Les Principes fondamentaux de la géométrie/3

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Traduction par Léonce Laugel.
Gauthier-Villars, imprimeur-libraire (p. 34-51).


CHAPITRE III.

THÉORIE DES PROPORTIONS.




§ 13.

Systèmes numériques complexes.


Au début de ce Chapitre, nous allons présenter quelques notions préliminaires sur des systèmes numériques complexes, qui nous seront plus tard utiles, en particulier, pour faciliter l’exposition.

L’ensemble des nombres réels forme un système d’êtres ayant tes propriétés suivantes :

Théorèmes de l’association (1-12).

1. Du nombre a et du nombre b provient par addition, un nombre déterminé c, ce qui s’exprime ainsi :

a + b = c ou c = a + b.

2. Il y a un nombre déterminé — on le nomme 0 — tel que pour tout a l’on ait simultanément

a + 0 = a et 0 + a = a.

3. Si l’on désigne par a et b des nombres donnés il existe toujours un et un seul nombre x, et de même un et un seul nombre y, tels que l’on ait respectivement

a + x = b, y + a = b.

4. Du nombre a et du nombre b provient encore d’une autre manière, par multiplication, un nombre déterminé c, ce qui s’exprime ainsi :

ab = c ou c = ab.

5. Il y a un nombre déterminé — on le nomme 1 — tel que pour tout a l’on ait simultanément

a.1 = a et 1.a = a.

6. Si l’on désigne par a et b des nombres quelconques donnés, a n’étant pas nul, il existe toujours un et un seul nombre x et de même un et un seul nombre y, tels que l’on ait respectivement

.

Si l’on désigne par a, b, c des nombres quelconques, les règles de calcul suivantes sont toujours vérifiées :

7. .

8. .

9. .

10. .

11. .

12. .

Théorèmes de la distribution (13-16).

13. Si l’on désigne par a, b deux nombres quelconques distincts, il y a toujours un de ces deux nombres (par exemple a) qui est plus grand (>) que l’autre ; ce dernier est dit alors le plus petit, ce qui s’exprime ainsi :

a > b et b < a.

14. Lorsque a > b et b > c on a aussi

a > c.

15. Lorsque a > b, l’on a toujours aussi

a + c > b + c et c + a > c + b.

16. Lorsque a > b et c > 0 l’on a toujours aussi

ac > bc et ca > cb.


Théorème d'Archimède (17).

17. Si a > o et b > o désignent deux nombres quelconques, il est toujours possible d’ajouter a à lui-même un nombre de fois suffisant pour que la somme qui en résulte ait la propriété

a + a + a + ... + a > b.

Un système d’êtres qui ne possède qu’une partie des propriétés 1-17 sera dit un système numérique complexe ou tout simplement un système numérique. Un système numérique sera dit archimédien ou bien non archimédien selon qu’il vérifie ou non la condition 17.

Parmi les propriétés 1-17, exposées ci-dessus, il y en a qui sont la conséquence des autres, il y a lieu de rechercher la dépendance logique de ces propriétés. Dans le Chapitre VI, §32, §33, nous répondrons à deux questions de cette nature en raison de leur grande portée en Géométrie ; en attendant, nous nous contenterons d’affirmer ici que la dernière condition, 17, n’est aucunement la conséquence logique des propriétés restantes ; en effet, nous avons déjà vu, par exemple, que le système numérique complexe considéré au §12 possède toutes les propriétés 1-16, et cependant ne vérifie pas la condition 17.


§ 14.

Démonstration du théorème de Pascal.


Dans ce Chapitre comme dans le suivant, nous allons prendre comme base de nos recherches les axiomes planaires de tous les groupes, exception faite pour l’axiome d’Archimède, c’est-à-dire les axiomes I,1-2 et II-IV. Dans ce Chapitre III, nous nous proposons, au moyen desdits axiomes, d’établir la théorie euclidienne des proportions, c’est-à-dire que nous allons rétablir dans le plan et indépendamment de l'axiome d'Archimède.

