Lotus de la bonne loi/Notes/Chapitre 11

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Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 400-407).
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Notes du chapitre XI

CHAPITRE XI.

f. 129 a.Et ayant une circonférence proportionnée.] Le texte se sert de l’expression sim̃hâsana pariṇâhêna, littéralement « avec une circonférence de trône, » c’est-à-dire peut-être, « avec une circonférence à la base. »

f. 131 a.Les formes de Tathâgata… créées miraculeusement de leur propre corps.] Voici les propres paroles du texte : âtmabhâvanirmitâs tathâgatavigrahâḥ. Nous avons encore ici une nouvelle espèce de Buddhas, distincts, si je ne me trompe, de ces Buddhas que notre Lotus suppose rangés dans les huit points de l’espace, et qu’il fait contemporains, dans d’autres univers, de Çâkyamuni, le Buddha du Sahâlôkadhâtu[1]. Il semble que ce soient là les Buddhas qui ont fourni à I. J. Schmidt l’idée de son système sur les Dhyâni Buddhas des Népalais, système qui consiste à supposer qu’un Tathâgata n’est pas plutôt parvenu à la perfection absolue qu’il se crée dans le monde céleste une sorte de reflet (Abglanz) qui est un Buddha de contemplation, Dhyâni Buddha[2]. A. Rémusat a eu parfaitement raison d’hésiter à adopter ce système, et il a pu justement se demander si c’était dans la classe des mythes ou dans celle des idées philosophiques qu’on devait ranger ces nouveaux Buddhas[3]. Le texte du Lotus de la bonne loi nous apprend que ce n’est ni dans l’une ni dans l’autre de ces classes, mais bien dans celle des miracles qu’on suppose toujours Buddha capable de faire. Ces apparitions ne sont donc pas essentiellement liées à l’existence d’un Buddha ; elles sont accidentelles : seulement elles flattent l’imagination des Buddhistes du Nord, qui aiment à se représenter l’infinité de l’espace peuplée d’un nombre infini de Buddhas. Si le lecteur veut bien se reporter à ce que j’ai dit plus haut, chap. vii, f. 105 a, p. 391, des seize Buddhas qui dirigent les mondes placés aux huit points de l’horizon, il verra combien ces Buddhas diffèrent de ceux dont il est question ici au chapitre xi. Les premiers sont en quelque sorte naturels ; car si l’on suppose des univers autres que le Sahâlôkadhâta qui est sous la tutelle de Çâkyamuni, ce n’est pas faire un grand effort d’intelligence que d’imaginer quinze autres Buddhas enseignants dans les quinze autres univers supposés. Les Tathâgatas du chap. xi, au contraire, sont des Tathâgatas miraculeusement créés du corps de Çâkyamuni, qui sont comme des apparitions magiques, et qui peuplent l’espace par delà les mondes dont je viens de parler. Comme les premiers, ils sont inconnus aux Buddhistes du Sud.

f. 132 a.Sans ces montagnes que l’on nomme, etc.] Voyez la note à l’Appendice, no XVIII.

f. 132 b.Chacun de ces arbres avait une hauteur et une circonférence de cinq cents Yôdjanas.] Il faut traduire plus exactement : « Chacun de ces arbres avait une hauteur de cinq cents « Yôdjanas, et une circonférence d’un demi-yôdjana. » Cela nous donne l’idée d’arbres singulièrement élancés, et on pourrait en conclure que le texte est altéré, mais les manuscrits sont unanimes pour lire ardhayôdjana. Aurait-on voulu dire « un Yôdjâna et demi ? » L’exagération de cette description fabuleuse est augmentée jusqu’à la niaiserie par un des manuscrits de M. Hodgson, qui au lieu de cinq cents lit mille Yôdjanas.

f. 135 a.Ayant les membres desséchés.] J’avais lu par erreur pariçuchkagâtrô, préoccupé malgré moi de l’idée de sauver au moins l’apparence du sens commun dans ces exhibitions fantastiques ; mais tous les manuscrits donnant pariçuddhagâtrô, il faut traduire, « ayant les membres très-purs, » ou « parfaits, bien conformés, » selon le sens qu’a très-fréquemment pariçuddha dans ce livre.

f. 137 a.St. 11. Rugissement du lion.] Le texte dit sim̃hanâda ; c’est une des expressions figurées « par lesquelles les Buddhistes désignent l’enseignement de la loi que donne le Buddha. J’ai eu occasion d’en parler dans le premier volume de l’Histoire du Buddhisme[4]. Mais ce que j’ai oublié de remarquer alors, c’est que cette expression est, comme bien d’autres du même genre, empruntée à l’art militaire des Indiens. L’Amarakocha nous apprend en effet que sim̃hanâda, ou « le rugissement du lion, » désigne le cri de guerre[5]. Le Buddha est comparé à un soldat qui pousse le cri de guerre contre l’armée de Mâra ou du péché ; et chacune des phases de sa lutte avec le vice est comparée à un combat acharné. Il se peut que le souvenir de l’origine militaire de Çâkya n’ait pas été sans influence sur l’emploi de cette phraséologie belliqueuse à laquelle j’ai déjà fait allusion[6]. Selon les auteurs chinois, le rugissement du lion sert de point de comparaison, sous onze rapports différents, à la prédication que le Buddha fait de la loi[7].

f. 137 b.St. 29. Les quatre-vingt-quatre mille corps de la loi.] Voyez sur cette division fabuleuse f. 137 b. des livres fondamentaux des Buddhistes, l’Introduction à l’histoire du Buddhisme indien, t. I, p. 34 et 35.

f. 138 a.St. 30. Les cinq connaissances surnaturelles.] Voyez ci-dessus, chap. 1, f. 1, p. 291, et chap. v, f. 75 a, p. 379.

St. 32. Les six connaissances surnaturelles.] Voyez ci-dessus, chap. iii, f. 52 b, st. 84, p. 372, et l’Appendice, no XIV.

f. 138 b.Les devoirs des six perfections.] Voyez ci-dessus, chap. i, f. 11 a, p. 332, et l’Appendice, no VII.

f. 139 b.Comment comprenez-vous cela, ô Religieux ?] Le texte se sert ici d’une formule spéciale qui revient toujours la même, chaque fois que le Buddha veut annoncer que l’histoire qu’il vient de raconter d’un ancien Buddha, d’un ancien roi, ou de tout autre personnage, s’applique à lui-même ou à un de ceux qui l’écoutent. Je la transcris ici telle que la donnent les manuscrits sanscrits du Népal, parce que j’ai été obligé d’en déplacer et d’en développer quelques termes pour la rendre claire en français : Tat kim manyadhvam bhikchavô ’nyaḥ sa têna kâléna téna samayêna Rĭchir abhût : na khalu punar êvam̃ drachṭavyam̃ ; tat kasya hétôḥ ? ayamêva sa dêvadattô bhikchus têna kâlêna têna samayêna rĭchir abhût, ce qui signifie littéralement : « Que pensez-vous de cela, ô Religieux ? — Autre fut ce Rĭchi, en « ce temps-là, à cette époque. — Mais il ne faut pas voir ainsi. Pourquoi cela ? C’est que c’était le Religieux même Dêvadatta qui dans ce temps-là, à cette époque fut ce Rĭchi. » Voici maintenant la même formule en pâli, sauf les trois premiers mots : Aññô nûna têna samayêna râdjâ mahâsudassanô ahôsiti ; na khô panêtam̃ ânanda êvam̃ daṭṭhabham̃ ahan têna samayêna râdjâ mahâsadassanô ahôsinti, littéralement : « Sans doute, diras-tu, en ce temps-là le roi Mahâsudassana fut un autre ; mais certes, Ânanda, cela ne doit pas être vu ainsi ; c’est moi qui en ce temps-là fus le roi Mahâsudassana[8]. » Au reste, ce pouvoir qu’on attribue au Buddha de se rappeler ses existences passées, est une des plus hautes facultés que lui ait reconnues la foi de ses disciples : on en verra la formule tant en sanscrit qu’en pâli au no XXI, de l’Appendice, où je compare quelques textes sanscrits du Nord avec les textes pâlis correspondants du Sud.

Les six perfections.] Voyez ci-dessus, chap. i, f. ii a, p. 332, et l’Appendice, no VII.

f. 140 a.Les trente-deux caractères distinctifs d’un grand homme, les quatre-vingts signes secondaires.] Voyez ci-dessus, chap. ii, f. 29 b, p. 356, et l’Appendice, no VIII.

