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Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise III/Dessein XI

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DESSEIN VNZIESME.


Belles pointes d'amour. Reuers contre les ames qui deſpriſent les belles promptitudes. Amours galans de Voſolint & de la petite Floride. Traict ſur le ſujet d'vn miroir. Paſſions amoureuſes ſur le ſuiet d'vn crayon.



LA lieſſe eſtoit fortifiee en l'hermitage, tant à cauſe des belles auantures qui ſ'y acheuoyent que pour la ioye que l'Empereur en receuoit, laquelle ſe meſloit tellement és eſprits de tous, que la pure lieſſe en treſſailloit. En ceſte commune alegreſſe le iour eſtant reuenu ce Monarque fut conduit au quatrieſme palais, qui eſtoit natté partout, & luy & ſes gens par l'ordre que les Princes y auoyent continuee, veſtu de draps de couleur de iaune paillé ſelon la couleur attribuee à Iupiter. L'Empereur aſſis & les amans appellez, voicy vn qui ſe preſenta aſſez hagardement, & dit, Sire, voila vne belle que ie vous prie de iuger ſelon voſtre equité, à ce qu'elle reſſente le mal qu'elle m'a fait ſouffrir en la ſeruant. Acheuant ceſte parole la muſique preſte, ſouſpira auec l'épinette, l'ær que cét amant auoit le premier aſſemblé pour proteſter de ſon amour à ſa Dame.

Il eſt vray, c'eſt Amour qui force mon courage,
Ie forcene apres l'ar de vos perfections :

Mon cœur eſt emportépar le venteux nuage, Quil’eſleue par vous ſur ſes affections. Vous le cognoiſſez bien, car vous en faires gloire, 8t vous me gourmandez ſans en faire ſemblant, Et pour mepointiller vous me faites accroire, Que vous alle (pour moi quelque amour aſſem blant. C’eſt comme ilfaut leurrer les ames ignorantes, Tour les façöner mieux aux deſſeinsamoureux, Mais de traitterainſi les penſeesſpauantes, Ma belle le hazarden eſt trop dangereux. Non, non, ne penſe{ pas que vous ſoieXſi belle, Que ie nepuiſſe bien n’aimer pas vos beautez, Mais ie vous veux aimer pour paroiſtre fidele, Et que brane ie ſuis Rgi de mes volonte (. C’iue{ ſi vou voulez auec tout artifice, OupaſſeX doucement vos diuerſes humeurs, Ie le cognoiſtray bien, car i’ayfaict exercice Sous l’eſtendart d’amour pour cognoiſtre les C0º/47"$. Tant qu’vne belle humeur vou rendra deſirable, I’obligeray mon cœur au ſeruice voué, Mais ſi vous oubliez ceſtegrace agreable, Ie dirai Pour neant, comme m’eſtant ioué. Puis vn iourvous difie que voſtre ame galante Ne ſe ſoucioit plus de ce que vous ſpauiex, C’eſt fait, me voilà doncpriué de mon attente, Car vousſeauiez.d ſa que vous me poſſedie (. Auſſi ce n eſt pas vous que mon eſprit honore, Mais la belle vertu compaigne de vos mœurs, C’eſt celle qu’en vos yeux deuotieux i’adore, Cos vertus ſont l’obiet de mes viues ardeurs, Jeſuirtout de courage, & vous toute accomplie,

Vous meritez beaucoup, ie ſuis preſomptueux,
Si vous faites eſtat des deuoirs de ma vie,
Vous aurez de la gloire en me rendant heureux.

