Mes souvenirs (Stern)/Première partie/XVII

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Daniel Stern ()
Calmann Lévy, éditeurs (Bibliothèque contemporaine) (p. 245-248).




XVII


Mon mariage. 



Mais ni le roman anglais, ni le bal, ni les distractions qu’on multipliait autour de moi ne changeaient au fond ma disposition d’esprit. Les propositions de mariage, les entrevues continuaient et me devenaient tout à fait insupportables.

Un jour, je ne saurais trop dire par quelle suite de réflexions, j’en vins, à part moi, à la résolution bien arrêtée d’y mettre fin. Je fus trouver ma mère, et lui exprimant la répugnance extrême que j’éprouvais pour le rôle qui m’était assigné dans les préliminaires d’un acte où je ne vovais autre chose que l’accomplissement nécessaire, mais indifférent, d’un devoir, je la conjurai, à la première demande qui lui serait faite, de se concerter avec mon frère, puis de dire oui ou non sans m’en parler, promettant de ratifier ce oui prononcé par deux personnes d’un jugement sûr et que je reconnaissais, en toute manière, infiniment supérieur au mien.

Ma mère, tout en blâmant ce parti pris, trop absolu, disait-elle, n’en était pas, au fond, trop mécontenta. De son côté, mon frère était d’avis que j’arrivais à l’âge où il est sage de marier les jeunes filles. Ma pâleur et ma mélancolie semblaient lui donner raison.

Mon amie Esther était à la veille de se marier, Fanny était depuis six mois comtesse de Montault, et toutes deux paraissaient s’accommoder très-bien de ce changement d’état. Chaque fois que j’allais à confesse, l’abbé Gallard, après m’avoir donné sa bénédiction, ne manquait jamais d’ajouter : « J’espère bien, mon en fant, vous bénir à l’autel avant qu’il soit peu. »

Et voici qu’à point nommé, le prince et la princesse de la Trémoïlle, qui jamais ne convenaient sur rien, se mettaient d’accord pour proposer à ma mère une al liance qui, à leurs yeux, était la plus souhaitable du monde.

Issu d’une des plus anciennes maisons de France, alliée aux maisons de Castellane, de Sabran, de Forbin-Janson, de Simiane, etc., et qui avait exercé des droits souverains, le comte Charles d’Agoult, colonel de cavalerie, aide de camp du général Latour-Maubourg, neveu du vicomte d’Agoult chevalier des ordres du roi, premier écuyer de madame la Dauphine, demandait ma main.

Il n’avait pas une fortune égale à la mienne ; mais, vaillant soldat, signalé dans toute l’armée pour sa brillante bravoure, proche parent de la plus intime amie de la future reine de France, il ne pouvait manquer d’obtenir un avancement rapide, avec quelque charge de cour, qui compenseraient par de beaux traitements ce qui manquait à son patrimoine. C’était à tous égards une grande alliance. Toutes informations prises, ma mère en agréa la proposition. Mon frère absent — il était secrétaire d’ambassade à Londres auprès de M. de Polignac — y donna par lettre son assentiment. Mon confesseur m’exhortait à entrer dans une famille si chrétienne et si bien en cour.

Deux fois rompues sur des malentendus dans les évaluations de fortune, les négociations furent deux fois renouées par l’intervention efficace du prince de la Trémoïlle.

On a vu comment j’avais à l’avance résolu d’accepter le premier projet qui conviendrait à ma mère. Je ne revins pas sur ce que j’avais dit. Tout se passa selon les bienséances du monde et de la cour, à laquelle j’allais appartenir. Le roi Charles X, Louis-Antoine dauphin, Marie-Thérèse dauphine de France, Marie-Caroline duchesse de Berry, Louis-Philippe d’Orléans, Marie-Amélie, mademoiselle d’Orléans, qu’on devait appeler, à la cour de son frère devenu roi, madame Adélaïde, signèrent à mon contrat. Le 16 mai 1827, à midi, en l’église de l’Assomption, l’abbé Gallard, curé de la paroisse de la Madeleine, vicaire général du diocèse, me donna en présence d’une nombreuse et illustre assistance la bénédiction nuptiale.



FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE