que leurs mauuaiſes. humeurs leurs figurent, ainſi en prend-il à ce pauuret, qui deuoit cognoiſtre mon cœur, auant que ſ’addonner au deſeſpoir. Il faut que ie vous confeſſe que ie l’aime, & que iamais il ne partira de mon eſprit, encor que i’aye taſché de l’en effacer à cauſe des dépits que l’vne de nos Nymfes m’en a faict. Auſſi quand il ſaura la verité ie le verray reuenir auec la penitence me ſupplier, ce pendant i’auray du regret pour luy, & le teſmoigneray ou au cœur, ou au viſage. L’Empereur. Donques voſtre eſprit occupé ne donneroit point de lieu à vn autre, & n’y auroit moyen de tirer de vous aucune commodité de cœur par mutuelles affections ? Melis. Les places eſtans priſes, il faut enleuer ceux qui les poſſedent auāt que d’y en mettre d’autres. L’Empr. Quelle grace peut-on donques auoir de vous ? Melisse, Celle qui doit eſtre requiſe. L’Empereur. Que ie ſois trompé ou non, ſi faut-il que ie reçoiue de vous quelque conſolation par le deuis familier, à ce que voſtre bel eſprit me repreſente ce qu’il eſt. Comme il diſoit cecy le retour ſ’acheuoit, & ſe rencontrerent pres la ſeconde ſale de Mercure, où ils entrerent pour ſe repoſer vn petit, ou y eſtre ſelon l’occurrence : & ce que la belle trouueroit d’occaſion propre, à quoy elle pretendoit ; car oyant les autres diſcours de l’Empereur vn peu interrompus (ioinct qu’elle ſçauoit de ſes affaires) pour le diuertir & luy cauſer du relaſche en ſa melancholie, ſe fouuenant d’vne belle hiſtoire, ſ’aui’a de la luy conter, & luy dit : Ie ſçait vne belle auenture eſcheuë n’y a pas longtemps en France, ie croy que le recitvous en pourra plaire. L’EMPEREvR. Voudriez-vous bien en prendre la peine, & me tant gratifier : Ie vous en prie Belle, & croyez que i’auray en cela double plaiſir, l’vn de vous ouyr bien dire, & l’autre de ſçauoir ceſte nou ueauté. M E L I s s E. Vn beau Gentilhomme François eſtoit nourri chez vne ſage Dame, où il apprenoit, encor enfant, les premieres lettres, & y eſtoit eſleué en la compagnie d’vne belle petite Damoiſelle de bonne famille, mais deſti tuee de biens, & tellement qu’il falloit que ſes amis fourniſſent à ſa penſion : Ce beau fils venât par frequentation à ſentir les premieres petites pointes que l’Amour mignon en guiſe d’amitié, aiguiſe contre les cœurs, & apres eſtre hors de la maiſon de la bonne femme & auoir eſté page, & paſſé toutes les carrieres que l’on eſſaye en la premiere ieuneſſe, nourriſſant en ſon cœur vne ſcintille d’affection, la ſentit ſe multiplier en hantant les compagnies, ou voyant pluſieurs belles Dames, dont les yeux ſollicitoient aiſe ment les ſiens, ſe reſſouuint de l’impreſſion que ſa premiere cognoiſſance auoit frappee en ſon cœur, & ſ’en informa tant auec ſon courage, qu’il luy prit enuie de ſ’eſclaircir par effect de ce qu’il imaginoit, ou pour ſ’en diſtraire, ou pour en courir la fortune ; & de faict il delibera d’aller voir ceſte belle, auec laquelle ilauoit eu tant de douces frequétations, ill’entreprit & l’executa, & vint chez la ſage dame ſa nourrice, pour en ſauoir des nouuelles, ce qui luy ſucceda : Meſ mes quand il ſe preſenta à la porte, la Belle fut celle qu’il rencontra la premiere, il l’a recognut bien, car ſon cœur eſtoit le parfaict peintre qui la luy figuroit, il fut eſmeu & ſurpris la voyant tant belle qu’elle luy paruſt ; car elle ſe monſtroit tant parfaicte, que difficilemēt on euſt peu trouuer vn obiect plus deſirable, leur rencontre fut ſolemniſee d’vn agreable baiſer : Et puis eſtants deuant la Dame qui le receut amoureuſemët, la rememoration de