Les Muſiciens prenans plaiſir à bien reciter ces vers, l’Amant qui auoit la voix bonne, les aydoit, † s’approchant de la petite Floº ride ſa Maiſtreſſe, luy dit : C’eſt ainſi que la grandeur de mon courage s’eſtablit en vous voulant faire ſeruice : Elle luy dit, A la verité, Voſolint, vous commencez par vne brauade qui n’eſt point mauuaiſe : Eſtiez-vous de ceſte hu meur quand eſperant aupres de moy vous’atti riez mes volontez par l’humble artifice de vos ſouſpirs ? Il vouloit prendre le fil de ce diſcours, & parler, que Gijoriſe entrant ces Amans ehan gerent de geſte & de propos, tous deux, & ſe lon l’vſage de ceans la ceremonie faite, Vo loſint auec vn reſpect de belle ſorte, ſe vint preſenter à la Belle, luy diſant, Vous ſça uez, Mademoiſelle, que ie ſuis à vous, & pour ce ie vous prie me faire l’honneur de me don Iner VIl § que vous prenez plaiſir que ceſtefortune megouuerne : Commandez, moy doncques quelque choſe pour voſtre ſer uice. FL o R 1 D E, Vous auez aſſez de perfe ctions pour trouuer l’occaſion de ce que vous pretendez. VosoLINT. Maisie vous prie m’en donner vn ſuiet, afin quei’aye ceſte gloire que ie m’employe par voſtre commandement. FLoRIDE. Ne laiſſez pas de vous aduancer à / quelque bel effet, encores que ie ne vous en donne point de ſuiect. VosoLINT. Donnez m’en doncques loiſir. FLoRIDE. Il n’en faut point à ceux qui ayment bien : carl’Amour leur ſuggere à l’inſtant qu’il leur eſt neceſſaire. A ceſte parole il s’arreſta comme penſif, fit quel ques pas du coſté de la barre des aſſiſtans, puis allant au chœur des Chantres il pritvne Viole, & reuint en ſa place pres Floride, & accorda ſa voix auecl’inſtrument pour chanter.

Où ſont ces beaux eſprits qui auront la puiſſance T)’exciter vn ſuiet n’en aiant point ſuiet, ui pourroient ſuſciter vne nouuelle effence, Laquelle ſans deſſeinformeroit vnproietº Il ne s’en trouue plus, e n’eſt mortelau monde Quiſoit tant releuéſur la perfection, Il n’ya fantaiſie entre nous ſi faconde, Quipuiſſe ainſi tournerſa belle inuention, · Les eſprits de iadis, ces admirables ames | Ont tout dit, ont tout fait, ne nous ont rien laiſsé, Cartout fut conſommé par les premieresflames, Quemirétles beaux cœursaux beautez dupaſsé. Mau ne recherchons plus ceſte idee premiere De la vieille beauté, trompereſſe des yeux, Tarmi nos beaux flambeaux, vne belle lumiere T{ end bièvn autre eſclat qui fait encoresmieux. Sesfeux ſont feux nouueaux, nouuelles eſtincelles, Ét nouueaux cœurs viendront ici ſe conſommer. Nouueaux effets sötfaits par descauſes nouuelles Contre l’eſtat formant rien ne doit preſumer, fe l’ai veue ainſi belle, il faut que ie la ſuiue, Ilmefaut à ſes yeux renouuellermon cœur, Ceſterare beauté qui veut que mon cœur viue, Pour desſuiets nouueaux mepreſte ſafaueur. Mon doux ohiet d’eſprit, doux ſuiet de ma vie, Puis qu’il vous est à gré de m’auoir arreſté,

Uous ſerez en mes vœux tant ſaintement ſeruie,
Que vou ferez eſtat de ma fidelité.
Vous eſtes mon Soleil, il faut que ie m’addreſſe
Aux biēheureux ſentiers ou vo° m’eſclairerez,
Et vous recognoiſſant fauorable Maiſtreſſe,
Humble i’obeirai, car vous commanderez.
Ainſi mille ſuiets naiſtront dedans mon ame,
On verra tout nouueau dans mes conceptions,
Et gouuerné par l’œil d’vne ſi belle Dame,
On me verra brauer en mes inuentions.

