Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise III/Dessein X

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DESSEIN DIXIESME.


La Belle figure viuifiee : puis reduite en pierres : ſes vertus : la tonnelle d’eau : coulombin ſignifie conſtance. Diſcours du brin apportéà l’Empereur. Le petit endroit du Paradis terreſtre, & de ſes merueilles.



IL y auoit deux iours que l’Ambaſſadeur de Boron eſtoit venu en Nabadōce vers le Roy, pour le prier ſur le ſujet de la perte d’Etherine, à ce qu’il y eut moyen, de la chercher en ſes terres & païs de ſon obeiſlance, & d’auantage cét Ambaſſadeur auoit charge de ſ’enquerir ſous le bon plaiſir du Roy, ce qui eſtoit de la belle figure, dont il s’eſtoit enquis en Sympſiquee, & auoit eſté remis à l’hermitage d’Honneur, où elle auoit eſté transferee. Les Princes ayans eſté preſens aux propoſitions de l’Ambaſſadeur, auiſerēt enſemble ce qu’il falloit faire, à ce que l’Empereur n’en ſceut rien, parquoy apres y auoir penſé, ils en auertirent le Roy leur pere, qui deſia informé de tout, remit cét affaire és mains de ſes enfans, faiſant reſponſe gracieuſe & agreable à l’Ambaſſadeur, lequel adreſſé aux Princes, fut reſolu de ce qu’il pretendoit, & auerti de ce qu’il faloit dire, & eſtāt cōduit par eux, veint en la ſale où eſtoit l’Empereur preſque à l’inſtāt que Meliſſe acheuoit sō hiſtoire. Eſtans entrez, l’Ambaſſadeur fit la reuerençe à l’Empereur, & ſelō l’ induction des Princes, luy fit l’honneſte harangue, qui tendoit à ce qu’ilipleut à ſa Majeſté, que le · Roy ſon maiſtre Prince de l’Iſle lointaine, fut acertené de ce qui eſtoit de la belle Figure, pour auoir reſolution de ce qu’ilfalloit faire pour di gnement accomplir le voyage d’amour. L’Em ereur le receutauectoute courtoiſie, & priales Princes de l’addreſſer à la Souueraine, & aux Sa ges pour le ſatisfaire ſelon les loix. Parquoy les Princes le menerent en la ſale du Palais de la Souueraine où eſtoit le ſage Sarmedoxe, auquel ayās parlé, il ſ’expliqua ainſi à cét Ambaſſadeur. L’eſtat de la Belle figure a autrefois eſté raconté, lors que les auātures amoureuſes de labelle He rodiasauec Herode, ont paſſé par les bouches de ceux qui les recitoyent, apres l’hiſtoire, qui ces ans paſſez vous a eſté expoſee. En ces diſcours, il eſt deduit comme la belle Cleomire Iuiue, fut tranſmuee en pierre en la chambre d’Herodias, apresauoiraualé la liqueur de Feudas, & com me pluſieurs auantures & rencontres differen tes, auindrent à ceſte bonne image naturelle, qui a couru beaucoup de dangers, eſtant tranſportee de lieu en lieu, § a ce que le Roy de Symr pſiqueel’allavaillamment conquerir, & l’enle ua du lieu où elle fut laiſſee, apresauoir eſté em portee du nauire qui la träſportoit, & eſt demeu ree pluſieurs ſiecles en l’Iſle de ce bon Roy ; döt noſtre Souueraine l’a recouuree, ſelon les ac cords faits entre les Roys de ce pais & de Sym pſiquee, & a eſté poſee en cét Hermitage d’hon neur, où nous la conſeruons, & eſt auenu que noſtre Roy, à cauſe de ſa vertueuſe courtoiſie vers le Sage, a receu du grãd & liberal Roy Eu meneſte ie Sage, l’vnguent Anaſtaſin, dequoy ſa Majeſté m’a commandé faire eſſay, ce queie fis — en la preſence de la Souueraine& grand nombre de gens de bien & d’honneur : dont la plus-part