Les dix forces.] Pour les dix forces, voyez ci-dessus, chap. iii, f. 40 a, p. 367, et l’Appendice, no XI.

Les quatre intrépidités.] Cette catégorie qui a déjà été indiquée plus haut, chap. ii, f. 19 a, p. 346, doit être examinée maintenant, puisque c’est ici pour la première fois que le texte du Lotus de la bonne loi exprime le nombre des termes dont elle se compose ! Malheureusement je n’ai jusqu’ici trouvé qu’un seul texte qui nous montre ce qu’on entend par le mot de vâiçâradya, « l’intrépidité ou la confiance. » Ce texte est cité par le Dharma pradîpikâ ; il est un peu bref et quelquefois incorrect : cependant, tel qu’il est, il détermine avec précision celle des deux nuances, intrépidité ou confiance, qui doit être préférée ; c’est évidemment la seconde. Voici ce passage que je reproduis ici avec quelques corrections nécessaires : Sammâsambuddhasa tê paṭidjânatô imê dhammâ anabhisam­buddhâti tatra vata mam samanôvâ brâhmaṇôvâ dêvôvâ mârôvâ hrahmâvâ hôtchi lôkasmifh saka dhammêna paṭitchôdêssatîti (cod. tchôdêssâmîti) nimittam êtam bhikkhavê na samanupassâmi ; êtampaham bhikkhavê nimittam asamanupassattâ khêmappattô abhayappattô vêsâradjdjappattô viharâmi. « Je n’aperçois pas, ô Religieux, de raison pourquoi un Samaṇa ou un Brâhmane, un Dêva, un Mâra ou un Brahmâ quelconque dans ce monde viendrait avec juste raison me gourmander en disant, Arrivé à l’état de Buddha parfaitement accompli, éclairé comme tu l’es, voici cependant des lois que tu n’as pas pénétrées ; maintenant, parce que je n’aperçois pas de raison pour cela, je me trouve plein de bonheur, de sécurité et de confiance. » On voit que vêsâradjdja qui dans ce texte pâli représente le sanscrit vâiçâradya, ne peut avoir d’autre sens que celui de confiance ; c’est donc celui-là qu’il faut rétablir dans ma traduction. Le passage qu’on vient de lire est le premier motif de confiance que le Buddha reconnaisse en lui : ce motif, c’est qu’il a pénétré toutes les lois. Il y en a encore trois autres que je vais reproduire d’après le Dharma pradîpikâ, en abrégeant à son exemple la formule commune aux quatre vêsâradjdja. Le second motif de confiance est ainsi conçu : khiṇâsavassa tê paṭidjânatô imê âsavâ aparikkkînâti (cod. parikkkîṇâti, « ayant détruit toutes les souillures du vice, éclairé comme tu l’es, voici cependant des souillures que tu n’as pas détruites ; » le Buddha ne craignant pas qu’on lui fasse ce reproche, vit dans une entière confiance. Le troisième motif est celui-ci : yé khô tê pana. antarâyikâ dhammâ vuttâ tê paṭisêvatô nâlam antarâyâti, « les conditions que tu as dit être un obstacle [à la contemplation], pratique-les, elles ne seront pas un obstacle. » Je traduis le mot antarâyikâ signifiant « qui apporte un obstacle, » sans qu’on dise à quoi, d’après l’interprétation qu’en donne le commentaire barman du Pâṭimôkkha : djhân mag phoil eng antarày koiv pru tai sañ sa lhyag̃ phratch sô, « qui est même capable de faire obstacle au fruit de la voie de la contemplation[9]. » Enfin voici le quatrième motif de confiance : yassa khôpana tê atthâya dhammô dêsitô sô na nîyyâti nitakkarakka sammâ dukkhâkkhayâyâti, « la loi que tu as enseignée pour ce but particulier de détruire complètement la douleur, elle ne conduit pas à ce but celui qui la pratique[10]. » Je m’aide, pour traduire ainsi ce texte qui me paraît altéré, d’un passage analogue du Têvidjdja sutta qu’on trouvera vers la fin de l’Appendice, no II, et où, au lieu de niyyâti nitakkarakka, on lit avec un mot de plus, niyyânikô niyyâti takkarassa[11] : Le premier mot répond en pâli au sanscrit nâiryâṇika, « qui aide à sortir dehors, » que nous allons voir dans le Lalita vistara. Le second, niyyâti, doit être en sanscrit niryâti, « il sort, » et takkarassa est probablement tatkarasya, « pour celui qui agit ainsi. » Mais même sans cette correction, le sens général de la phrase n’est pas douteux : le Buddha ne voyant pas de raison pour qu’on lui adresse plus ce reproche que le précédent, vit dans une entière sécurité. En résumé, les quatre motifs de sa confiance sont : 1o qu’il a pénétré toutes les lois ; 2o qu’il s’est débarrassé de tous les vices ; 3o qu’il a reconnu quels sont les obstacles qui s’opposent à la contemplation ; 4o que sa loi a atteint à son but, celui de détruire complètement la douleur.