leur ancienne cognoiſſance miſe en auant, multiplia du tout le deſir qui l’auoit amené, ce qui parut, pource que quelques iours apres, & que la familiarité fut renouuelee, la ſage Dame ſe plaignant à luy de ceux qui prenoient le ſoin de la Damoiſelle, & l’auoient negligee depuis vn an & demi, ils en entrerent ſi auant en diſcours, qu’elle l’informa des affaires de la belle : luy qui iugeoit que cela le touchoit à cauſe de ſon affection, aſſeura la Dame de tout, & la contenta payant ſa penſion, & tous les frais qu’elle auoit faicts, luy contant qu’il eſtoit des amis des parens de la Damoiſelle. Les affaires ainſi reſolus, tout ſe portoit bien, & cependant ceſte grande courtoyſie donna à ce ieune cœur capable de paſſion, vne iuſte occaſion de ſ’en eſmouuoir : & le Gentilhöme voyant ceſte douce inclination de la Belle, ſ’obligea d’amour vers elle, ſi eſtroictement qu’il y poſa l’extremité de ſon bon-heur, auſſi elle qui repaſſa ſur les premieres fleurs de leur ancienne amitié, ſ’y propoſa toute felicité, & ſe donna entierement à celuy qui l’aimoit parfaictement ; les amours formees ſu le modele exact de la chaſteté durerent plus d’vn an, à la fin ce fidele amant ſe reſolut de donner vn terme à ſa belle amitié, & declarant à ceſte belle Arleone ce qu’il auoit premedité, la fit conſentir à ſa legitime deliberation, qui eſtoit de l’eſpouſer. Et pource que les parens du Gentilhomme le ſçachans l’en voulurét deſtourner, à cauſe du peu de moyens de la belle, & l’en empeſchoient, il fit vne feinte, & les aſſeura de n’y penſer plus, & qu’il practiqueroit d’autres amours : cependant il eſcriuoit à Arleone à toutes occaſions, ou la voyoit : & ainſi il fit partie auec elle de ſe diſtraire & ſ’en aller au loin viure heureux. Le Gentilhomme fit bource & amaſſa aſſez dequoy, meſmes en pierreries & ioyaux, qu’il mit entre les mains de ſa chere maiſtreſſe, & ayant communiqué à quatre de ſes intimes amis vn voyage premedité, ils luy promirent aide & aſſiſtance ſelon qu’il les en requereroit, leur diſant vne partie de ſon deſſein, mais non à la verité, car il leur teut le principal de l’affaire, biē leur raconta-il qu’il menoit auec ſoy vn ieune Gentilhomme ſien couſin, pour l’amour duquel principalement il entreprenoit ceſte partie. Ce Gentilhomme eſtoit Arleone, deſguiſé en beau ieune fils, laquelle ſçauoit le lieu où eſtoit le rendezvous, & elle qui euſt pluſtoſt ſouffert la mort que le denoüement de ſa foy, ny manqua pas, auſſi leur intention eſtoit mutuellement chaſte, & deliberoiēt de ſe depaïſer, & paruenus au lieu deſiré ſ’eſpouſer honneſtement, pour paſſer le reſte de leurs iours ſelon le deuoir. L’Amāt auec ſes amis vint où ils trouuerent Arleon, & incontinent veſtus en pelerins ſe mirent aux champs, & ſans eſtre deſcouuerts firent pluſieurs lieuës, ſi qu’il y auoit vn mois qu’ils cheminoient à pe tites iournees quand ils arriuerent pres de Poi, ctiers, où ils firent rencontre de voleurs qui les chargerent, & ils fe defendirent ſi vaillamment que huict des voleurs demeurerent ſur la place, le reſte ſ’enfuit : Mais helas ! par grand malheur le pauure amant fut tellemët nauré, qu’il expira entre les mains de ſes amis, ainfi qu’ils le rele uoient, dont l’ennuy fut extreme au pauure Ar leon, qui preſque perdit tout eſpoir ; toutesfois ce fut à luy de penſer à ſon affaire, & ſe demon ſtrer auec telle conſtance qu’il eſtoit neceſſaire : Ces pauures voyageurs prenans leur mort & cö duiſant deux des leurs qui eſtoient bleſſez, vin drent à la ville, & auertirent la iuſtice de ce qui ſ’eſtoit paſſé. Ceſte notable diſgrace les fit aſſez long temps arreſter en ceſte ville là, oùils firent les obſeques du deffunct, & donnerent ordre à la § des bleſſez, & cependant Arleon penſant à ſes affaires, ne ſe fit cognoiſtre aux autres qu’en qualité de couſin du deffunct, dont il lamentoit le decez, cependant il ſe tint ſaiſi des ioyaux que ſeul il ſçauoit, & continuant la feinte d’habit, viuoit auec ſes amis comme de couſtume. Vis à vis de l’hoſtellerie où ces pe lerins ſ’eſtoient logez, demeuroient quelques dames charitables qui les venoient viſiter fou uent, & donnoientaux malades pluſieurs petites delicateſles, & taſchoient à les reſiouir tous en leur affliction, entre elles eſtoit Clarioſe belle ieune vefue, laquelle ayãtietté l’œil ſur Arleon le trouua à ſa fantaſietant accomply, qu’elle ne ſe peut tant cömäder que ſon cœur ne ſ’addonnaſt à le deſirer, & de faict ſ’affligea ſi fort d’amour pour ſon ſuiet qu’il fut ſon vnique penſee. Elle preſumoit bien, veu l’apparence d’honneur de ſ’en diſtraire, mais l’amour futvainqueur de tou tes ſes autres opinions ; tellement que ceſteve hemence d’amitié l’enleua auec tel effort qu’elle en perdoit & repos & repas, & ainſi viuement ſollicitee d’affection, n’auoit plaiſir en ſoy, que lors qu’elle voyoit Arleon : Ces difficultez d’eſ prit luy cauſerent telle impatience, que ſon ame eſtoit eſperduë en l’abſence de ſon obiect : par quoy ne reſpirant que la douce felicité qu’elle ſe propoſoit de ſa belle grace, ſe reſolut de luy fai re ouuerture de ſon cœur. Il n’y a rien qu’vne amante determinee ne tente, & pourtant elle ſe reſout & puis effectua ſon deſſein qui luy ſucce da. Arleon que le deſplaiſir exerçoit cruelle ment, lamentoit ſans ceſſe pour le ſujet qui luy auoit eſté ſi cher, ayant pour ceſte cauſe de terri bles martels en la penſee, auec cela ayant l’hon neur deuant les yeux, & iugeant la diſgrace qui luyauiendroit retournant au païs, ioignit le cö ſeil auec ſa iuſte deſplaiſance, & ſceut tant bien feindre de pourſuiure ſon deſſein, que les autres ne cognoiſſans de ſon faict que les feintes qu’il leur en racontoit, ſ’en retournerent, le § — en ceſte Vniuerſité, où il dit qu’il vouloit eſtu—. dier, afin d’eſtre ſçauant & habile auant que ſ’en retourner, & qu’il eſperoit y trouuer condition & commodité, ou paſſer outre, ſelon que la for tune luy diroit. Durant qu’il minutoit ſes opi nions, Clarioſe l’apperceut & cognut fort bien qu’il eſtoit agité de ſolicitude, partant faiſant ſemblant d’autre occaſió, vint côme par hazard à ſa rencontre, & luy dit, Quoy ? Arleon vous eſtes tout melancholique, auez-vous beſoin de quelque choſe à ie vous aſſeure que vous eſtes entre des perſonnes qui vous feront tous traicts d’amitié, & ne permettront point que vous ayez de la neceſſité. ARLEoN. Mademoiſelle, ie vous rends graces treſ-humblement : Ce n’eſt point la crainte de neceſſité qui me trauaille, mais vne autre faſcherie qui m’eſt bien plusinſu portable, & qui eſt telle qu’a peine on la pour roit penſer. CLARIosE. Ie penſe qu’il n’y a rien qui puiſſe tant affliger vn beau Gentilhomme tel que ie vous † ce n’eſt la perte ou l’abſen ce de quelque Dame. ARLEoN. Ie vous iure & auec verité que telle cauſe (ſans vous dédire) n’eſt pas ce qui m’afflige mais la perte d’vnChe ualier, iointe à vneinfortune bien plus rehauſſee de malheur. CLAR. Nous auons taſché à vous conſoler de ceſte perte, à quoy il ſe faut reſoudre, † qu’il n’y a plus de remede, vos deſtreſſes ne e peuuent reſueiller, ny vos ennuis le reſtablir, & voſtre douleur ne le rappelleraiamais, il