eſtoyent doctes, ce fut en ceſte ſorte.Eſtant en la ſale des ſecrets, ie fis mettre la belle figure ſur le lict verd, & luy frottél’eſchine & le col d’vn peu de cét vnguët, & lui en mis en la regió du cœur, aux poulx & en la † deſirable, puis en moins de cinq heures, labelle fut reueillee & toute re miſe, auſſitoſt on luy dôna vn beaulinge pour la couurir, adonc ſe recognoiſſant & comme ſor tantd’vn grand ſomm eil, ſemit à nous regarder : Cecy fut autant eſmerueilleux à voir, que ma gnifique à raconter : Elle reprit le naturel de vi ue perſonne, nous laviſmes belle & viue ſere muer, & faire quelques belles functions, les da mes preſentes tirerent vn rideau, & ſ’aprochans d’elle virent qu’elle auoit deſir de faire de l’eau, & elles lui preſenterentvn porfire, où elle en fit enuiron vneliure qui eſt reſeruee, incontinëtel le ſe ſouleua, & de ſa main tirant le rideau, nous parut à tous en eſtat vif, alors deſerrant le mi gnon côural de ſes leures, profera quelques pa roles notables eſcrites au liure vnique, apres quoy ſe relaiſſant ſur le lit, elle laiſſa ailer vn peu de douces plaintes, leſquelles finiſſant ceſte pe tite vie § ceſſa, & ainſi diſant adieu à la lumie re fut reduite en la forme de pierre, dont nague res elle eſtoit ſortie, & ſon ame qui ſi longue ment auoit eſté tenue priſonniere en ce durha bitacle, toute legere ſe gliſſa delicatement, & ſe retirant en ſon lieu deſtiné laiſſa ce beau corps en la parfaite ſolidité quel’on le void encores, & eſt conſerué comme vne des meilleures mer ueilles de ceans, eſtant la plus accomplie piece, exiſtante naturelle contre nature, & qui par ob ſeruation recueillie a vne remarquable vertu, pour laquelle elle eſt nommee, La preuue des cœurs : car ſ’il ſe preſentevne perſonne qui ait le cœur feinten ſes affections, & qu’elle approche du cercle qui eſt à cinq pieds diſtant de la figu re, on la verra ceſte perſonne là bleſmir, & ſi toſt qu’elle ſera dedans, elle paroiſtra de couleur au viſage, comme le faux or trop bas, ce † durera touſiours ſi elle ne ſe bagne ou laue en la fontai · ne des Amoureux, qui eſt en Glindicee, & faut que ce lauement ſoit accompaigné de deuë re pentance : Si quelqu’vn a eu pluſieurs maiſtreſ ſes, ouvne Dame pluſieurs ſeruiteurs contre la loy, ayant veſcu en inconſtance il paroiſtra au tour de ceſte perſonne là autant d’ombres tri ſtes, & ainſi la verité ſe manifeſte : Il eſt vray que ſi vne perſonne amante ſe preſente, & que par la, faute propre de ſa partie, ilya du changement ou de l’eſlongnemêt, ilparoiſtra vn ombre qui ſou dain s’eſuanouïra : Ceci eſt commun à tous, car il eſt raiſonnable, que quine demeure ferme en ce qu’il aiuré, ſoit oublié, afin qu’vn autre ait le contentement de l’amitié d’vn courage de me rite. Breficy eſt recognue la ſincerité des cœurs. Et ſi durant cét anniuerſaire, les amans veulent faire demonſtration de ce qu’ils ſont, le temps de la belle figure ſera la ſemaine prochaine où — l’autre d’apres, ſelon les affaires, adonques les excellences de ſes merueilles paroiſtront.Cét Am baſſadeur ayant ouy cela remercia le bon hom me, & ſ’en retourna auec les Princes qui l’acer tenerent de la proſperité d’Etherine, parquoy ayant rendu graces au Roy, reprit ſon chemin, auec du contentement & des preſens.

Sarmedoxe eſtant retourné vers l’Empereur, luy raconta ce qu’ilauoit dit à cét Ambaſſadeur, dont il luy prit enuie de voir ceſte belle figure, mais le Sage le remit au temps qu’il conuenoit, ce que ſa majeſté eut agreable, oyant les raiſons dont on le ſatisfit : & pour acheuer le iour auec grace, Sarmedoxe le conduiſit à la fontaine, Pi daxebe dont la merueille eſt grande, car la vraye ſource en eſt au Royaume de Claura, & touteſ fois par ſous les terres & les mers, elle vienticy § en vn vifruiſſeau, qui ſe pouſſant en haut, eſt par induſtrie ſinettement rabbatu, que l’eau ſe relaiſſant cheoir vniment, fait vne belleton nelle, qui repreſente l’arc du ciel quand le Soleil y donne. Par deſſous il y a vne petite arche par laquelle on y entre.L’Empereur proche de ceſte tonnelle : dont la voute de l’eau eſt de l’eſpoiſ ſeur de trois lignes, ſ’eſmerueille de ceſte § conſtruction : puis regardant attentiuement, ily void des ieunes hommes entretenans des Nym fes, & entre autres, il y en a vn qui iouë d’vne ly re, auec le ſon de laquelle il lui oyoit proferer d’vne belle voix ces paroles.


Le colombin Conſtance.

Soleil de nos eſpris amour qui viuifies
Les cœurs illuminez de tes rayons heureux,

Qui rends pour ton plaiſir les ames accomplies, En ordonnant leurforme au deſſein de tes feux.’Autant que i’ay d’amour donnemoy de conſtance | Tour chanter le merite, & la grace & l’honneur D# ſymbole parfait de la ſainčte conſtance, — Que ma maiſtreſſe oblige à ſa belle couleur. · · sa conſtance me ſoit l’auantageux modelle | Que i’imite en mesfaits ainſi qu’en mes diſcours Et qu’elle croye auſſi que ie luy ſuis fidele Autant que ie la croy conſtante en ſes amours. conſtance nourriture eternelle des ames Qui cherchent en aymant de meriter le prix, Aſſeurance d’eſpoir entretien de nos flames, Tu conioints les penſers vniſſans les eſprits. Onique liaiſon des courages fideles, | Te l’amour acompli l’effait plus glorieux, — sous la belle couleur des chaſtes coulombelles Ma belle te cherit au plaiſir de ſes yeux. Coulombin agreableaux jeux de ma maiſtreſſe, — — \ Touſiours meſmepº conſtant en ton eſclat heu · ·, reux, — — Tels ſont les beaux oyſeaux que touſîours l’a— mour bleſſe, — Pour l’oniqne ſuiet de leur cœur amoureux. Couleur en ta beauté iuſtement ordonnee Sans vieillirparle ans, ny changer par ſaiſon, Tu es belle auiourd’huy comme quãd tu fus nee, # nous ſignifier conſtace par raiſon.(ſance, " Mh quelque endroit qu’Amourayt monſtréſa puiſ On n’a iamais cognud’entiere affection — ſQu’anx coulöbes qui ont de l’amoureuſe eſſence, |, T)oucement reſu ccé toute perfection. — · Lturs baiſersamoureux oit l’amonr renouuelle Sans s’eſteindre iamais, ſon plus ardent braſier, Monſtrèt que n’eſtimäs autre amitié plus belle, Se tienent ſans changer à leur ſuiet premier. " Tout ainſi qu’elles ſont d’amour entretenues, Que leur fidelité ſemaintient conſtamment, Sans changer elles ſont de conſtance veſtues, couurant leur loyauté ſous leur beau parement. Et pource coulombingloire de ma penſee, Lors que de ton honneur ieme repareray, On verra que i’auray touſîours l ame addreſſee Al’vnique conſtance autant que ie viuray. 1’auray ceſte couleur pour obiet agreable, Et le ne penſeray viure que pour l’aymer, Tout autre eſt ſans deſſein & partant periſſable, Et pres de ceſte cy ne ſe doit eſtimer. Coulombes qui touſiours chaſtes, humbles, conſtates, Volettez auecl’aer de vos affections, Loyalles tout autant qu’eſtes d’amour brillantes, Fauorisés les vœux de mes conceptions. Et toy prince des cœurs de qui la douce mere Se laiſſe tranſporter à ces chaſtes oyſeaux, Fay que mon ame ſoit aymant autant entiere Que tes plaiſirs ſont doux & tes effaits sôt beaux, Uiue le coulombin puis qu’il me ſignifie La conſtance en amour : Auſſi bien autrement Ou ne peut ſauourervne amoureuſe vie, N’y recueillir le fruits d’vn vray contentemêt. ZBelle qui m’as reduit à te faire ſeruice, Si ta couleur te plaiſt & la conſtance auſſi, T’rens plaiſir que mon cœur conſtament t’obeiſſe, C’eſt mon höneur mā bien, mon eſpoir, mäſoncy. Le canal d’autour la tonnelle ne ſ’empliſſoit Point, & l’eau couloit inceſlamment, à quoy l’Empereur prit vn peu garde, mais il auoit in tention d’entrer là, parquoy il dit à Sarmedoxe. Mon pere, ſi ie paſſe à trauers ceſte eau pour aller où ſont ces Nymfes, offenceray-ie ? Sarmedoxe. Non, Sire, mais vous ſeriés mouillé, & feriés ſolution de continuité pour vn temps, il vaut mieux que vous y entriés par la petite entree, afin que toutes nos actions fuyuent la regle parfaite. L’Empereur qui auoit reſigné ſa volonté aux inſtitutions de l’obeiſſance, obeit au ſage, & veint en la tonnelle, & y vid de pres à ſon plaiſir ce qu’elle contenoit. Cependant qu’il s’y delectoit, il ſuruint vn des Princes qui l’aduertit d’vne belle auanture : C’eſt qu’il y auoit en la ſale vn nouueau venu, qui luy apporta brin du grand coagule, qui diſtile de l’arbre : dont eſt produit le fruict qui nourrit la Nymfe Xyrile, à ceſte nouuelle l’Empereur retourna auſſitoſt, & le gentilhomme nouuellement arriué luy fut preſenté qui luy ayant fait la reuerence luy dit, Sire, le deſir d’eſtre du nombre de l’heureuſe troupe, qui s’eſt miſe en queſte de la Belle Xyrile, me fit aſſembler ſix de mes amis, pour tous enſemble nous ranger auec ces voyageurs. Nous fiſmes eſtat de tout ce qui eſtoit neceſſaire : mais nous n’arriuaſmes pas aſſez toſt, ſi que le vaiſſeau où ſ’eſtoyent mis ces beaux eſprits, auoit deſia leué les voiles. Pour cela nous ne perdimes point courage : car nous pourſuiuiſmes chemin, tant qu’il nous fut poſſible, & nous eſtans fait mutuelle promeſſe de ne nous abandonner iamais l’vn l’autre, auons enſemble veu pluſieurs regions, & contrees, auſſi ſans crainte ne trauail & incommodité, noſtre entrepriſe a reuſſi à telle fin que ie vous declare ray. Apres auoir eſté long temps ſur mer, vn peu las de la marine, nous priſmes port en vn haure de Perſe, & nous veint à plaiſir de quit ter l’Ocean pour voyager ſur le ſec, & pres des riuieres, & en ceſte deliberation tirans pais, nous nous trouuaſmes à l’endroit où le Tigris entre dans l’Eufrates, approchans de la nous ouiſmes derriere nous vn grand bruit de ſifflemens diuers & eſpouuätables, & nous reulräs, viſmes des ſer és de toutes ſortes & grâdeurs, qui ſ’auançoyét à nous, ce fut là vne de nos peurs plus exactes, car de reſiſter il n’y auoit point d’ordre, & encore · moinsd’apparence de ſe ſauuer à la fuite, car au pris que nous fuyons ils faiſoyët de grands allon gemens, en fin cóme deſeſperez, ne recherchans plus que le retardement du treſpas, nous