À cet effet, nous démontrerons d’abord une proposition qui est un cas particulier du célèbre théorème de Pascal sur les coniques, et que je désignerai dorénavant, pour abréger, sous le nom de théorème de Pascal, en l’énonçant comme il suit :

Théorème XXI (Théorème de Pascal). — Soient A, B, C (fig. 16) et A', B', C' des points situés respectivement trois par trois sur deux droites qui se coupent, et distincts du point d’intersection de ces droites. Si CB’ est parallèle à BC’ et CA’ à AC’, je dis que BA’ sera parallèle à AB’[1].

Afin de démontrer ce théorème introduisons d’abord les notations suivantes :

Dans un triangle rectangle (fig. 17) le côté a de l’angle droit est


déterminé d’une manière univoque par l’hypoténuse c et par l’angle à la base α compris entre c et a : c’est ce que nous exprimerons en abrégé au moyen de la notation symbolique

.


Ainsi le symbole αc désignera toujours un segment bien déterminé, pourvu que c désigne un segment quelconque donné et α un angle aigu quelconque donné.

Maintenant soit c un segment quelconque et soient α, β deux angles aigus quelconques, je dis qu’alors la congruence segmentaire


a toujours lieu et que, par suite, les symboles α, β sont échangeables.

Pour le démontrer prenons le segment c = AB (fig. 18) ; portons, en prenant A comme sommet, de part et d’autre de ce segment les angles α et β ; puis, du point B, abaissons sur les deux autres côtés de ces


angles α et β les perpendiculaires BC et BD ; enfin du point A menons la perpendiculaire AE à CD.

Cela posé, les angles et étant droits, les quatre points A, B, C, D seront situés sur une circonférence et, par suite, les deux angles et inscrits dans un segment sous-tendu par la même corde AD seront congruents. Or, et forment ensemble un angle droit et il en est de même de et de  ; par suite, les angles et sont congruents, c’est-à-dire que

d’où


De là résultent immédiatement les congruences segmentaires


ce qui démontre l’exactitude de la congruence dont il était question.

Revenons maintenant à la figure du théorème de Pascal et désignons par O le point d’intersection des deux droites et désignons les segments OA, OB, OC ; OA', OB', OC’ ; CB', BC' ; CA', AC’ ; BA’, AB’ (fig. 19) respectivement par a, b, c ; a',. b', c' ; l, l' ; m, m' ; n, n'. Du point O, abaissons ensuite des perpendiculaires à l, m, n. La perpendiculaire à l formera avec les deux droites OA, OA' des angles aigus que nous désignerons respectivement par λ, λ, de même les perpendiculaires à m et à n formeront avec les mêmes droites OA, OA’ des angles aigus que nous désignerons respectivement par μ', μ et ν', ν. Maintenant, si nous exprimons ces trois perpendiculaires, ainsi qu’il a été précédemment indiqué, au moyen des hypoténuses et des angles adjacents à celles-ci dans les triangles rectangles qui leur correspondent, ce qu’il est


possible de faire de deux manières, nous obtiendrons les trois congruences segmentaires

(1) (1)
(2) (2)
(3) (3)

Maintenant l, par hypothèse, devant être parallèle à l', et m devant l’être de même à m*, les perpendiculaires abaissées du point O sur l’ et m* devront respectivement coïncider avec les perpendiculaires abaissées de ce point sur l et m ; et l’on aura, par suite,

(4) (4)
(5) (5)

Cela posé, si nous multiplions symboliquement chacun des deux membres de la congruence (3) par le symbole λ'μ, en nous souvenant que, d’après ce qui a été déjà établi, les symboles dont il s’agit sont échangeables, nous trouverons

Dans le premier membre de cette congruence ayons égard à la valeur donnée par (2) pour μa' et dans le second membre à la valeur donnée par (4) pour λ'b ; il viendra

ou encore
.

Dans le premier membre de cette dernière congruence avons égard à (1), dans le second membre à (5), il viendra

.
ou encore
.

De cette congruence, en raison de la signification de nos symboles, nous concluons immédiatement

 ;


d’où, enfin,

(6) (1)

Or, si nous considérons la perpendiculaire abaissée du point O sur an et les perpendiculaires menées à celle-ci du point A et du point B’, la congruence (6) nous montrera que les pieds de ces deux dernières perpendiculaires coïncident, c’est-à-dire que la droite n = AB' coupe à angle droit la perpendiculaire à n et, par suite, est parallèle à n. Le théorème de Pascal est donc démontré.

