Les advis de Charlot à Colin sur le temps présent

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Les advis de Charlot à Colin, sur le temps présent, mis en lumière par L. D. F. D. D.

vers 1616



Les advis de Charlot à Colin, sur le temps
présent, mis en lumière par L.D.F.D.D.
s. l. n. d., In-81.

Colin, je veux t’entretenir
De l’aller et du revenir.
Ô l’estrange metamorphose,
De voir aujourd’hui toute chose
Reprendre son cours à l’envers !
Que dit-on du sieur de Nevers2 ?
Jouë-il bien son personnage ?
On le tient pour homme fort sage
À former une bonne paix.
J’ai peur qu’on ne verra jamais
La pauvre France desbrouillée ;
C’est une trame mal filée
Quand la toille escorche le dos ;
Quelqu’un sentira jusqu’aux os
Le goust de la souppe à l’hysope :
Disoit ainsi le bon Esope ;
Plus on a plus on veut avoir.
Mais, compere, retournons voir
Celuy qui est le plus marri.
La pauvre duché de Berry
Je plains d’avoir perdu son maistre3.
Plusieurs disent que c’est un traistre
Qui a causé ce desarroy.
C’est grand pitié de voir le Roy
Prisonnier dedans son Paris :
Tel pense prendre qui est pris.
Mais gardons à la fin le change.
Ceste nouvelle est bien estrange,
Le Pape n’a plus de crédit ;
Le nonce nous l’avoit bien dit
Qu’il y falloit mettre bon ordre :
Il faut premièrement destordre
Le fil qui va se renouër ;
ll est mal aisé à trouver,
Deux partis égaux en la France ;
Il faut du secours de Florence
Pour asseurer ce beau marquis.
Caen ne s’en estoit point enquis,
Et ferma l’huis de derriere4 ;
C’est une mauvaise visiere
Qu’au masculini generis.
Et quoy ? nostre belle Cypris
Sera elle plus carressée ?
Ce sont de belles embrassées
Que des escus à millions.
Ha ! les habilles champions
Qui ont partagé au butin !
C’est au faux-bourg de Saint-Germain
Qu’on semoit l’argent par la rue5 ;
Le secretaire6 eut la venue7
Aussi bien que le Florentin ;
Il est encore bon mastin,
S’il estoit guery de sa goutte.
Le Parlement ne void plus goutte
À bien soutenir un estat ;
On est sur le poinct du debat
Pour tirer l’oyseau de la cage ;
C’est un mal pire que la rage
De voir son ennemy plus fort.
Si les cerfs viennent à l’effort,
On verra de belles curées ;
Elles ne sont pas de durées,
Les violentes passions.
Plusieurs visent aux pensions,
Qui vivent sur la défiance.
De Sully briguer les finances,
C’est un morceau bien dangereux.
On dit qu’il n’y en a que deux
Qui tiennent le dez à Paris.
Mais parle, Colin, tu te ris,
Il n’y a pas pour tout risée.
Le sieur d’Espernon fait trophée
De sa mitene avant l’hyver8 ;
Il a Jarnac pour le couvert
Sur le passage d’Angolesmes,
Que les huguenots seront blesmes
S’il attrape les Rochelois ;
Il craint que le party anglois
Donne secours à l’hugenotte.
Souvant, un pied dedans la botte,
On est contraint de s’enfuir ;
Les zelez ont un grand desir
Devoir une féconde Flandre9.
À ce coup on peut bien apprendre
À gouverner une maison.
Pour moy je cognois la saison,
Fasse qui voudra du contraire ;
Un bon veneur voit au repaire
La route que prendra le cerf.
Puisqu’il faut jouer à tout sert,
Le jeu du sang aura sa guise10.
Mais on dit que Monsieur de Guise
Sera enfin le general11 ;
Et son frere le cardinal
A-il pour vray quitté la robe12 ?
Monsieur de Bouillon13 se desrobe
Tousjours le premier de la cour ;
S’il eust tardé encore un jour,
On eut bien veu du peuple en Grève.
Il s’en faut peu qu’elle ne crève
La gouvernante du palais14.
Où estes-vous, braves Harlais ?
