C’est assez chanté de l’amour,
Il faut une nouvelle corde,
Qu’un son plus tonnant nous accorde
Les indignitez de la cour ;
Car chantant un accord semblable,
On n’est pas tousjours agréable
À toutes espèces d’humeurs :
L’abeille le doux miel compose
Du thin, du lys et de la rose,
Et non tousjours de mesmes fleurs.
Ainsi qu’au printemps bien souvent
Une saison mal temperée,
Pour nostre malheur, fait et crée,
Par un trop chaut humide vent,
La chenille et la sauterelle,
Ennemis de l’herbe nouvelle,
Des boutons jadis fleurs-naissans,
Qui, bestes du tout inutiles,
Rongeans l’espoir des champs fertiles,
Donnent la cherté aux paysans.
Tout ainsi les trop libres lois
De la serve et esclave France
Ont permis de prendre accroissance,
Autour de nos princes et roys
(Et c’est pour vengence divine)
À je ne sçay quelle vermine
De mignons venus en trois nuicts,
Qui, comme les chenilles, paissent
Nos fleurs sitost comme elles naissent,
Et mangent en herbe nos fruicts.
Nostre roy doit cent millions,
Et faut, pour acquiter les debtes
Que messieurs les mignons ont faites,
Rechercher les inventions
Du nouveau tyran de Florence2,
Et les pratiquer en la France ;
Avant que l’argent en soit prest
Monsieur le mignon le consomme,
Et fait-on party de la somme3
À cent pour cent pour l’interest.
Et cependant que les liens
De ces tyranniques gabelles,
Et les faix des daces nouvelles
Qu’inventent les Italiens,
Cruellement tuent et accablent
Le peuple françois miserable4,
Ces beaux mignons prodiguement
Se veautrent parmi leurs délices,
Et peut estre dedans tels vices
Qu’on ne peut dire honnestement.
Leur parler et leur vestement
Se voit tel qu’une honneste femme
Auroit peur de recevoir blasme5
S’habillant si lascivement.
Le col ne se tourne à leur aise
Dans le long reply de leur fraise6.
Desja le froment n’est pas bon
Pour l’empoix blanc de leur chemise ;
Il faut, pour façon plus exquise,
Faire de ris leur amidon.
Leur poil est tondu par compas,
Mais non d’une façon pareille,
Car en avant, depuis l’oreille,
ll est long, et derrière bas.
Il se tient droit par artifice,
Car une gomme le herisse
Ou retord ses plis refrisez,
Et dessus leur teste legère
Un petit bonnet par derrière
Les monstre encor plus desguisez7.
Je n’ose dire que le fard
Leur soit plus commun qu’à la femme :
J’aurois peur de leur donner blasme8
Qu’entre eux ils pratiquassent l’art
De l’impudique Ganimede.
Quant à leur habit, il excede
Leur bien, et un plus grand encor9 ;
Car le mignon, qui tout consomme,
Ne se vest plus en gentil-homme,
Mais (comme un prince) de drap d’or.
Pensez-vous que ces vieux François10
Qui, par leurs armes valeureuses,
En tant de guerres dangereuses
Ont fait retentir autrefois
Le bruit espandu de leur gloire,
Avec le nom de leur victoire,
De çà, de là, de toutes parts11,
Eussent leur chemise empoisée,
Eussent la perruque frisée,
Eussent le taint blanchi de fard12 ?
Hector ainsi ne s’atteintoit,
Ainsi ne s’atteintoit Achille,
L’un qui, preux, défendoit sa ville,
Et l’autre qui la combattoit.
Mais ainsi le mol Alexandre,
Qui ne savoit pas se defendre,
S’accoustroit d’un atour mignard
Et fuyoit au bruit des armes ;
Et au grand conflict des alarmes
Se cachoit, poltron et couard.
Et toutefois ce mol troupeau,
Ces faces ganymediennes,
Ces ames epicuriennes,
Qui ne sont qu’un pesant fardeau
Et faix inutile à la France,
Consomment toute la substance
De l’eglise et du noble aussy.
Et le tiers estat miserable
Gemit sous le faix importable
De ces prodigues sans soucy.
Les premiers et plus grands honneurs
De vous, anciens capitaines,
Pour la couronne de vos peines,
Sont pour ces delicats seigneurs,
Qui, pour le guerdon de leurs vices,
Sont jouissans en leurs delices
De l’honneur par vous merité.
Que vous sert d’aller à la guerre,
Puisqu’on peut tels degrez acquerre
Par une molle oisiveté ?
Les grands biens à Dieu destinez
Et consacrez à son service
Sont, pour nourrissiers de leur vice,
Baillez à ces effeminez,
Qui trocquent, eschangent et vendent
Les bénéfices, et despendent
Les biens vouez au crucifix,
Que l’on leur baille en mariage,
En guerdon de maquerellage,
Ou pour chose de plus vil prix.
Et, pour pouvoir mieux contenter
Leur pompe, leur jeu, leur bombance
Et leur trop prodigue despense,
Il faut tous les jours inventer
Nouveaux estats13, nouvelles tailles,
Qu’il faut du profond des entrailles
Des povres sujets arracher,
Qui traînent leurs chetives vies
Sous les griffes de ces harpies
Qui avallent tout sans mascher.