Au reste, il paraît que les textes buddhiques sont assez sobres d’explications quand il s’agit des quatre motifs de confiance du Buddha, motifs qu’ils rappellent cependant presqu’à chaque page. En voici une preuve que j’emprunte au Lalita vistara, où malgré l’abondance des mots ces quatre motifs sont moins clairement indiqués que dans les quatre phrases pâlies assez courtes que je viens d’expliquer. Parmi les titres qui sont donnés à un Buddha, et qu’on énumère à la fin du xxvie chapitre du Lalita vistara, on trouve quatre passages sur la confiance que je vais reproduire et traduire successivement. Le premier motif de confiance est ainsi formulé : Niravaçêcha sarvadharmâbhisam̃buddha pratidjñârôhana sadêvalôkânabhi­bhûta pratidjñâ vâiçâradya prâptatvân̄ nirava­çêcha sarvadharmâbhisam̃b­uddha pratidjñârôhaṇa sadêvalôkê ’nâbhibhûta pratidjñâ vâiçâradya prâpta ityatchyatê. « Comme il a acquis la confiance dans l’assurance qu’il a donnée sans être contredit par le monde réuni aux Dêvas, où nul ne s’est élevé contre sa parole, assurance qui consistait à dire qu’il connaissait les lois, toutes et sans reste, on dit de lui qu’il a acquis la confiance dans cette assurance. » J’ai traduit de cette formule ce qu’il y a d’essentiel, et je n’en ai pas répété la fin qui consiste à reproduire après le mot « confiance » la phrase même par laquelle débute la formule. Elle revient à ceci, que le Buddha est nommé « plein de confiance dans la connaissance qu’il a de toutes les lois, » par cela même qu’il possède cette confiance. Cela répond au premier article de la définition du Dharma pradîpikâ que j’ai donnée plus haut. Le second motif de confiance est ainsi conçu : Sarvâ sâm̃klé­çikântarâyikadharmântarâyakaraṇâ nirvâṇasyêti tatpratidjñârôhaṇa sadêvakê lôké ’nâtchtchhêdya pratidjñâ­vâiçâradya prâptatvât sarvâ sâm̃klêçikântarâyikadharmântarâyakaraṇâ nirvâṇa­syêti tatpratidjñârôhaṇa sadêvakê lôké ’nâtchtchhêdya pratidjñâvâiçâradya prâpta ityutchyaté. « Comme il a acquis la confiance dans l’assurance qu’il a donnée sans être arrêté par le monde réuni aux Dêvas, où nul ne s’est élevé contre sa parole, quand il disait “Toutes les conditions du vice qui sont des obstacles, sont des obstacles au Nirvâṇa”, on dit de lui qu’il a acquis la confiance dans cette assurance. » J’ai reproduit exactement le texte tel que le donnent mes trois manuscrits du Lalita vistara ; il y a dans la partie de la formule qui exprime cette espèce particulière de confiance, des réunions anormales de mots qui cependant n’en cachent pas la signification véritable ; elle répond certainement au troisième article de la définition du Dharma pradîpikâ. Le troisième motif de confiance est ainsi conçu, d’après le Lalita : Nâiryânikim pratipadam pratipadyamânô nirvâṇam̃ nârâgayichyatîti pratidjñârôhaṇa sadêvakê lôké ’pratitchôdya pratidjnâvâiçâradya prâptatvân nâiryânikîm pratipadam pratipa­dyamânô nirvânam̃ nârâgayichyatîti pratidjnârôhaṇa sadêvakê lôké ’pratitchôdya pratidjñâvâiçâradyaprâpta ityutchyatê. « Comme il a acquis la confiance dans l’assurance qu’il a donnée sans être gourmandé par le monde réuni aux Dêvas, où nul ne s’est élevé contre sa parole pour dire “Arrivé au degré qui est fait pour conduire hors du monde, non il n’atteindra pas au Nirvâṇa”, on dit de lui qu’il a acquis la confiance dans cette assurance. » Cette formule répond à l’article quatrième de la définition du Dharma pradîpikâ, quoiqu’il n’y ait pas entre les deux énoncés autant de ressemblance que pour les formules précédentes. Au lieu de placer dans la bouche des opposants l’opinion que le sage ne parviendra pas au Nirvâṇa, le Lalita vistara de la Société asiatique la présente sous la forme affirmative et la laisse dans la bouche du Buddha, de cette manière : « Nul ne s’est élevé contre sa parole quand il a dit : “Arrivé au degré qui est fait pour conduire hors du monde, oui il arrivera au Nirvâṇa.” » Le quatrième motif de confiance est conçu comme il suit : Sarvâçravakchayaprahâṇa djñânapratidjñârôhaṇa sadévaké lôhé ’vâivariya­pratidjñâ vâiçâradyaprâptaivâi sarvâçravakchaya prahâṇa djñânapratidjñârôhaṇa sadêvakê lôkê’vâivartyapratidjñâ vâiçâradyaprâpta ityutchyatê « Comme il a acquis la confiance dans l’assurance qu’il a donnée sans reculer devant le monde réuni aux Dêvas, où nul ne s’est élevé contre cette affirmation, qu’il possédait la science de l’abandon et de l’anéantissement de toutes les souillures du vice, on dit de lui qu’il a acquis la confiance dans cette assurance[12]. » Cette formule répond au second article de la définition du Dharma pradîpikâ. En rapprochant une à une ces quatre formules sanscrites des définitions correspondantes du pâli, on en reconnaît facilement l’objet commun, malgré la différence des termes ; je crois cependant que si pour se faire une idée claire de la théorie des quatre motifs de confiance d’un Buddha, on débutait par les énumérations verbeuses du Lalita vistara, on n’en aurait pas une notion aussi précise que celle que nous en donne l’exposé plus bref du Dharma pradîpikâ.

Les quatre richesses de l’accumulation.] Je n’étais pas sûr d’avoir traduit exactement le nom de cette catégorie, sag̃graha vastûni, pour l’intelligence de laquelle je ne possédais aucun secours, car elle ne se présente qu’une seule fois dans tout le Saddharma puṇḍarîka ; aujourd’hui la lecture du Lalita vistara doit lever tous les doutes, puisque nous y trouvons et le titre de la catégorie dite sag̃graha, et le nom des éléments qui la composent. Le seul examen de ces éléments prouve que sag̃graha doit être pris dans le sens de propitiating, « pleasing, » que lui donne Wilson ; M. Foucaux, d’après les Tibétains, adopte celui de réunion[13]. Il n’est pas facile de trouver une expression française qui représente d’une manière à la fois claire et complète les idées que résume le composé sag̃graha vastûni, c’est-à-dire, « les éléments du rapprochement, » les actes par lesquels l’homme se rapproche de son semblable, et lui devient agréable. Cependant, comme il faut traduire, je crois pouvoir m’arrêter à cette version encore un peu vague : « les éléments de la bienveillance. » Ces éléments sont énumérés par le Lalita vistara parmi les cent-huit portes de la loi. Ils ont, d’après le texte de cet ouvrage, le résultat suivant : Sattvasag̃grahâya sambôdhiprâptasyatcha dharma sampratyavêkchaṇatâyâi sam̃vartatê. « Cela conduit à la faveur des créatures, et à pénétrer complètement la loi de celui qui a obtenu la science absolue[14]. » Cette sorte de définition que j’ai traduite aussi littéralement qu’il m’a été possible, marque suffisamment la destination des quatre mérites énumérés sous le titre collectif d’éléments de la bienveillance ; c’est l’ensemble des moyens par lesquels un Buddha se rend les créatures favorables, de manière qu’éclairées par son enseignement elles se mettent en état de comprendre la loi de celui qui est arrivé à la perfection la plus élevée de l’intelligence. Le premier de ces moyens que le Lalita vistara énumère ailleurs[15] est dânam, « l’aumône ou « la bienfaisance. » Le second est priyavatchanam, « un langage agréable ; » cette qualité n’a pas plus besoin d’explication que la précédente. Le Vocabulaire pentaglotte, qui reproduit également l’énumération de ces termes sous la section XVII, a ici priyavâditâ, littéralement « la qualité d’avoir un langage agréable. » Le troisième élément est arthakriyâ, littéralement « l’exécution de l’avantage, du bien, » c’est-à-dire l’exécution de ce qui doit servir au bien des créatures ; le Vocabulaire pentaglotte a ici arthatcharyâ, « la pratique du bien, » ce qu’il faut sans aucun doute entendre dans le même sens que arthakriyâ. Le quatrième élément est samânârthatâ, « la qualité d’avoir un bien commun, » ou selon la version tibétaine, la communauté des biens. Ce mérite ne doit pas être entendu des biens temporels, mais, d’une manière beaucoup plus générale, du bien ou de l’avantage des êtres que le Buddha se donne la mission de sauver. Or il y a entre lui et les créatures communauté de biens ou d’avantages, puisque c’est à la délivrance déjà obtenue par lui-même qu’il cherche à les conduire. Il résulte de ce qui précède que les mérites compris sous le titre commun d’éléments de la bienveillance sont des qualités accessoires d’un Buddha, qualités qui résument brièvement l’ensemble de ses rapports extérieurs avec les êtres.