Il y a touſiours des eſprits qui ſe troublent pour l’excellence des autres, ce qui ſe void & † maintenant en cecy, carencores que a perfection d’amour & de gentilleſſe d’eſprit y reluyſe : toutesfois la malignité naturelle non bien eſteinte és cœurs de quelques nouueaux venus, & non encores bien inſtruicts és ma ximes & loix vertueuſes de l’Hermitage, cau ſa que certaines Dames & autres en ceſte aſ ſemblee, au lieu de gratifier ceſt amant, & pri ſer ſa dexterité & promptitude, ſe mirent à en traicter vne petite enuie, diſans enſemble, qu’il auoit bien premedité ces couplets. Vo ſolint † les entendit ſe retourna, & comme en choiere dit au troublé où ſon cœur eſtoit : Si les leuresqui proferent ceſte malignité eſtoiët de perſonnes qui fiſſent profeſſion de l’honneur que l’on debat par l’eſpee, ie taſcherois d’obte nir preſentement de ce iuſte Empereur congé de faire voir que lesarmes me ſont autant, voi re plus familiaires que le diſcours qui m’eſt ſi doucement infuſé par la beauté que i’honore, qu’encores que ie ne ſois point payé pour dire, ie neveux pourtât laiſſer de taſcher à y exceller, pour faire paroiſtre la viueardeur de mes galan tes amours en la verité de mes affectiös, ſans leſ quellesie ne pourrois ny me ſoucierois d’aſſem bler deux ſeules paroles, auſſiien’é fais que pour 170 Oll plaiſir & le ſien. Mais pource que ce ſont Dames qui me veulent rabaiſſer deuant ma mai ſtreſſe, ie leur veux faire paroiſtre que les belles rencontres de diſcours croiſſent en ma bouche côme les flames amoureuſes naiflent inceſlam ment en mon cœur. Belles qui depeſchez ſi toſt ceux qui ne vous ont point offencé, nouices en ccſte heureuſe maiſon oyez moy en ce petit dé pit qui vous picquera iuſques au ſentiment de voſtre malignité.


GRACES, ne faites plus aux voſtres defaueurs, Tuis qu’on n’eſtime pas voſtre douce influence, · Ne nous eſnouuez plus de vos belles fureurs, Si le meſpris en fin en eſt la recompenſe. ZBeaux eſprits qui iuge K des belles actions, Au mons ſi vous iugeX., que ce ſoit en droiture, ſQuand vous eſtimereN de nos eſmotions, CognoiſſeX que’lles ſont an deſſu de Nature. Les grands cœurs releusX de leurs ſuiets d’honneur, Ne ſongent pas longtemps les traicts de leur ou urage, — Auſſi toſt que la cauſe eſpoinçonne leur cœur, On voit tout auſſi tof l’ffet de leur courage. Puis les traitts par longueur de trauailaffectez, Ne ſont point tåt naifs qu’vne pointe ſoudaine, Les beaux vers ne sôt point mignönemèt traiteX. Quandletºps par labeur les arrache à la peine.

Or iugez beaux eſprits ainſi q u’il vous plaira,
Si ſuyuray-ie touſiours mon humeur deſirable,
Ie feraytout ainſi que mon cœur le dira,
Plus prompt eſt vn effet plus il eſt agreable.