Ouvrez les yeux, peuples françois,
Voyez vostre estat miserable,
Vous de qui le nom redoutable
Faisoit peur aux plus puissans rois
Et aux nations les plus braves ;
Ores, miserables esclaves,
Sous tel joug cois vous vous tenez,
Et laissez manger la substance
De tous les estats de la France
À ces mols et effeminez.
1. Cette satire en couplets « fut semée en ce temps à Paris et divulguée partout soubs ce titre. » L’Estoille, qui en parle ainsi (édit. Michaud, t. 1, p. 74), ne manqua pas de la recueillir. Elle se trouve parmi les manuscrits qui sont à la Bibliothèque impériale, mais les anciens éditeurs de son Journal ont eu la pruderie de ne pas l’y joindre à sa date. M. Champollion l’a seul osé à moitié. À la suite du passage que je viens de citer, il a donné six des couplets. Les autres méritoient le même honneur, M. V. Luzarche l’a pensé ; aussi a-t-il publié toute la pièce dans une note de son excellente édition du Journal historique de P. Fayet, 1852, in-12, p. 151–160 ; nous le pensons comme lui, et c’est ce qui nous la fait reproduire ici. Nous en prenons le texte dans un volume très rare : Le cabinet du roy de France, dans lequel il y a trois perles précieuses d’inestimable valeur, par le moyen desquelles Sa Majesté s’en va le premier monarque du monde, et ses sujets pas du tout soulagez, 1581, in-8. Elle y porte pour titre : Les indignitez de la cour, et il existe quelques différences entre son texte et celui du manuscrit de L’Estoille. Nous indiquerons les principales.
2. François de Médicis étoit alors grand-duc de Toscane. On sait quelle étoit son habileté pour l’invention de nouveaux impôts et sa rigueur à les exiger. Quatre ans après l’époque dont on parle ici, il ne fut arrêté ni par la famine, ni par la peste, qui désoloient ses états, et leva des contributions plus que jamais exorbitantes.
3. Var. :
Et fait un party de la somme.
4. V. l’une des précédentes pièces sur les impositeurs italiens.
5. Var. :
Auroit peur d’en recevoir blasme
En usant si lascivement.
6. Var. :
Leur œil ne se trouve à son aise
Dedans le reply de leur freize.
Le premier vers vaut mieux en ce qu’il donne une idée de la hauteur des fraises, qui alloient jusqu’aux yeux.
7. « Ces beaux mignons, dit L’Estoille (t. 1, p. 74), portoient les cheveux longuets, frisés et refrisés par artifice, remontant par-dessus leurs petits bonnets de velours, comme font les putains, et leurs fraizes de chemise de toile d’atour empesez et longues de demi-pied, de façon qu’a voir leurs testes dessus leurs fraizes, il sembloit que ce fust le chef de saint Jean dans un plat. » Une anecdote qui se trouve dans le Peroniana (Cologne, 1691, in-12, p. 145) donne mieux que tout ce que nous pourrions dire une idée de la largeur des fraises qui se portoient alors : « La reyne, lisons-nous…, ayant mis une fort grande fraize, voulut manger de la bouillie et se fit apporter une cuiller qui avoit un fort grand manche, si bien qu’elle pouvoit manger sa bouillie sans gâter sa fraize. » Henri III s’en étoit lassé quelque temps : « Au commencement de novembre (1575), dit l’Estoille, le roi laissa sa chemise à grands godrons, dont il étoit autrefois si curieux, pour en prendre à collet renversé à l’italienne. » Mais en 1578 la mode des fraises « d’un tiers d’aulne » reprit plus que jamais fureur. (Mém. de P. Fayet, p. 2.) Les collets revinrent et restèrent. Sous Louis XIV pourtant, les arriérés, comme le Sganarelle de l’École des maris, jouée en 1661, ne s’y étoient pas encore conformés. « Ma foi, dit Lisette de ce suranné,
Ma foi, je l’enverrois au diable avec sa fraize. »
V., sur les collets et rabats à godrons, t. 1, p. 163.
8. Var. :
J’avois peur d’en recevoir blasme.
9. Var. :
Tout leur bien et tout leur trésor.
10. Var. :
Pensez-vous que nos beaux François.
11. Var. :
En tant de périlleux hazards.
12. Longtemps ce fut le blanc dont on se placardoit la figure qui s’appela fard. V. Notice des manuscrits, t. 5, p. 163. L’usage universel du rouge au 18e siècle, où la poudre dont on se couvroit la tête rendoit le blanc impossible pour le visage, a seul fait donner au mot fard le sens que nous lui donnons. Regnier (sat. 9, v. 8) parle aussi de la céruse dont on se fardoit. Cette mode de teinture faciale étoit venue d’Italie, comme tous les vices et les ridicules du même temps. V., dans un livret très rare publié vers 1500, Bazelletta del preclarissimo poeta Faustino de Rimine, un sonnet moral sur la manie de se farder (Catal. Libri, p. 238, nº 1481).
13. Var. :
Nouveaux imposts.