Les dix-huit conditions d’un Buddha dites homogènes.] Voyez ci-dessus, chap. iii, f. 87 a, p. 362, le renvoi au no IX de l’Appendice, et lisez, « dites indépendantes. »

L’univers nommé Dêvasôppâna.] Les deux manuscrits de M. Hodgson lisent plus correctement Dêvasôpâna, ce qui veut dire « escalier des Dêvas. » Cette idée d’un escalier à l’aide duquel on monte aux cieux, se présente, comme on sait, dans la vie même de Çâkyamuni[16].

f. 140 b. Soixante fois cent Yôdjanas de hauteur.] Les deux manuscrits de M. Hodgson lisent « soixante Yôdjanas, » ce qui est déjà suffisamment merveilleux.

f. 142 a. Ceux de ces Bôdhisattvas qui avaient été anciennement des Çrâvakas.] Ceci est peut-être inexact ; il faut lire, « ceux de ces Bôdhisattvas qui avaient à leur tête des Çrâvakas ; » c’est du moins ce sens qui me paraît le mieux convenir à cette expression du texte, yé çrâvakapûrva bôdhisativâḥ.

f. 142 b. Elle a saisi et les lettres et le sens des discours des Tathâgatas.] Le texte se sert de l’expression tathâgata bhâchita vyañdjanârthôdgrahaṇa ; si l’on n’admet pas la légitimité du sens de lettre que j’ai essayé d’attribuer au mot vyañdjana, ci-dessus, chap. i, f. 11 a, p. 330, on traduira, « elle a saisi les caractères et le sens, etc. »

Douée de la perfection d’une beauté souverainement aimable.] Le texte se sert ici de l’expression paramayâ çubhavarṇapuchkalatayâ samanvâgatâ, qui se retrouve presque mot pour mot dans les livres des Buddhistes du Sud. J’en rencontre un exemple dans le Sônadaṇḍa sutta, où il est dit : Sônadaṇḍô ahhirûpô dassanîjô pâsâdikô paramâja vaṇṇapôkkharatâya samannâgatô. « Sônadaṇḍa beau, agréable, gracieux, doué de la perfection d’une « beauté suprême[17]. » Cette expression se trouve également dans un fragment publié par Spiegel, mais malheureusement imprimé avec beaucoup de fautes, et où l’éditeur lit à tort le dernier mot sêmantâgatô[18].

f. 143 a.St. 49. Orné des trente-deux signes de beauté.] Voyez ci-dessus, chap. ii, f. 29 b, p. 356, et l’Appendice, no VIII ; le même renvoi s’applique à la même phrase ci-dessous, f. 144 a.