Étant donnés une droite quiconque, un point en dehors de cette droite et un angle quelconque, l’on peut évidemment, en transportant cet angle et en traçant une parallèle, trouver une droite qui passe par le point donné et coupe la droite donnée sous l’angle donné.

Grâce à cette construction, nous pouvons encore employer pour la démonstration du théorème de Pascal le raisonnement très simple qui suit et que je dois à une bienveillante communication :

Par le point B (fig. 20) l’on mènera une droite qui coupe OA' au point D', sous un angle OCA' tel que la congruence

(1*) (1*)


soit vérifiée ; alors, en vertu d’un théorème bien connu de la théorie du cercle, CBD'A' est un quadrilatère inscriptible, et par suite, en vertu du théorème relatif à la congruence des angles inscrits dans le même segment, on a la congruence

(2*) (2*)

Puisque CA' et AC' sont, par hypothèse, parallèles, l'on a aussi

(3*) , (3*)


et de (1*) et (3*) résulte encore

 ;


mais le quadrilatère BAD'C' est alors aussi un quadrilatère inscriptible.


et, en vertu du théorème relatif aux angles d’un tel quadrilatère, on a la congruence

(4*) . (4*)

Or, comme CB' est, par hypothèse, parallèle à BC', nous aurons aussi

(5*)  ; (5*)


de (4*) et de (5*) l’on tire la congruence

 ;


cette dernière nous fait voir que le quadrilatère CAD'B' est aussi un quadrilatère inscriptible, et par suite que l’on a encore

(6*) . (6*)

De (2*) et (6*) l’on tire

,


congruence qui nous apprend enfin que BA' et AB' sont parallèles, comme le veut le théorème de Pascal.

Si D' coïncidait avec un des points A', B', C', il serait nécessaire de faire à cette méthode de démonstration une légère modification, qu’il est facile d’apercevoir.


§ 15.

Un calcul segmentaire basé sur le théorème de Pascal.


Le théorème de Pascal, démontré dans le paragraphe précèdent, nous permet d’introduire dans la Géométrie un calcul sur les segments où seront vérifiées sans modification toutes les opérations de calcul sur les nombres réels.

Au lieu du mot congruent et du signe , nous ferons usage, dans ce calcul segmentaire, du mot égal et du signe =.

A, B, C (fig. 20 bis) étant trois points sur une droite, et B étant


situé entre A et C, nous désignerons c = AC sous le nom de somme des deux segments a = AB et b = BC, et nous écrirons

c = a + b.

Les segments a et b sont dits plus petits que c, ce qui s’écrit

a < c, b < c,


et c est dit plus grand que a et que b, ce qui s’écrit

c > a, c > b.

Des axiomes linéaires de la congruence IV, 1-3, l’on conclut aisément que pour l’addition des segments, telle que nous venons de la définir, la loi associative

ainsi que la loi commutative
sont toutes deux vérifiées.

Pour définir géométriquement le produit d’un segment a par un segment b, nous emploierons la construction suivante : Nous choisirons d’abord un segment quelconque qui restera le même dans toute cette théorie, et nous le désignerons par i. Sur le côté d’un angle droit nous porterons, à partir du sommet O (fig. 21), d’abord le segment


i, puis le segment b ; sur l’autre côté de l’angle nous porterons, à partir de O, le segment a ; joignons alors les extrémités des segments i et a par une droite ; à celle-ci nous mènerons ensuite une parallèle par l’extrémité de b ; cette parallèle déterminera sur l’autre côté de l’angle un segment c ; ce segment c nous le nommerons le produit du segment a par le segment b, et nous écrirons

c = a b.

Avant tout, nous allons démontrer que, dans la multiplication des segments telle que l’on vient de la définir, la loi commutative

ab = ba


est toujours vérifiée. À cet effet, construisons d’abord de la manière que l’on vient de décrire le segment ab (fig. 22). Portons ensuite, à partir du point O sur le premier côté de l’angle droit, le segment a, et sur le second le segment b. Joignons alors l’extrémité de i à l'extrémité de b, située sur l’autre côté de l’angle droit, par une droite, et menons une parallèle à cette droite par l’extrémité de a située sur le premier côté de l’angle droit. Cette parallèle déterminera, par son intersection avec le second côté de l’angle droit, le segment ba ; or, comme le fait voir la fig. 22, ce segment ba coïncide, en vertu


du parallèlisme des lignes auxiliaires ponctuées [théorème de Pascal (XXI)], avec le segment ab déjà construit.