Pleurez vostre mère nourrice :
Vous estes sur le precipice,
Et tombez aussi bien que nous.
Ne dormez plus, reveillez-vous ;
Qu’un seul roy nous soit asseurance.
Conchine regarde Florance
D’un œil tout plain de desplaisir ;
Je croy qu’il auroit bien desir
Que Perronne fust sa retraitte.
Longue-Ville fait la chouette
Et dort moins le jour que la nuict15 ;
Il empesche ce qui le nuit ;
C’est un prince plein de courage.
Le comte d’Auvergne fait rage,
Mais plus de bruit que de l’effet16.
Monsieur de Mayenne eust bien fait
De retourner dessus ses pas.
Le vieux Renard craind les appas
Et la furie des Caillette :
Un huissier, avec sa baguette,
Arreste vite un financier.
Ce fut un trait de son mestier
De tirer tout droit à Soissons17.
Morel remarque les saisons ;
Mais tout ne vient que par rotine :
Qui entend la langue latine
Vaincra tousjours un paysan.
Moissay n’est-il plus partisant18 ?
Se retire-il sur la perte ?
La mesche est trop descouverte,
On demande raison de tout ;
Mais patiantons jusqu’au bout :
Faut voir jouer la tragedie ;
C’est une douce melodie
Qu’ouyr le chant du rossignol.
Allons un peu à l’Espagnol,
Voir s’il veut rendre la Navarre.
Ce bazané est trop bizarre
Pour faire alliance aux François.
Si on m’en eust donné le choix,
Louys seroit plus à son aise.
On le rendra plus chaut que braise,
Si un jour je suis en credit.
Maurgart19 nous l’avoit bien predit,
Mais c’estoit tout par equivoque.
On dit que Roche-Fort20 se mocque
De tenir fort dedans Chinon ;
Il est assez bon champion
Pour y bien disputer sa vie.
Souvray en enrage d’anvie,
Et luy veut troubler son repos21.
Bonnivet est bien plus dispos22
Qu’il n’estoit dedans la Bastille :
Il est aux abois, il petille,
Qu’il ne charge ce vieux grison ;
On luy dit qu’il n’est pas saison
De faire une longue poursuitte :
Au printemps commence la luitte
Du toreau avec son pareil ;
D’un long somme vient le reveil,
S’ensuit la fin de toute chose.
Monsieur d’Aubigny23 se dispose
À garder son gouvernement ;
C’est se comporter sagement
De bien defendre son party.
Vous porterez le dementy
Pansionnaire de créance.
Tant que l’on verra la France
Du fer rien ne profitera ;
Un bon catolique mourra
Pour maintenir son evesché.
On fait estat du bien presché,
C’est une chose fort requise ;
Mais souvent le loup se deguise
Pour mieux attraper la brebis.
Il faut avoir de beaux habits,
Un beau collet, une rotonde24,
Une fraise qui soit bien ronde,
Contrefaire le courtisan,
Estre enflé comme un partisan,
Ne saluer jamais personne,
Au conseil faire le prud’homme,
Oppiner tousjours de travers,
Soustenir le droit du pervers :
C’est le fruict d’un pansionnaire ;
Mais qu’as-tu apris de Sancerre ?
Qui aura le gouvernement ?
Plusieurs ont bien perdu leur temps
De s’estre trouvé à Paris ;
Tu te mocques et je me ris
De ces attrapeurs de Babet.
Je croy que le baron Du Blet
Sera gouverneur de Sancerre.
Le fort Sainct-Denis est par terre,
À la veüe d’un docte soldat.
Beaucoup desirent d’avoir part
En l’argent qui ne coutte rien.
Plusieurs François ne vaillent rien
Que pour troubler nostre repos.
Ils seront piquez jusqu’au os,
Ceux qui joüent les deux personnages.
S’il y avoit des hommes sages,
Qui creussent à peu près mon advis,
Je garderois, à mon advis,
Les chèvres de broutter les bois,
Sans mettre mes chiens aux abbois,
Et ne prendre rien par derrière.
Or, Colin, retournons arrière,
Et gardons bien d’estre surpris.
Voilà tout ce que j’ay appris.