f. 143 b.Les cinq perfections.] Lisez, « les six perfections, » et voyez ci-dessus, chap. i, f. 11 a, p. 332, et l’Appendice, no VII.

f. 144 a.Supprimant en elle les signes qui indiquaient son sexe.] Je n’arrêterais pas l’attention du lecteur sur cette transformation miraculeuse de la fille de Sâgara, s’il devait être uniquement question ici des développements que la croyance au surnaturel a pu prendre chez les Buddhistes du Nord. Une fois cette croyance admise comme élément religieux, un miracle de plus ou de moins n’est pas un point d’importance : la crédibilité ne recule pas plus devant le nombre que devant l’absurdité de ses conceptions. Mais il y a ici quelque chose de plus instructif à remarquer, c’est l’occasion même de ce miracle. Tout en reconnaissant les rares vertus de la fille de Sâgara, le Religieux Çâriputtra lui conteste le pouvoir de jamais devenir un Buddha, par la raison qu’il y a cinq places ou cinq situations qui sont interdites à une femme par le seul fait de son sexe ; ces situations sont celles de Brahmâ, de Çakra, de Mahârâdja, de souverain Tchakravartin, et de Bôdhisattva ou Buddha futur. Cette opinion appartient à la plus ancienne tradition buddhique. Il est vrai que je ne l’ai pas encore vue exprimée en des termes aussi positifs chez les auteurs singhalais ; mais je n’hésiterais pas à croire qu’on doit l’y trouver, car elle paraît déjà, pour sa partie la plus importante du moins, dans une glose de Buddhaghôsa, qui nous apprend qu’un homme peut seul devenir Buddha[19]. En ce qui touche le rôle de souverain Tchakravartin, nous savons par Fa hian que ce fut également au moyen d’un miracle que la Religieuse Utpalâ prit, dit-on, cette forme pour aller la première à la rencontre de Çâkya[20]. Si je comprends bien cette tradition, elle se présente comme une sorte de correctif à l’admission des femmes dans le corps des Religieux. L’histoire moderne de l’Inde nous offre plus d’un exemple de l’influence considérable que des femmes supérieures ont exercée sur les affaires publiques. Qu’y aurait-il d’étonnant à ce que, dans des temps plus anciens, leur habileté, soutenue par le respect qui s’est toujours attaché dans l’Inde à la pratique des devoirs ascétiques, ait pu porter ombrage aux hommes, et donner lieu à l’exclusion qui leur enlève l’espérance d’arriver à la suprématie d’un Buddha ?

  1. Ci-dessus, chap. vii, f. 103 a, p. 391.
  2. I. J. Schmidt, Mémoires de l’Acad. des sciences de Saint-Pétersbourg, t. I, p. 106 et suiv.
  3. A. Rémusat, Foe koue ki, p. 118.
  4. Introd. à l’histoire du Buddhisme indien, t. I, p. 431, note 1.
  5. Amarakocha, l. II, chap. II, sect. 2, st. 76, Loiseleur, p. 199 ; Bhagavad gîtâ, p. 156, éd. Lassen.
  6. Ci-dessus, chap. vii, f. 89 a, p. 387 et 388.
  7. A. Rémusat, Foe koe ki, p. 160.
  8. Mahâsudassana sutta, dans Dîgha nikâya, f. 106 a.
  9. Pâṭimôkha, ms. pâli-barman, f. 4 a, et de ma copie, p. 20.
  10. Dharma pradîpikâ, f. 21 a et b.
  11. Dîgha nikâya, f. 60 b, l. 9.
  12. Lalita vistara, f. 226 b du man. A ; f. 225 a du man. B ; f. 229 b du m. Soc as. Je ne puis renvoyer au Rgya tch’er rol pa, où ce passage ne se trouve pas.
  13. Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 45.
  14. Lalita vistara, f. 23 a de mon man. A. et 26 a du man. B.
  15. Lalita vistara, chap. v, init. f. 25 a du man. A, et f. 28 a du man. B.
  16. Foe koue ki, p. 124.
  17. Dîgha nikâya, f. 29 a et b.
  18. Spiegel, Anecdota pâlica, p. 72.
  19. Spiegel, ibid. p. 62 et 63.
  20. Foe koe ki, p. 124.