Pour démontrer, dans notre multiplication des segments, la loi associative

a(bc) = (ab)c,


construisons d’abord le segment d = bc (fig. 23), puis da ; ensuite le


segment e = ba, et enfin ec. En vertu du théorème de Pascal, les extrémités de da et de ec coïncident, comme on le voit clairement sur la fig. 23, et, si l’on applique alors la loi commutative qui vient d’être démontrée, on en tire la précédente formule, qui exprime la loi associative de la multiplication segmentaire.

Enfin, dans notre calcul segmentaire, la loi distributive

est également vérifiée.

Pour le démontrer, construisons les segments ab, ac et a(b + c) (fig. 24), et, par l’extrémité du segment c (voir la fig. 24 ci-dessous),


menons une parallèle à l’autre côté de l’angle droit. La congruence des deux triangles ombrés dans la fig. 24 et l’application du théorème de la congruence des côtes opposés d’un parallélogramme fournissent la démonstration demandée.

Si l’on désigne par b et c deux segments quelconques, il existe toujours un segment a tel que l’on ait c = ab ; ce segment a est désigné par la notation et se nomme le quotient de c par b.


§ 16.

Les proportions et les théorèmes de similitude.


À l’aide du calcul segmentaire précité, on peut établir comme il suit la théorie d’Euclide des proportions sans prêter à aucune objection et sans faire usage de l’axiome d’Archimède.

Convention. — a, b, a', b' désignant quatre segments quelconques, la proportion


n’exprimera pas autre chose que l’équation segmentaire

Définition. — Deux triangles sont dits semblables lorsque leurs angles homologues sont congruents.

Théorème XXII. — Si l’on désigne par a, b et a', b'. des côtes homologues dans deux triangles semblables, la proportion

est vérifiée.

Démonstration — Considérons d’abord le cas particulier où les angles compris entre a et b et entre a’ et b’ (fig. 25) dans les deux


triangles sont droits, et supposons que les deux triangles aient été tous deux portés sur un même angle droit. Sur l’un des côtés de l’angle droit, portons alors, à partir du sommet O, le segment 1, et, par l’extrémité de ce segment, menons une parallèle aux hypoténuses des deux triangles. Cette parallèle déterminera sur l’autre côté de l’angle droit un segment e ; or, en vertu de notre définition du produit de deux segments, on aura

d’où
c’est-à-dire

Passons maintenant au cas général. Dans chacun des deux triangles semblables déterminons les points d’intersection respectifs S et S’ des trois bissectrices, et de ces points abaissons les perpendiculaires respectives r et r’ sur les côtés des triangles.

Désignons les segments respectifs ainsi déterminés sur les cotes des triangles (fig. 36) par

et par



le cas particulier du théorème que nous venons de démontrer fournit les proportions


de celles-ci, en vertu de la loi distributive, on conclut que


d’où, en se reportant à la loi commutative de la multiplication,

Du théorème XXII ainsi démontre nous tirons aisément le théorème fondamental de la théorie des proportions que voici :

Théorème XXIII. — Si l’on désigne par a, b et a', b' les segments respectifs découpés par deux parallèles sur les côtés d’un angle quelconque, la proportion

est toujours vérifiée.

Réciproquement, lorsque quatre segments a, b, a', b' vérifient cette proportion, si l’on porte a, a' et b, b' sur les côtés respectifs d’un angle quelconque, les droites qui joignent les extrémités respectives de a, b et a', b' sont parallèles.

§ 17

Les équations des droites et des plans.