faut mettre peine de ſe reſtituer à ſa premiere ioye pour s’aſſeurer du reſte, & ſe tirer d’affliction, aduiſez à quoy ie pourray y eſtre † carie n’auray rien de cher que pour l’employer à vo ſtre commodité. ARL. Ie ſuis vn pauure eſtran ger que vous auez deſia tant obligé qu’il n’y a pas moyen que ie le puiſſe dignement recognoi ſtre pourvous en recompenſer. CLAR. Tout ce qui eſt en mon pouuoir vous eſt acquis, & d’a— | uantage, vous ne ſerez point º# s’il vous eſt agreable de conſentir au bien d’vne perſonne qui vous en deſire. Arle. Vn pauure infortuné pourroit-il bien faire vne rencontre telle ? il n’y a pas apparēce. Clar. Il y en a, auſſi telle pēſé en vous qui peut ce qu’il vous plaira pour voſtre biē, & ſi vous auez le courage de tenir ſecret ce que ie vous communiqueray, & le prendre de telle part qu’vn cheualier vertueux le doit, ie vous propoſeray vn party, lequel vous accepterez ſ’il eſt à voſtre aduantage, ſinon vous le laiſſerez par raiſon, en conſeruant dans voſtre ame ce qui en ſera, auec ceſte gloire d’auoir eſté recherché. Arleon I’ay l’ame tant addonnee à la fidelité, que iamais elle ne manquera à ſon deuoir, parquoy ie vous feray tel ſerment qu’il vous plaira de tenir ſecret ce que vous me direz, & que ie ne le declareray iamais ſans voſtre cōmandement. Clariose. L’amour fait faire de grandes paſſades aux eſprits de ſon obeyſſance, c’eſt luy qui veut que ie vous declare ce que i’ay de plus ſecret au cœur, & ie vous prie de tenir en l’eſtat que vous m’auez promis ce que ie vous deſcouuriray. Depuis que mes yeux vous eurent deſcouuert, & qu’ils en eurēt raporté la nouuelle à mon cœur, ie n’ay eu autre penſee que celle que vos graces m’induiſoient, qui eſt cauſe que ie vous ay conſideré plus inſtāment, & de là i’ay creu, veu vos façons, que vous eſtes de bon lieu, & partant que ſi ie vous declare mon affection, vous m’oſterez de peine, en acceptant mon aliāce ſi rien ne vous empeſche. Arleon. Voicy vn coup d’extreme obligation ! vous m’auez ouuert voſtre courage, ie vous manifeſteray le mien, & puis que vous me deſirez, ie ſeray à vous : Rien ne m’en empeſche, & de fait, puis que vous le voulez, ie me donne à vous : Mais tout ainſi que vous m’auez dit voſtre ſecret, auſſi eſt-il raiſon nable que vous ſçachiez le mien, & ie vous di ray que s’iladuient que quand vous le ſçaurez, — vous me reiettiez trop †, ſi ne vous abandôneray-ieiamais, la ſeule mort nous ſeparera ſi elle peut. Ceſte amiante l’oyant par ler de telle ſorte ſentoit en ſon cœur vn § de plaiſirs, & ne ſcauoit’comment ſouſpirer, tant le contentement l’emportoit, & Arlecn faiſant vn ſouſpir, tiré du profond habitacle de ſa vie, luy dit, Ma belle Demoiſelle, quand ie ſeray à vous comme ie le ſuis, quel vous en ſe rale bien ? Helas mon ſecret eſt la difficulté que ie trouue en cecy, c’eſt ce qui fait qu’eſtant du tout à vous, n’eſtant à perſonne, n’ayant plus d’obligation à viuant, iene puisvous eſtre ce que poſſible vous deſirez. CLARIosE. Quoy : m’o— ſtez-vous deſia ce que vous m’auez donné ? & que ie receuois tantoſt auec toute lieſſe de cœur ? ARL. Non, carie ſeray touſiours à vous, s’il vous plaiſt. Mais ce qui m’afflige à ceſte heure eſt, que nature n’a pas voulu que ie fuſſe ce queie parois eſtre. Mademoiſelle, mon infortune eſt cauſe qu’il faut que ie mente : Ie m’eſtonne que vous qui auez des yeux, n’auez deſcouuert mon menſonge. CLARIosE. Ces difficultez tant bien recherchees me mettent en peine, ie vous prie m’oſter de l’inquietude où elles me tiennent. Adoncques, apres pluſieurs