ha § le pas auec telle diligence, que nous en traſmes en vn eſpace fort beau, que nous ne di ſcernaſmes qu’apres, venus, là recreus, &’deli · berez de mourir, nous nous iettaſmes vers les beaux arbres, & nous barricadans d’eux, euſmes recours à nos eſpees, pour tuer en mourant. Mais il ne nous en fut point beſoin, d’autant que ces ſerpens qui gliſſoyent de grand roideur à nous, demeurerent derriere, ſans plus paſſer ou tre, bien s’eſlencoyent-ils en haut, & à la foule s’amaſſoiét eſpouuantablement, noſtre peur fut changee en admiration, voyans que ces meſ chans animaux ne paſſoyent point, & puis nous les viſmes ſ’en retourner comme vn flus de maree, cela nous donna occaſion d’aſſeurance, ſi que nous continuaſmes noſtre chemin, iuſques ſous des arbres fort beaux, & dont l’agreable ombrage nous inuitoit au repos, que nous y priſmes doucement, & auec telle delectation, queiamais nos eſprits ne furent ſi contans, & de fait en ceſte belle contree, nous remarquaſmes tant de beautez que nous en eſtions eſmerueil lez : en ce penſement & repos, il nous pritvn doux ſommeil, & nous endormiſmes, de dire combien d’heures, nous ne ſcauons, tant meſ mes le dormir nous fut plaiſant : Au réueil, cha cun racontant les beautez de ſon ſonge, nous de liberaſmes de les rememorer, & de fait nous en auons fait cſtat, pour en rendre contevniour en l’hermitage d Honneur, ou chacun de nqus doit apporter le ſien graué en lames d’or. Réueillez, nous nous promenaſmes par ce beau lieu, cher chans ſi nous y verrions quelque choſe de re marque, paſſans par deſſous des cedres, nous viſ mes vn perſonnage qui ſembloit ſortir de ter re, cét homme nous ayant veu, veint à nous, & nous demanda qui nous eſtions, ce fut auecvne façon tant pleine de majeſté venerable & de douceur, qu’incontinant le ſaluant & lui faiſant la reuerence, nous luy deduiſimes les affaires de noſtre fortune : Ce bon pere ſembloit eſtre trop vieil & de grand âge, † decrepit & abatu, & toutesfois il cheminoit droit, & parloit ſage ment, & nous ayant ouïs nous fit vn bon re cueil, &† d’entrer en ſon antre. Il eſt vray, nous viſmes vne des merueilles du monde, la · grotte de la Fee Romande, amye de Floride n’eſt ºn au pris, les excellentes ſalles de Fees n’en approchent point, & les tabernacles des Sybi les n’entrent point en comparaiſon auec cct tuy-ci qui les ſurpaſſe de tout en tout.Nous he bergeaſmes là pour le reſte de ce iour & de la nuict, auecvn plaiſir égal à celuy, qu’ont ceux — qui ſont contens : Siie pouuois me ſouuenir des bons propos du ſage vieillard, ie ſerois le plus heureux du monde, & aurois dequoy contenter les plus difficiles eſprits : Ce bon homme ne voulut pas nous faire la courtoiſie à demy : car nous ayant deduit par diſcours tout ce qu’il y a de plus beau en la conqueſte que nous auions entrepriſe, nous mena de bon matin au verger d’Amour, ainſi eſt nommé ſon iardin, & là nous monſtra le grandvegetable cultiué, & puis le bon Coagule vniuerſel, dont il nous donna quel ques brins, apres quoy il nous mit en noſtre chemin, nous donnant ſa benediction, l’ayant humblement remercié nous pourſuiuiſmes nos voyes, & vinnes loger au ſoir, en vn village eſlongné à noſtre auis : car nous fiſmes aſſez de chemin pour eſtre las, & cognoiſtre le deſtour que nous auions fait, il eſt vray