Au système de segments précédemment défini nous en adjoindrons un second tout pareil ; nous différencierons les segments de ce nouveau système de ceux du premier en les marquant d’un signe distinctif et nous les nommerons « négatifs » par opposition aux segments « positifs » considérés auparavant. Si nous introduisons encore le segment o déterminé par un point unique, alors, dans ce calcul segmentaire généralisé, en adoptant des conventions convenables, toutes les règles de calcul relatives aux nombres réels, exposées au § 13, seront vérifiées. Nous exposerons, par exemple, les propositions particulières qui suivent :

On a toujours

Si a.b = 0, on a toujours

soit     soit

Si l’on a

et
il en résulte toujours

Dans un plan α, prenons maintenant deux droites se coupant sous un angle droit au point O pour axes fixes rectangulaires, et portons alors, à partir du point O, des segments quelconques x, y sur ces deux droites, et cela de l’un ou de l’autre côté du point O, selon que les segments x, y sont respectivement positifs ou négatifs. Élevons alors des perpendiculaires aux extrémités des segments précités et déterminons leur point d’intersection P ; les segments x, y sont alors dits les coordonnées du point P : tout point du plan α est déterminé d’une manière univoque par ses coordonnées, que celles-ci soient positives, négatives ou nulles.

Soit (fig. 27) une droite quelconque du plan α passant par 0 et par un point C dont les coordonnées sont a et b. Si l’on désigne alorss


par x et y les coordonnées d’un point quelconque de l, nous tirons aisément du théorème XXII

ou
comme équation de la droite l.

Si l’ est une droite parallèle à l et déterminant sur l’axe des x le segment c, nous obtiendrons l’équation de la droite l’, en remplaçant, dans l’équation de la droite l le segment x par le segment x – c. L’équation de la droite sera donc

.

De ces développements nous concluons aisément, et indépendamment de l’axiome d’Archimède, que toute droite d’un plan est représentée par une équation linéaire entre les coordonnées x, y et, réciproquement, que toute équation linéaire de ce genre représente une droite, lorsque les coefficients de cette équation sont des segments appartenant à la Géométrie en question.

On démontrerait tout aussi aisément les résultats analogues dans la Géométrie de l’espace.

À partir de là, tout le reste de la Géométrie peut se construire d’après les méthodes usuelles de la Géométrie analytique.

Dans ce Chapitre III actuel, nous n’avons jusqu’ici, nulle part, fait usage de l’axiome d’Archimède. Si nous le supposons vérifié ici, nous pouvons alors, aux points d’une droite quelconque dans l’espace, faire correspondre des nombres réels, et cela de la manière suivante :

Choisissons sur la droite deux points quelconques, et attribuons à ces points les nombres et . Partageons ensuite en deux parties égales le segment qu’ils déterminent et désignons-en le milieu par , puis le milieu du segment par , et ainsi de suite ; après avoir répété n fois cette opération, nous obtiendrons un point auquel il faudra attribuer le nombre . Sur la droite en question portons alors successivement, à partir du point et de part et d’autre de ce point, le segment , m fois par exemple ; aux points ainsi obtenus attribuons les nombres respectifs et .

De l’axiome d’Archimède on conclut alors aisément que, en vertu de la coordination ainsi opérée, à tout point de la droite on peut faire correspondre d’une manière univoque déterminée un nombre réel, et cela de telle sorte que cette coordination jouisse de la propriété suivante : A, B, C désignant trois points quelconques de la droite auxquels correspondent les nombres respectifs α, β, γ, et B étant situé entre A et C, ces nombres α, β, γ vérifieront toujours ou bien l’inégalité α < β < γ, ou bien l’inégalité α > β > γ.

Des développements du Chapitre III, § 9, résulte clairement qu’ici, pour tout nombre appartenant au corps algébrique , il doit exister un point correspondant sur la droite ; mais reconnaître si à tout autre nombre réel correspond de même un point de la droite, c’est ce qu’on ne peut faire d’une manière générale, cette question dépendant de la Géométrie à laquelle on a affaire.

Au contraire, il est toujours possible de généraliser le système primitif des points, droites et plans au moyen d’éléments « idéaux » ou « irrationnels » d’une manière telle que, sur une droite quelconque de la Géométrie ainsi construite, à chaque système de trois nombres réels corresponde sans exception un point. Au moyen d’une convention convenable, on peut également faire que, dans la Géométrie ainsi généralisée, les axiomes I-V soient tous vérifiés. Cette Géométrie généralisée (par l’adjonction des éléments irrationnels) n’est autre que la Géométrie analytique usuelle de l’espace.



  1. M. F. Schur a publié dans le tome LI des Math. Annalen une intéressante démonstration du théorème de Pascal, basée sur tous les axiomes I-II, IV.
    (D. Hilbert.)