douces & recipro ques proteſtations d’amitié & de ſecret, Arleone ſe declara à Clarioſe, luy deſcouurant fidelle ment ſes affaires, ſa maiſon, ſon eſtat, ſes amours, ſes ennuys, & ſa deliberation : ce qui fut pourſui uy auec des pleurs & larmes de tous les yeux de ces deux deſolees, qu’elles conduiſoient de pro fonds ſouſpirs tirez du plus pres du cœur. Apres ue ces deux Demoiſelles ſe furent vn peu con §, & eſtans reuenues de ceſt extaſe de pitié, apprenans vne nouuelle amitié, ſe reſolurent d acheuer l’entrepriſe que Clarioſe inuenta à l’heure de ceſte cognoiſſance. En telle delibera tion apres que les compagnons du deffunct fu rent partis, Arleone ſe retira chez Clarioſe, & y veſcut quelque temps auec le plus de conſolatiö d’amitié qu’elles peurent practiquer, ſans que Arleon ſe § autrement qu’il auoit en cor paru, car la feinte duroit toufiours, & ces deux ſe voyoient auec tant de belles actions, que les voyans en tiroient plus de coniectures ver tueuſes, que les peruers de ce iour n’en euſſent peuimaginer de folles cupiditez. Or Clarioſe auoit eu vn fils de ſon mariage, qui eſtoit nourry auec ſa mere grand, non comme garçon, ainsha billé en fille, car ceſte vieille poſſedee par ſa fan taiſie, vouloit auoir vne fille de ſa bru, & pour lui complaire on auoit touſiours ſi bien faict, que ce beau fils auoit eſté tenu pour fille.Quelque diffi cile pourroit dire que celà euſt eſté bon à trom per vn vieillard qui croit les femmes, & non vne femme qui a plus de liberté auec les enfans que les hommes : pour ſatisfaire à la maligne penſee de ce picquant, ie diray que ceſte Dame eſtoit de l’ordre des Innocentes qui eſt pullulant en ce pays là, & entre leur regle vne eſt de croire tout ſans vouloir rien eſprouuer, à cauſe de la conſcië ce, & de crainte que le ſcrupule ou doute fuſt cauſe qu’iladuint mal, ceſt ordre eſt ſemé par my toutes ſortes de gens & ſexes, ainſi quel’eſt. la police religieuſe des filles deuotes.Or donc la bonne femme ayât dit, qu’elle n’aymeroit point vn fils ſi ſa brus en auoit, les ſeruantes auoient ſi bien fait pour contenter leur Maiſtreſſe, que Cloriſel fut tenu d’elle pour vne belle Demoi | ſelle, qui ayant appris l’intelligence de ſon ſe cret, ſe maintinttouſiours meſmes eſtant grand en l’eſtat de fille portant le nom de Cloriſee, de quoy la mere eſtoit contente pour n’ennuyer oint la bonne vieille : & de faitil faut aux vieil † gens accorder beaucoup pour leur conceder peu, car ils ſe contentent pourueu qu’on ne les deſdiſe point.Ceſte gentilleinuention dedeſgui ſement de Cloriſee venant en memoire à Cla rioſe en eut du contentement en ſon cœur, ſans toutesfois en rien deſcouurir à Arleone, &ce qui plus l’induifit depuis à trouuer meilleure ceſte. feinte & l’approuuer, fut ſa nouuelle cognoiſ— — ſance, à cauſe dequoy elle prit en ſigrand dédain le ſexe des hommes, qu’elle confirma par ſecrets meſſages ſon enfant, à ce qui eſtoit commencé. | Ceſte nouuelle aduanture de Clarioſe ne dura ueres, car auant que ſix ſemaines fuſſent paſ ees, ou d’autant qu’elle auoit trop d’amour & de flames, elle futeſteinte faute de les eſteindre, ou pource que ſes deſtinees eſtoient accom plies, parce que ſoniour heureux eſcheut, ſon ame tira vers la multitude. Arleon coup de deſplaiſir occulte ſe retira errant quel ue temps, & hantant en bons lieux ſans ſe re † ne ſçachant comment faire pour hon neſtement ſe ranger : Cloriſee d’autre coſté tri ſte de la mort de ſa mere, ſe contenoit demeu rant touſiours chez la bonne femme, conſer uant ſa feinte, mais auec telle bride, que s’ab ſtenant des priuautez communes entre les fil · les, & n’en vſant auec celles qui ſe rencontroiét, elles l’eſtimoient reformee, & de faict elle ne s’aduançoit point aux mignonnes mignardiſes dont les filles ſe delectent enſemble, & ſid’a— uanture quelqu’vne s’emancipoit pour l’y in duire, elle la repouſſoit comme meuë d’vne hö te ſaincte, & de vergoigne vertueuſe. Iladuint qu’il ſe faiſoit vn tournoy & autres belles par ties, où pluſieurs Dames & Demoiſelles vin drent, & l’aſſemblee ſe rencontrant chez l’an cienne Dame, beaucoup de Nobleſſey aborda, entre autres Arleon y vint. expres pour ſe ra procher du lieu où il auoit eſté autresfois bien reçeu, carilauoiteſté iuſques àThoulouſe : mais forcé par ſon deſtin, il reuinticy, & il arriua le lendemain que les partiesauoient ceſſé, que les Gentilshommes eſtoient retournez, & qu’il n’y auoit plus que quelques Demoiſelles voiſines, il fut pourtant bien receu, & auec toutes ſortes d’höneſtetez, il s’eſtoit addonné à vneinfinité de petitesinuentions pour recreer les eſprits, deſ uellesil ſe reſiouytauec ces § & de # bonne grace qu’il leur fut fort agreable, meſ mes quelquesvnes retarderent leur retour chez elles à ſon occaſion, durant ces beaux exercices il ietta l’œil ſur Cloriſee qu’il n’auoit iamais veuë, & dont il ne ſçauoit aucune nouuelle, car celà luy auoit eſté teu, & la conſidera de tel œil qu’il ne ſe peut tenir qu’il n’expoſaſt ſon cœur à l’amour poury mettrel’affectiö de ce beauſuiet. Ce ne fut pas ſans conſiderer en ſoy-meſme d’où luyvenoit ceſte amoureuſe incommodité pour vne fille, & toutesfois ſe flattant s’excuſa ſur ce qu’il en eſtoit autant aduenu à Clarioſe, iugeant par là qu’Amour le vouloit exercer de meſme, parquoy il ſe laiſſa emporter à ceſte affection. Cloriſee quin’auoit encor rien veu quil’eut eſ meuë, ſentit vne ſemblable paſſion, & s’eſton nant en ſoy-meſme, de ce que ce pouuoit eſtre, ne ſçeut que penſer, ſinon de ſe reſoudre, que ce n’eſtoit pas amour, mais vne belle amitié, qui ſe formoit en leurs ames : Arieon faignit vouloir paſſer outre, & prendre congé des Dames, mais fa douce conuerſation eſtoit tant’aymable, que elles le retindrent : A la fin preſſant pour obte nir congé, elles luy demanderent qui l’incitoit à vouloir s’en aller ſi toſt, & comme Cloriſeein fiſtoit à ce qu’il fiſt reſponſe, il dit, Il n’eſt pas poſſible que ie peuſfe arreſter plus longuement envn lieu oùie ſuisaffligé ſans auoir fait offence. Et qui vous afaſché : luy dit Cloriſee. Il reſpon dit, Nul que vous, Belle, qui m’auez tant aliené de moy-meſmes, que ie peris pour l’amour de vous, parquoyie deſire m’eſloigner craignât d’é— trer en vn labyrinthe, dontie ne me demeſlerois iamais : Elle luy repliqua, Il n’ya rien tant † que l’amitié, mais il faut qu’elle ſoit reiglee, & que rien n’y contrediſe : autrement les fruicts n’ë que la iuſte innocence conduit à de petites paſ, · ſions aſſez pregnantes, & leſquelles l’aage mo dere : Ce ſera vous auec voſtre prudence quimo derera nos eſlancemens, vous ſçauez, Madame, ce que ie ſuis, & le commandement que i’ay eu de le feindre, & pourtant que ce gentilhomme — m’aymant, ſera fraudé, eſtant ce que ie ſuis. Ar leon ne pouuant comprendre ces enigmes, ac cordoit à tout ce que diſoit Cloriſee, ſur quoy la Dame l’appella & le prit à part, luy remon ſtrant que pour neantil faiſoit recherche du ſu jet deſiré, qu’il n’eſtoit pas ce qu’il penſoit, mais vn beaugentilhomme ainſi deguiſé. A ceſte pa role Arleone faiſantvn grand ſouſpir d’aiſe am braſſa’la vieille, Ha Madame, ce dit, quelle heu