Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XXIX

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Livre I. — Partie I. [1327]

CHAPITRE XXIX.


Comment le roi Edouard fit sa semonce à tous les nobles et non nobles d’Angleterre, et espécialement à messire Jean de Hainaut pour aller contre les Escots.


Quand le jeune roi se sentit ainsi défié, et son conseil aussi, ils le firent savoir par tout le royaume, et commander que tous, nobles et non nobles, fussent appareillés chacun selon son état[1]. Et vint chacun, à tout son pouvoir, au jour de l’Ascension[2] après en suivant à Ébruich[3], une bonne cité qui siéd au nord, et envoya devant grand’foison de gens d’armes pour garder les frontières par devers Escosse ; et puis envoya grands messages par devers messire Jean de Hainaut, en le priant moult affectueusement qu’il le voulût venir secourir et tenir compagnie à ce besoin, et qu’il voulût venir et être devers lui à Ébruich, atout telle compagnie qu’il pourroit finer de gens d’armes, au jour de l’Ascension. Quand le sire de Beaumont ouït ce mandement, il envoya ses lettres et ses messages partout où il cuidoit recouvrer de bons compagnons, en Flandre, en Hainaut, en Brabant, en Hasbain ; et leur prioit si acertes qu’il pouvoit que chacun le voulût suivre, au mieux monté et appareillé qu’il pourroit, devers Wissan[4], pour passer outre en Angleterre. Chacun le suivit volontiers selon son pouvoir, ceux qui furent mandés et moult d’autres qui ne furent point mandés, pourtant que chacun cuidoit rapporter autant d’argent que les autres en avoient rapporté qui avoient été en l’autre chevauchée en Angleterre avec lui : si que, avant que le sire de Beaumont vint à Wissan, il eut assez plus de gens qu’il n’en cuidoit avoir ; mais tous les reçut liement et leur fit grand’chère.

Quand il et sa compagnie furent venus à Wissan, ils trouvèrent les nefs et les vaisseaux tous prêts que on leur avoit amenés d’Angleterre ; et mirent dedans le plus tôt qu’ils purent chevaux et harnois, passèrent outre, et vinrent à Douvres, ni ne cessèrent de chevaucher et d’errer de jour en jour, tant qu’ils vinrent, à trois jours près de la Pentecôte[5], en la bonne cité de Ébruich, là où le roi et madame sa mère étoient, et grand’plenté de grands barons, pour le jeune roi conseiller et accompagner ; et attendoient là en droit la venue de monseigneur Jean de Hainaut et de sa compagnie ; et aussi attendoient-ils que tous les gens d’armes, les archers et les communes gens des bonnes villes et des villages fussent passés outre. Et ainsi qu’ils venoient par grands routes on les faisoit loger ès villages, à deux lieues près ou à trois de Ébruich, et là environ sur le plat pays, et les faisoit-on outre passer par devers les frontières.

  1. Le mandement du roi, pour assembler son armée, est daté du 5 avril.
  2. Le jour de l’Ascension étoit, cette année, le 14 mai. Le rendez-vous de l’armée ne fut indiqué ni à ce jour, ni à Ébruich ou Yorck, comme le dit Froissart. Elle eut ordre de s’assembler le lundi avant l’Ascension, c’est-à-dire le 11 mai, à Newcastle sur la Tyne, dans la province de Northumberland.
  3. Quelques manuscrits portent Euruich et d’autres Eruich, en prononçant toujours ich comme ick, ainsi qu’on le faisait alors. Euruich est aujourd’hui Yorck. Il paraît que du temps de Froissart le nom de cette ville ne s’était pas encore contracté en une seule syllabe. Les Anglo-Saxons orthographiaient Eofor-wic, et prononçoient probablement Eferic on Everic, en latin Eboracum.
  4. Wissan une petite ville dans le département du Pas-de-Calais. Cambden croit que c’était autrefois le Portus Iccius des Morini, d’où César s’embarqua pour l’Angleterre. Le port est comblé depuis le deuxième siècle.
  5. Cette date n’est pas tout-à-fait exacte. La Pentecôte était le 24 mai, et il est sûr que Jean de Hainaut n’était pas encore à Yorck le 29 de ce mois, date des lettres d’Édouard, portant ordre de pourvoir, à ses dépens, à tout ce qui était nécessaire pour la maison et les troupes dudit Jean de Hainaut, qui était sur le point d’arriver, qui ad nos est venturus.