Ce petit excez d’entendement m’a tiré d’aupres de ma maiſtreſſe : Mais belle ayez-en le plaiſir, car c’eſt vous qui eſtes cauſe du bien que ie fay, auſſi ie me promets qu’il faut que vos belles graces me gratifient de ce qu’vn amant merite. FL o R 1 D E. I’ay autrefois ouy raconter des amours & entendu faire des recits de recherches de ceux qui s’addonnent au ſeruice de quel ques Dames, mais ie n’ay iamais rien ouy ny penſé, ny recogneu ſemblable àvos comporte mens. V o s o L 1 NT. Ie ſçay bien que vous m’eſtimerez preſomptueux. Et i’ayme beau coup mieux, que ceſte opinion ſe leue en vo ſtre ame pour mon ſuiet, que la penſee con traire qui vous feroit croire que ie n’aurois pas Paſſeurance de tenter vne ſi aduantageuſe † tune : Orie puis dignement vous proteſter du deſir que i’ay à vous ſeruir, & le vous faire pa roiſtre, vos perfections m’y contraignent, & i’y ſuis forcé par ma valeur : car i’ay trop de cou rage pour manquer à ce beau deuoir. Plus l’ad | uanture eſt grande & notable, & plus faut de magnanimité pour s’y hazarder, cognoiſſant vos merites, ie preſume heureuſement m’é— galer en deſirs pour vous faire preuue du ze le que i’ay à vous áymer & honorer. Le temps &lvoſtre volonté en tireront les demonſtra tions certaines, par leſquelles vous entendrez la yerité de mon obeiſſance, & puis vaincuë par mon humilité, vous m’accepterez. FLoRIDE. Vos merites me perſuadent aſſez à vous vou loir du bien, & ie deſire me maintenir en ceſte grace de bon-heur, que ie croy auoir en vous poſſedant. Mais comment ſçauray-ie ſi vous me ſerez fidele ? VosoLINT. Par le teſmoigna ge de voſtre cœur quile iugeras & afin qu’il ſoit vray, donnez-moy vne alliance. FLoRIDE. De mandez — la. VosoLINT. Soyez ma lumiere. FLoRIDE. Que dira noſtre belle pucelle tant vaillante, ſi nous empruntons l’alliance qu’el le a auec ſon ſeruiteur ? VosoLINT. Elle en ſe ra plus glorieuſe d’eſtre imitee, & puis le meſ me eſprit qui faiſoit ceſtealliance, eſt celuy qui nous agite D’auantage ſouuent les belles re etitions des circonſtancesd’Amour ſont agrea † à ceux qui en ſentent les pointes de douceur en leurs ames. FLoRIDE. Ie veux doncques bien ce que vous me demandez, mais ily va de noſtre reputation, n’ayant rien ſçeu inuenter de nouueau. VosoL INT. Le deſtin nous contrainct à ceſte action qui ne peut autrementeſtre.FLoR. Bien donc, mais que me ſerez-vous VosoLINT. Ce qu’il faut. FLoR. Suyuant ceſte belle amante ie vous diray que n’y ayant au monde qu’vnelu miere, ſiie ſuis ſeule Dame de voſtre cœur, il cö uient que vous ſoyez auſſi mon vnique.VosoL. I’ay obtenu ce que ie deſirois, auſſi vous ſçauez que ie ne ſouhaite que ce que l’honneur veut, & depuis le temps que i’ay eu l’honneur de vous frequenter, ie n’ay vſé de moyen que de celuy que la vertu nous eſtablit, ſuiuant lequel ie ſe · ray touſiours à vous. FLoRIDE. Aymez-moy doncques, & tout ainſi que la lumiere eſclaire ſans feinte, rendez-y le reciproque, & aduiſez qu’il n’y ayt point de fraude en voſtre eſprit, au trementi’auray regret de vous auoir affection né : Et ſcachez que l’amitié d’vne ame innocen te eſt la plus heureuſe fortune qui puiſſe eſ choir à vn bel entendement, & faites que ie vous trouue touſiours égal à vous-meſmes, ſans tacher ceſte belle reputation que vous vou lez acheuer d’imprimer en m5 ame.VosoLINT. Ma lumiere, ainſi vous puiſ-ie nommer, tant pour noſtre iuſte alliance, que pour le ſecret inſtinct dont vous luiſez en mon cœur, qui ne reçoit autre eſpoir de vie, que ce qu’il vous plaiſt luy en departir. Ma lumiere doncques ie vous ouure icy mon courage. Ie vous ſup † de ſupporter les deffauts que quelques fois’apparence pourroit faire eſtimer eſtre en ce qui eſt de mon deuoir, & quoy que ce ſoit, croire qu’il n’y aura momët que ie ne medite apres les meilleurs deſirs qui me ſollicitent à vous fai re voir ma fidelité, qui ne diminuera ia mais. Je ſcay, & i’eſpere qu’il ne ſe trou uera aucun deſordre par mon erreur expres, en la fortune que ie tente en vous ſeruant : Ce que vous iugerez, cognoiſſant que vous ne m’auez dit parole que ie n’aye ciſelee en mon cœur, dont les conceptions vous ſeront touſ iours manifeſtes : vos diſcours me ſont des Oracles, que ie tiens & tiendray touſiours pour les loix de mon ame, & ce que par elles i’apprendray de vos deſſeins, eſt l’eſtat ſur lequel ie veux donner regle à mes volontez. Si ie n’eſtois point voſtre ſeruiteur, ie viurois auec vous à l’auanture : mais l’honneur que ie porte à ce que ie ſers, auec tant de parfaictes af-, fections, me retient & conduit ſelon vos ordon nances, en l’amour, au reſpect, & en l’apparen ce qui me gouuernent. Ie m’aſſeure que conti nuant, vous me trouuerez auſſi accompli en ces effects, que le doit eſtre celuy qui veut obtenir vne fin heureuſe de la ſeruitude agreable où l’a— mour l’engage. Cependant ma vehemente af fection paroiſtratoute moderee, afin qu’elle ne ſoit cognuë que de vous ſeule. Le reſpect me conduira pour apprendrel’ordre de mon deuoir à ce que ievous ſerue opportunément. Et mon eſperance qui ſe veut eſtablir vn fidele arreſt, me fera temporiſer iuſques à l’heure que ie rece uray de vous l’arreſt de mon bien : Auſſi ie vous prie auiſer à l’equité de mes pretentions, eſtant certaine de ma loyauté, qui par le temps vous ſera encor plus apparente ; car autant que i’auray de vie, de courage, & de belles penſees, 1e m’oc cuperay aux deſſeins de valleur qui me pouſſent, à la gloire entiere de la perſèuerance. Et eſtant voſtre vnique, ie ſeray vnique en brauesactions, quiteſmoigneront mes legitimes amours, pour leſquelles ie feray de ſi belles entrepriſes, qu’il · en naiſtra vn remarquable fruict, & l’integrité de ma foy vous en rendra preuue veritable.C’eſt ce que ie pretens, c’eſt ce que ie deſire : Et au bon propos de ceſte verité, ie vous ſupplie, ſiieme rite quelque grace, vous ayant pour but de par faicts deſirs, que le ne ſois point fruſtré de l’eſ poir qui fait que ie ne pourray iamais eſtre à