reuſe metamorphoſe me racontez vous, quelles commoditez me preſentez vous, quelles abon dances de delices, fourniſſez vous à mes amours ? de me dire que ce que i’ayme eſt ce que ie doy aymer : Madame, ſi ce beau fils eſt d’amour, & que ſa volonté condeſcende à noſtre proſperité : · nous ſommes en eſtat de parfaire § fortune, carie ſuis ce qu’on a penſé qu’il eſtoit, puis qu’il eſt ce qu’ô eſtimoit que ie fuſſe : Alors elle luy raconta ſa fortune, & ce qui ſ’eſtoit paſ ſé entre elle & Clarioſe, & luy diſant ſes com moditez, ſa race & ſes deſſeins, il futauiſé qu’ils changeroyent mutuellement d’habillements, & qu’auec la volonté de la vieille Dame, qui vou lut tout ce qui pleut à ſa ſœur, ils ſeroyent con ioints par mariage enſemble, ce qui fut accom pli au grand contentement des Amans, non ſans ſujet de grande merueille, çntre ceux qui les que la iuſte innocence conduit à de petites paſ, · ſions aſſez pregnantes, & leſquelles l’aage mo dere : Ce ſera vous auec voſtre prudence quimo derera nos eſlancemens, vous ſçauez, Madame, ce que ie ſuis, & le commandement que i’ay eu de le feindre, & pourtant que ce gentilhomme — m’aymant, ſera fraudé, eſtant ce que ie ſuis. Ar leon ne pouuant comprendre ces enigmes, ac cordoit à tout ce que diſoit Cloriſee, ſur quoy la Dame l’appella & le prit à part, luy remon ſtrant que pour neantil faiſoit recherche du ſu jet deſiré, qu’il n’eſtoit pas ce qu’il penſoit, mais vn beaugentilhomme ainſi deguiſé. A ceſte pa role Arleone faiſantvn grand ſouſpir d’aiſe am braſſa’la vieille, Ha Madame, ce dit, quelle heu reuſe metamorphoſe me racontez vous, quelles commoditez me preſentez vous, quelles abon dances de delices, fourniſſez vous à mes amours ? de me dire que ce que i’ayme eſt ce que ie doy aymer : Madame, ſi ce beau fils eſt d’amour, & que ſa volonté condeſcende à noſtre proſperité : · nous ſommes en eſtat de parfaire § fortune, carie ſuis ce qu’on a penſé qu’il eſtoit, puis qu’il eſt ce qu’ô eſtimoit que ie fuſſe : Alors elle luy raconta ſa fortune, & ce qui ſ’eſtoit paſ ſé entre elle & Clarioſe, & luy diſant ſes com moditez, ſa race & ſes deſſeins, il futauiſé qu’ils changeroyent mutuellement d’habillements, & qu’auec la volonté de la vieille Dame, qui vou lut tout ce qui pleut à ſa ſœur, ils ſeroyent con ioints par mariage enſemble, ce qui fut accom pli au grand contentement des Amans, non ſans ſujet de grande merueille, çntre ceux qui les cognoiſſoyent. Leur felicité fut excellente, mais de peu de duree, car la pauure Arleone aymee, & aymant, mettant vn beau fils au monde, laiſſa couler ſon ame, qui s’exala vers le ſiege de repos, laiſſant vn regret indicible au deſolé Cloriſel, qui n’a point voulu en eſtre conſolé : car il ſ’eſt retiré en la vie ſolitaire, ayant baſti vn ſuperbe ſepulchre à ſa chaſte Arleone, ſur lequel il poſa ceſte inſcription en lettres d’or.

Celuy qui fut les delices de ma Mere, deceue en ſon amour, eſt deuenue celle dont i’ay produit lignee. A cauſe dequoy, & pour ſi bon effect, i’ay oublié d’eſtre fille, pour au moyen d’vne tant heureuſe metamorphoſe, eſtre l’vnique de ma chere moitié, que couure ceſte pierre, laquelle i’arrouſe de mes larmes, auec des regrets que ie continueray, tant que ie ſois reduit à meſme ſort : A ce que l’effect d’amour accompli paroiſſe icy.

Toute ceſte auenue eſt figuree d’vn androgyne mixte, auſſi depuis quelques iours Cloriſela eſté mis dans ce tombeau ſelon ſon ordonnance, & l’a-on orné de pluſieurs inſcriptions & enigmes repreſentans la plus belle particularité de la plus belle recherche.