1. Cette pièce, comme on va le voir, est des derniers temps de la puissance du maréchal d’Ancre.

2. Le duc de Nevers avoit commencé d’armer en septembre 1616. Depuis l’emprisonnement du prince de Condé il étoit un des chefs du parti contre Concini. Sa femme, qui tenoit dans le Nivernois même, le secondoit avec énergie. V. t. 6, p. 324–325.

3. Condé avoit le gouvernement de Berry ; on le lui fit rendre, et il fut donné au maréchal de Montigny. Il fallut du canon pour réduire la tour de Bourges, qui résistoit. (Œconom. roy. de Sully, coll. Petitot, 2e série, t. 9, p. 375 ; Mém. de Pontchartrain, id., t. 17, p. 169.)

4. Le maréchal d’Ancre, craignant pour sa vie, s’étoit retiré dans son gouvernement de Normandie. C’est la ville de Caen qu’il avoit choisie pour refuge. Il y fut assez mal reçu et n’y resta pas longtemps. (Mém. de Bassompierre, coll. Petitot, 2e série, t. 20, p. 109 ; Pontchartrain, id., t. 17, p. 158.)

5. Allusion au pillage de l’hôtel du maréchal d’Ancre, dont nous avons déjà parlé t. 4, p. 30. Cet hôtel, devenu plus tard l’hôtel des ambassadeurs extraordinaires, puis l’hôtel de Nivernois, et enfin une caserne de gardes de Paris, étoit situé rue de Tournon, assez près, par conséquent, de l’hôtel de Condé, dont l’Odéon tient la place. Quand le prince eut été arrêté, il y eut grande rumeur parmi les gens de sa maison et un échange continuel de menaces entre eux et ceux du maréchal d’Ancre. L’effet suivit bientôt. Un matin, tous les gens du prince assaillirent l’hôtel d’Ancre ; les maçons qui travailloient au palais de la reine mère (le Luxembourg) se mirent de la partie, et la maison du ministre fut littéralement prise d’assaut et livrée au pillage. V. Œconom. roy., t. 9, p. 374 ; Mémoires de Richelieu, coll. Petitot, 2e série, t. 21 bis, p. 345.

6. Raphaël Corbinelli. V. t. 4, p. 30, note.

7. La venette, la peur.

8. C’est-à-dire se montre tout fier de s’être donné un refuge avant le danger. Il s’étoit, en effet, retiré en Saintonge, d’où il menaçoit le parti du maréchal. V. t. 4, p. 23.

9. Comme la Flandre étoit déjà un refuge pour les faillis, on disoit faire Flandre dans le sens de s’enfuir ; et Flandre dans celui de fuite. De là aussi le mot flandrin pour tout homme élancé, bon à la course.

10. Équivoque horrible sur le jeu du cent (le piquet) et le jeu du sang, l’assassinat, où, à peu de temps de là, Vitry fit gagner la partie à Louis XIII contre Concini.

11. Il tenoit pour le roi ; ses troupes avoient eu déjà quelques rencontres avec celles de Condé. V. t. 3, p. 356.

12. Henri de Lorraine resta cardinal. Son humeur belliqueuse et ses façons mondaines avoient dû faire penser ce qu’on dit ici. V. sur lui Caquets de l’Accouchée, p. 51, note.

13. Le duc de Bouillon, après avoir tenté de soulever parmi le peuple de Paris une révolte dont l’échauffourée de l’hôtel d’Ancre avoit été l’unique résultat, s’étoit enfermé dans Soissons avec M. de Mayenne.

14. La Cour du Parlement.

15. Le duc de Longueville, en enlevant le gouvernement de Péronne à Concini, s’étoit rendu très populaire. (Œconom. roy., coll. Petitot, 2e série, t. 9, p. 372 ; Mém. d’Estrées, id., t. 16, p. 310 ; Bassompierre, t. 20, p. 110.)

16. Le comte d’Auvergne, bâtard de Charles IX, qui étoit à la Bastille depuis que Henri IV l’y avoit fait enfermer, avoit été rendu à la liberté par Concini, afin de pouvoir être opposé aux mécontents. Depuis son entrée en campagne, il avoit, il est vrai, fait plus de bruit que de besogne. (Pontchartrain, t. 17, p. 150 ; Monglat, t. 49, p. 24.)

17. Le duc de Mayenne, à l’approche du comte d’Auvergne, s’étoit, je l’ai dit, enfermé dans Soissons, où il soutint vigoureusement le siége, jusqu’à ce que la nouvelle de la mort de Concini le fit résoudre à rendre la place au roi.

18. V., sur ce financier, t. 3, p. 181–184 ; t. 4, p. 343, et les Caquets de l’Accouchée, p. 182, 241.

19. Sur ce faiseur d’almanachs, voir t. 2, p. 213–214, et Caquets de l’Accouchée, p. 65.

20. Il étoit des plus zélés pour le parti de Condé. (Pontchartrain, coll. Petitot, 2e série, t. 17, p. 70, et notre t. 4, p. 342.)

21. Souvray finit enfin par forcer Chinon et par l’enlever à Rochefort. (Pontchartrain, ibid.)

22. Henri de Gouffier, marquis de Bonnivet, né en 1586, mort en 1645.

23. Edme Stuart, seigneur d’Aubigny, mort en 1624.

24. Collet empesé, monté sur du carton, que les hommes du bel air portoient à cette époque. Il en est parlé dans les Satires de Regnier et dans les Lettres de Voiture.