autre qu’à vous, qui eſtes l’eternelle lumiere de mavie. F L o R 1 D E. Mon vnique, ie ne vous.priuerayiamais du contentement que ie deſire pour moy-meſme, tous ces beaux diſcours ne söt point la liaiſon de noſtreamitié, il faut qu’v— ne belle perſeuerance nous vniſſe, & s’il n’y a que moy à rompre ce beau lien qui nous enlace ſi doucement, il faut que vous ſoyez aſſeuré que iamais il n’en viendra faute, ie veux que vous le croyez. Et bien que ces iours paſſez i’aye eu quelque froideur contre vous, ce n’a pas eſté our eſteindre les flames de noſtre amour, vous § ſçauez bien, ce n’eſtoit qu’vne goutelette d’eau pour les eſmouuoir & viuifier : & puis pour vous teſmoigner que ie deſirois qu’il n’y euſt entre nous que perfection de bonne volon té, & que vous † lire en mon ame, ie def fis expres la glace de mon miroir, & comme ſi c’euſt eſté par fortune que cela fuſt auenu, ie vous baillé le Miroir & vous prié de le faire ra—. coutrer. V o s o L I N T. Ce me fut vn traict fort fauorable, car i’aucis eu grand ennuy de ceſte ſimilitude de diſgrace, dont pourtantie n’auois pas peur, d’autant que i’auois le cœur innocent, ſçachant n’auoir point faict de faute, i’en eu toutesfois vn ſi grand deſplaiſir, quei’eſtois ſur le poinct d’entrer en deſeſpoir, cholere d’eſtre puni ſans auoir mesfaict, & vous qui auez du iugementy prouueuſtes par ce bel artifice, me mettant en main voſtre miroir pour le racou trer, & par meſme moyen de conſoler mon ame, alors ie vous rendis ceſte offrande auec voſtre mitoir.

Quand vous conſiderez en ceſte claireglace De vos perfections les belles raretex, Non, vous n’y voye K. point ceſte parfaitegrace Que tout œil recognoiſt aux traicts de vos bean te (. | Tequoy vous peut ſeruir de ſpauoir eſtre belle ? C’eſt cela que ſans plus vou monſtre le miroir, Mais dans le cœur amant qui vous eſt tout fidele ſOou verre K. vos beautez pourſçauoir leur pou M0t/". Voſtre œil beau roydes yeux meſ deuroit pas plaire Au rapport des miroirs bien ſounent imparfaits, C’eſt dans les yeux d’amour qu’il ſe faut ſatisfaire Et voir dedans les cœurs le pouuoir deſes traicts. VoyeK. donc par mes yeux dans mon ame conſtante, (Joyez voſtre pouuoir ſur mes affections, Non comme en ce miroi qui ne vous repreſente Que les traits paſſagers de vos perfections. Mais Belle, voyeX y, voyez-y donc ma Belle, Et vous y cognoiſtrez vn effect merueilleux, R gardez-y de pres vous me verrez fidele, N’auoir autre lumiere en mö cœur que vosyeux.

