Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XC

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Livre I. — Partie I. [1339]

CHAPITRE XC.


Comment la journée fut prise et assignée entre les deux rois pour eux combattre.


Or sont ces deux rois de France et d’Angleterre logés entre Buironfosse et la Flamengerie, en plein pays, sans nul avantage, et ont grand désir, si comme ils montrent, d’eux combattre. Si vous dis pour certain qu’on ne vit oncques si belle assemblée de grands seigneurs qu’il y eut là ; car le roi de France y étoit lui quatrième de rois : premièrement avec lui étoient le roi Jean de Behaigne, le roi de Navarre, le roi d’Escosse ; aussi de ducs, de comtes et de barons tant que sans nombre ; et toujours lui croissoient gens de tous les pays du monde.

Quand le roi anglois fut arrêté à la Capelle en Thierasche, ainsi que vous avez ouï, et il sçut de vérité que le roi Philippe son adversaire étoit à deux petites lieues de lui, et en grand’volonté de combattre, si mit les seigneurs de son ost ensemble ; premièrement le duc de Brabant son cousin, le duc de Guerles, le marquis de Juliers, le marquis de Blankebourch, le comte de Mons, messire Jean de Hainaut, messire Robert d’Artois, et tous les prélats et barons d’Angleterre, qui avec lui étoient, et à qui il touchoit bien de la besogne ; et leur demanda comment à son honneur ils se pourroient maintenir ; car c’étoit son intention de combattre, puisqu’il sentoit ses ennemis si près de lui. Adonc regardèrent les seigneurs l’un l’autre, et prièrent au duc de Brabant qu’il en voulût dire son entente. Et le duc répondit que c’étoit bien son accord que de combattre, car autrement à leur honneur ils ne s’en pourroient partir ; et conseilla adonc qu’on envoyât hérauts par devers le roi de France, pour demander et accepter la journée de la bataille. Adonc en fut chargé un héraut qui là étoit au duc de Guerles, et qui bien savoit françois, et informé quelle chose il devoit dire et quelle chose faire. Si partit le dit héraut de ses seigneurs, et chevaucha tant qu’il vint en l’ost des François, et se traist devers le roi de France et son conseil, et fit son message bien et à point ; et dit au roi de France comment le roi anglois étoit arrêté sur les champs, et lui requéroit à avoir bataille, pouvoir contre pouvoir. À la requête le roi de France entendit volontiers et accepta le jour. Si me semble que ce dut être le vendredi[1] en suivant, dont il étoit mercredi. Si s’en retourna le héraut devers ses seigneurs, bien revêtu de bons manteaux fourrés, que le roi de France et les seigneurs lui donnèrent, pour les riches nouvelles qu’il avoit apportées ; et recorda la bonne chère que le roi lui avoit faite, et tous les seigneurs de France.

  1. Ce vendredi devait être le 22 octobre, suivant les dates que nous fournit la lettre d’Édouard ; mais s’il en faut croire la même lettre, le jour de la bataille fut d’abord fixé au jeudi 21 et remis ensuite au samedi 23.