Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCCXVII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 264-265).
Livre I. — Partie I. [1347]

CHAPITRE CCCXVII.


Comment le roi d’Angleterre fit traire ses naves sur le pas des dunes et bien garnir et défendre contre les François.


Or vous dirai que le roi d’Angleterre fit et avoit jà fait. Quand il sçut que le roi de France venoit à si grand ost pour le combattre et pour désassiéger la ville de Calais, qui tant lui avoit coûté d’avoir, de gens et de peine de son corps, et si savoit bien que il avoit la dite ville si astreinte et si menée que elle ne se pouvoit longuement tenir, si lui venoit à grand’contraire s’il l’en convenoit partir ainsi ; si avisa et imagina ledit roi que les François ne pouvoient venir ni approcher son ost ni la ville de Calais, que par l’un des deux pas, ou par les dunes sur le rivage de la mer, ou par dessus où il avoit grand’foison de fossés et de crolis et de marais ; et n’y avoit sur ce chemin que un seul pont par où on pût passer, et l’appeloit-on le pont de Nieulay. Si fit le dit roi traire toutes ses naves et ses vaisseaux par devers les dunes, et bien garnir et fournir de bombardes, d’arbalètres, d’archers et d’espringales, et de telles choses par quoi l’ost des François ne pût ni osât par là passer ; et fit le comte Derby son cousin aller loger sur le dit pont de Nieulay, à grand’foison de gens d’armes et d’archers, afin que les François n’y pussent passer, si ils ne passoient parmi les marais, qui sont impossibles à passer. Entre le mont de Sangattes et la mer de l’autre côté devers Calais, avoit une haute tour que trente-deux archers anglois gardoient ; et tenoient là endroit le passage des dunes pour les François ; et l’avoient à leur avis durement fortifiée de grands doubles fossés.

Quand les François furent logés sur le mont de Sangattes, ainsi comme vous avez ouï, les gens des communautés perçurent celle tour ; si s’avancèrent ceux de Tournay, qui bien étoient quinze cents, et allèrent de grand’volonté celle part. Quand ceux qui dedans étoient les virent approcher, ils trairent à eux et en navrèrent aucuns. Quand les compagnons de Tournay virent ce, ils furent tous courroucés, et se mirent de grand’volonté à assaillir celle tour et ces Anglois, et passèrent par force outre les fossés, et vinrent jusques à la motte de terre et au pied de la tour, à pics et à hoyaux. Là eut dur assaut et grand, et moult de ceux de Tournay blessés ; mais pour ce ne se refreignirent-ils mie de assaillir ; et firent tant que, par force et par grand’appertise de corps, ils conquirent celle tour ; et furent morts tous ceux qui dedans étoient, et la tour abattue et renversée. De quoi les François tinrent ce fait à grand’prouesse.