Et afin que ie vous peuſſe faire voir l’vlcere de mon cœur, & ce que ie pretends eſtant voſtre, ſi toſt que ceſte nouuelle emotion vous eut faict changer de façon vers moy, eſtant retiré du deſplaiſir où i’eſtois, ie tracé ſur le dos du mi roir quelques ſouſpirs : voila comme Amour me traicte, & comment il vous plaiſt que ie viue, tantoſt triſte, tantoſt contant, & n’oſant vous inquieter ie m’addreſſois à voſtre miroir, en ces termes,

Miroir où les beaux yeux de ma belle lumiere Conſiderent les traitts de leurs perfections, Que ne luy monſtres-tumöame humble & entiere 7Ne viure que desfeux tireK deſes rayons ? Tuluyfais aſſeX voir ce qu’elle veut cognoiſtre, 8n luy repreſentant les traicts de ſa beauté, ue n’as-tu lemoyen de luyfaire paroiſtre Les fideles deſſeins de mafidelité ? Ingrat tu reçois tout ce qu’elle te preſente, Et tu ne voudrois pas alegermon deſir, Quand tu ſeras froiſsé, & qu’elle te lamente, Taperte & ſa douleur me ſeront à plaiſir.

Floride Ie m’en ſouuiens, & par là vous me faiſiez paroiſtre fort peu d’affection, veu que vous dites que l’ennuy que i’aurois de la perte de mon miroir vous ſeroit agreable. Quelque choſe que vous fiſſiez paroiſtre, ſi auiez-vous de la cholere, teſmoin que comme trop faſché, vous m’enuoyaſtes par voſtre laquay ce Sonnet,

Ie vous honore & vous n’en faities conte, Ieſuis à vous, vous n’enfaictes plus cas, Ie vous eſtime, & vous n’ypenſez pas, Faiſant ſemblantpreſque d’en auoir honte : « _WMon braue eſprit bien aiſement ſe doute, Pour eſchapper les amoureux appau, I’aime beaucoup, mais auectel compas, Que mon amour ma raiſon ne ſurmonte. Faictes ainſi que vous deſirerex, Siſgay ie bien que iamais vous n’aurez Digne ſuiet, d’amitiéſ parfaitte ; Et puis eſtant toute hors de mon cœur, le vous verray deteſter le malheur, ſ2si vous aura de mon ame diſtraicte.

Tels ſont les traicts dont vous me gourmandez, tellement que ſi tout ce que vous dites eſt vray, ie ne ſçay ſi ie puis croire que vous m’aymiez maintenant. V o s o L 1 N I. Ie vous ſupplie de iuger egalement ; Ie poſe le fait que vous m’euſ ſiez diſgracié ſans cauſe, & que de deſeſpoirie ne vouluſſe &ne peuſſe plus rien aimer : Encor faut il pardonner à ceux qui ſont outrez de la iuſte douleur qui les tranſporte. I’eſtois en teleſtat ſi mal mené de la fortune, par le ſemblant de diſ grace dont vous vſiez ſur moy, que ie ne ſçauois ce que ie faiſois. Et ie vous ſupplie de ſuppoſer que vous fuſſiez en ma place, qu’euſſiez-vous faict ? Si le reſte de ma raiſon ne m’euſtauiſé de la regle que vous m’auez commandee § la quelle ie ſuis rangé à la modeſtie, ie me fuſſe per du moy-meſme à voſtre deſauantage ; car il n’y a point d’affliction qui perſecute à l’egal de celle de ſe voir dedaigné. Poſſible comme ie le croy à ceſte heure, vous le faiſiez pour m’eſprouuer. A la verité ces eſpreuues-là ſont dangereuſes. FL o R 1 D E. Et maintenant où en eſtes vous ? V o s o L. Comme il vous plaira, mais en la meſ me ardeur devous ſeruir qui m’a touſiours alecté en l’eſperance de vos belles graces. FLoR. Ie ne ſçay ſiie m’y dois aſſeurer, car vous ne me pro mettez fidelité qu’au pris que ie vous ſeray fauo rable : tellement que ce ne ſeroit pas moy que vous aimeriez, mais vous qui voulez eſtre aimé de moy. VosoL. Vn eſprit qui n’eſt pas à ſoy fait ſouuent des extrauagances, ainſi qu’il m’a— uient : mais ma Belle, ç’a eſté la douleur cauſee par mon ennuy qui m’a tranſporté : Ie vous demande pardon & me remets ainſi qu’il vous plaira, & affin que i’obtiene mercy, tenezie ne ſçay plus que dire, voyla le reſte de möcœur receuez le, vous y verrez mes deſirs que vous conſidere rez en eet effect amoureux ſurvoſtre craion, iet tez vos yeux deſſus cependant quelon conſul tera noſtre affaire.l’Empereur attendant le con ſeil, ietta l’œil ſur les mains de la belle & voyant qu’elles deployoient vn papier, eut de la curio ſité pour ſçauoir que c’eſtoit, ſi qu’il fit ſigne que lon ſ’arreſtaſt & appella la Belle qui commen çoit à lire & luy diſt qu’il eſtoit ſeant que les be aux eſprits fuſſent conſolez auſſi bien qu’elle, partant qu’elle leuſt tout haut ce que ſon ſerui teur luy aueit preſenté, & puis on auiſeroyt à les iuger : Elle obeit & prononça diſtinctement,