que marchans en la vertu du repos & aiſe que nous auions eu, il ne nous eſtoit pointauis que nous nous laſlrons beaucoup, ioint que l’aiſe d’auoir participé 3ll grand bien nous tranſportoit, & n’eumes point le propre auis de noſtre laſſitude, qu’au ſoir, à l’eſloignement de ce lieu tant †. Apres que nous fuſmes vn peu repoſez, nous racon taſmes à ceux du païs l’auanture des ſerpens, & comme nous auions paſlé par ce lieu de delices, taiſans le bien que nous en raportions ces bonnes perſonnes qui nous ouyrét faire ces diſcours ſ’eſmerueillerent, & nous dirent qu’il y auoit beaucoup de temps que ceſte rencontre n’auoit eſté, & que cela auenoitfort rarement : Ils nous dirent bien d’autres merueilles que nous ne ſauions pas, & que de pere en fils, ils auoyent re ceues eſtre en ceſte petite partie de terres : cela nous vint au cœur d’y retourner, car nous pen ſions qu’aiſément nous le pourrions, parquoy ayans auiſé enſemble de ce que nous deuions faire, nous nous miſmes en deuoir d’executer ceſte entrepriſe, & de fait nous auons mis tout deuoir de nous en ecclaircir, pour acumuler plaiſir ſur plaiſir, mais il eſt auenu au rebours, d’autant que nous auons amaſſé douleur auec peine, ſans fruict profitable : parce que nous auons ou tournoyé, ou paſſé aupres, ou coſtoyé ſur nos premieres erres, comme il nous eſt auis, & cependant n’auons rien gaigné, n’ayans peu iamais retrouuer ce lieutant deſirable. Et pour ce que nous deſirions que noſtre peine nous fut vtile, nous nous ſommes auiſez de nous ſeparer, pour chercher ceſte petite contree, ce qui a eſté fait, mais auec promeſſe mutuelle de nous ren † à ce grand anniuerſaire : ſoit que nous euſſions rencontré ou non. Dés l’heure nous † chacun ſon canton, ie ne ſcay qu’ont ait les autres, quant à moyie n’ay peu rencon trer, & n’ay eu aucune nouuelle d’aucun de mes compaignons, bien que i’aye repaſſé par le vila ge où nous auions logé enſemble la premiere fois, apres noſtre iſſue de ce bon lieu, là mere — poſant & attendant quelquesiours, i’appris que ce deſtroit de terres où nous auions eu tant de — † du paradis ou iardin d’Eden, où per onne ne peut entrer par deſſein : Si nous euſſions † garde à ce que l’on nous en diſoit en ce vi age, nous l’euſſions ſceu dés que nous y vinmes l’autre fois, mais nous auions tant de preſom ption à cauſe de noſtre bonne rencontre, † — conſiderément ſans prendre garde à conſeil ou auis, nous ſuyuiſmes noſtre opinion, apres la quelle & que i’ay appris ce qui en eſt, i’ay quitté ceſteaffaire, iuſques à vne autre fois, & ſelon ma promeſſe ſuis venu à cét anniuerſaire vousapor tant, Sire, de ceſte rareté, que i’ay obtenue plus par bonne fortune que par prudence, & la vous offre en vœu, que i’appens au pieds d’Amour en cét Hermitage, où i’eſpere vniour venir auec ma maiſtreſle, poury receuoirarreſt ſelon mesme rites amoureux. L’Empereur receut ce rareio yau qu’il recognut d’vn preſent qui le ſurmon toit, non en valeur, ains en prix : l’intention du entilhomme eſtoit de le preſenterauRoy : mais # Princes l’auoyent ainſi addreſſé, pour de plus en plus honorer & obliger l’Empereur.Ces ren contres refiouiſſoyentl’Empereur qui ſe ſentoit alegé, & meſmes ſes hypocondres n’eſtoyent plus ſi tendus, & ſa durté de rates’amoindriſſoit, ſi qu’ilyauoit eſperance de mieux.