Crayon faict apres l’air des beautez de ma Belle
Je ne te cognois point, car tu es imparfaict.
Ma belle a de beautez vneforme eternelle
Quel’artiſte ne peut reduire en vn pourtraict
Quand iereſſens en moyſa celeſte figure,
Grauce par ces yeux au plus vifde mon cœur, je ne diſcerne plus les traits de la peinture
Car la peinture n’eſt quefeintiſe ou erreur.
Beau crayon tu es mort, mais la beauté pourtraicte
Dedans l interieurde mes conceptions,
Eſt la viue beauté de la beaut éparfaicte,
Toute amour, toutehonneur, toutes perfections,
L’œil que deuotieux tant humblement i’honore
Fut l’organe du trait qui traça ſes beauteK,
I’enfus tout tranſmuè & ce bel œil encores
Me fit l’impreſſion de tant de raretez

Son front table d’honneur, ſa bouche ame des graces,
Vnit & anima ces beaux traits ſi parfaitts : 8t ſes beaux yeux ont fait en mö cœur tät de traces Que mon cœur n’eſt ſinon de ſes yeux les beaux traicts. Aſon cœur eſt transformè en ceſte viue image, Image qu’ardemment moname vaſeruant, Et ceſte image ainſi viuant en mon courage, Eſt la vie & l’amour dont ors ieſuis viuant. TBeau crayon dont mon œil quelquefois ſe contente, Tu peux eſtre effacé de ton foibleſuiett, e ZMais le pourtraictformè dans mon ame cäſtäte Parfaictement empraint n’en peut eſtre diſtrait, ſQuand ie ſuis à part moy, mon bien ie conſidere "De millepaſſions affectant mes deſirs, Et dans #cœurayant la beauté dont i’eſpere, feſouffre les douleurs des amoureux plaiſirs. z2Mille diuerſite (mignonnement cruelles Me vont eſpoinçonnant de poignantes douceurs 4 Et ces pointes d’amonrſont ſi douces & belles ue mon contentement conſiſte en ces doulenrs. eAinſi quandierepenſe à cesgracespreſentes, fe plaindrois volôtiers, mais ieſuis trop heureux, Et ie me plains pourtant : car defleches perçantes Amour mefaictſentirmille traits rigoureux : Non ie n’aypoint de mal, car ma belle maistreſſe Ne veut pas affliger ce qui luy appartient, Mais ie reſſents pourtant l’effect d’vne detreſſe Cauſee du ſuiet dont le bon heur me n ient Ma belle a lœilſ doux que la douceur diſtille T)es beauteX deſesyeux vniques en douceur, Mais deſſous ces douceurs vn effort difficile « Accompagne mon bien depeine & de langueur.

Le mal qui me pourſuit eſt cause par moy-meſme, Et mon peu de merite en eſt l’occaſion, c’eſt là mon de plaiſir : car la beauté que i’aime, 8n cauſe & en effects n’eſt que perfection. Beau crayon, cachetoy, car tu me mets en peine, Tu mefayſouuenir de mes triſtes deffaux, Ie ſçay bien que ma Belle à mon cœur eſt humaine, Mais mon peu de meriteeſt cauſe de mes maux. Ie ſens mille douleurs affliger ma penſee, car il n’eſt pas moyen que i’aye de l’eſpoir, Mon ame pourra bien d’amour eſtre offencee, Et ce ſera touſiours pourgemirc douloir. Que pourroit eſperervn triſte miſerable, D’vne qui de tous cœurs fait à ſa volonté, Rien que mourir d’amour, & auoir agreable Pour tout bien de languir enſa fidelité. Donques retenons-nous, devoir ceſte ſemblance, Qui noufait oublier noſtre propre valeur, Carne pouuoir trouuer enſon mal esperance, C’eſt tromper pour neant ſon amoureuſe humeur. e_2/ais en vain, beau crayon, iefuiraytapreſence, Car i’ay de ma maiffreſſe en mon cœur les beautés, AMon cœur eſt ſon pourtraict graué dedans l’eſ ſence, — De ſon ame, où ſes traits, ſont au vifimitez. eAinſi i’ay dedans moyla cauſe qui m’afflige, Et le digneſiiiet qui me rend bien-heureux, C’eſt ce qui me tourmente, & c’eſt ce qui m’oblige A ſouſpirer contant mon plaiſir douloureux. TOoila que c’eſt d’auoirvne ame ambitieuſe, Et d’oſer deſirer, ne pouuant meriter, C’eſt toutvn, lafortune eſt touſîours bien-heureuſe #ien qu’on ait des ſouhaits qu’on nepeut limiter.

Je ne veux point mourir, car ceſeroit dommage.
D’effacer la beauté qu’en mon cœur ie retien,
Qui fait cas d’vn ſuiet entien chere l’image
Auſſi j’aime & cheris le pourtraict de mon bien.
Et puis ceſte beanté eſt cauſe dema vie,
Pour l’amour d’elle ilfaut ma vie entretenir, La cauſe eſt de l’effect inceſſamment ſuiuie Quand elle defaudra ilmefaudra finir. Tonques heureux crayon, ſois moy touſiours en veue, —* — Ainſi qu’eſt dedansmoyle vifdeton honneur, Car de ta verité mon ame eſt tant eſmeue Qu’elleſera touſiours la vie de mon cœur. e %a Belle pardonnez à l’amoureuſe atteinte Que vous auez voulu me faire reſſentir, Et croyez mon diſcours n’eſtre point vnefeinte, Mon cœur qui eſt à vous ne vous ſauroit mentir.. Le bien plus accompli desſouhaits demon ame Eſt d’auoir eu voſtre œil pour aſtre de bon-heur, Et ma fidelité, de vous auoirpour Dame, Tout mon contentement, vous estreſeruiteur. fe viurayſeulement pour vous faireſeruice, — Mes yeux nesôt mesyeux que pourvou admirer, Et mon vnique eſpoir de vous trouuer propice, Carmö cœur n’eſt mö cœur que pourvous honorer, Croyez-vous pas celà, belle ame de ma vie ? ſOous quim’aueX choiſi ſur tant demillions ?. Belle vous le croyez : car voſtreameaccomplie, Ne veutpas deceuoir mes belles paſſions. Or viuez du bonheur, d’auoir tant depuiſſance : Surtous les cœurs qu’Amour oblige ſous ſes loix : De moy ie ſuis contant, pource que ie ne penſe ſ2u à l’amoureux deuoir qu’à vos beautez ie dois.

L’Empereur trouua bon cet amoureux tranſport, ſur lequel ayant ruminé vn petit, il ſe tira comme d’vn ſommeil inopiné ; puis ayant fait ſigne qu’il falloit iuger ces Amans, les Conſeillers ſe leuerent ſans que le Procureur d’Amour fit aucune requiſition : donc l’Empereur ayant receu les voix, & adiouſté ce qu’il penſoit eſtre raiſonnable, conſideré l’eſtat des ames paſſionnees, dont le merite eſt au ſupport des afflictions qui ſe forment à faute de familiarité decente, prononça ceſt arreſt.


Vous eſtes renuoyez à voſtre propre conſeil, ſelon la grace que l’Amour vous fait à cauſe de voſtre mutuelle affection ſans fard, à ce que vous en ayez du contentement, s’il y a de la conſtance reciproque. Parquoy acheuez le cours de vos pretentions, afin que l’accompliſſement de vos ſouhaits auenant, vous trouuiez l’entiere felicité qui eſt deüe à vos affections.