Noëls anciens de la Nouvelle-France/XI

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Dussault & Proulx, imprimeurs (p. 89-92).
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XI.


De la musique des dix-huit Noëls anciens que nous ont conservée les Noëls nouveaux de Pellegrin, nous ne chantons plus aujourd’hui que quatre airs : ceux du Venez, divin Messie, du Ça, bergers, assemblons-nous, d’Allons tous à la Crèche, et d’Entends ma voix fidèle, (le Ies8s Ahatonnia que les Hurons de la Jeune Lorette chantent dans leur chapelle, tous les ans, à Noël et à l’Épiphanie.) Ce sont les seuls demeurés au répertoire. Les quatorze autres ont absolument disparu de nos recueils modernes.

On peut cependant encore en entendre chanter un cinquième dans nos églises quand on y donne la Messe de Noël de Perrault — Deo Infanti. Tout l’Agnus Dei, à l’exception des trois derniers mots, dona nobis pacem, que l’habile sulpicien fait chanter sur l’air, universellement connu, de Nouvelle agréable, tout l’Agnus Dei, dis-je, est écrit sur le thème d’une mélodie primitive, Or, nous dites, Marie, exhalant, comme une fleur, un parfum de douce mélancolie.

VERSION DE PELLEGRIN 1701.




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Or, nous di- tes Ma -- ri -- e, Où é -- tiez-vous _ a -- lors,
J’é -- tais en Ga -- li -- lé -- e, Plai-
san -- te ré_- gi -- on, En ma chambre en -- fer-
mé -- e, En con -- tem -- pla -- ti -- \override LyricText #'self-alignment-X = #-1 on.____etc.
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Quand Ga -- bri -- el ar -- chan -- ge vous fit un tel rap -- port_?
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Jusqu’en 1833, et, vraisemblablement aussi, quelques années plus tard, cette mélodie quadricentenaire se chantait encore par tout le diocèse de Québec sur les paroles d’un cantique dont voici les couplets :

Sous les pas du Messie,
Ô cieux ! abaissez-vous ;
Pour nous rendre la vie
Il descend jusqu’à nous ;
Déjà les chœurs des Anges,
Par leurs divins concerts,
De ses justes louanges
Font retentir les airs.

Grands, qu’un faux éclat trompe,
Habitez des palais ;
Que la pourpre avec pompe,
Vous couvre sous le dais ;
La grandeur véritable
N’a pas de tel besoin,
Jésus, dans une étable,
Est couché sur du foin.


C’est Lui dont la parole
A produit l’univers ;
Par Lui la foudre vole,
Il commande aux éclairs ;
Il prend notre nature,
Pour donner, ô bonté !
Part à sa créature,
De sa divinité.

Par sa grâce féconde
Les vertus vont fleurir.
Et d’une paix profonde
Les trésors vont s’ouvrir.
Une nouvelle terre,
Avec de nouveaux cieux,
Seront un sanctuaire
Où tous vivront heureux.


Bénis, bénis, mon âme,

Cet aimable Sauveur ;
Qu’une éternelle flamme
Pour Lui brûle en mon cœur ;
Que tout en moi publie
Ses immenses bienfaits ;
Que plutôt je m’oublie

Que d’y manquer jamais.[1]


La mélodie de ce noël que nous n’entendons plus dans nos églises, aux fêtes de la Nativité du Christ, qu’à l’Agnus Dei de la messe de Perrault, se chante encore aujourd’hui, en tout temps, par toute la France dans les écoles primaires. J’ai sous la main Le Livre de Musique par Claude Augé[2] qui donne comme exemple de morceaux écrits dans le ton de mi naturel mineur la mélodie même du noël que les petits Français chantent, andantino, à leur leçon de solfège :

Nous voici dans la ville

Où naquit autrefois
Le Roi le plus habile
Et le plus saint des rois.
Élevons la pensée
Vers Dieu qui nous conduit
Durant cette journée.

Voici venir la nuit.


Tel est le premier couplet de la version moderne de ce noël populaire dont la musique immuable endort, depuis quatre siècles, à son rythme caressant, tous les berceaux de France, notre ancienne mère-patrie.

Ce n’est pas mon intention de publier ici, à la queue-leu-leu, les treize autres noëls anciens que me signale le précieux ouvrage de Pellegrin. Les trois noëls populaires mis en regard des trois noëls religieux que mes lecteurs viennent de lire suffiront, je crois, à leur donner une idée assez juste et assez développée de leur caractère et de leur valeur comparés. Des dix-huit noëls anciens qui servirent de type aux noëls nouveaux de Pellegrin, cinq, ai-je dit, ont survécu dans la mémoire du peuple, grâce au charme réel de leurs mélodies. Les treize autres, absolument ternes et vulgaires, sont d’une fadeur qui explique mieux que tout leur disgrâce et l’oubli définitif où ils sont tombés. Écrites, pour la plupart, sur le mode mineur, leurs mélodies insipides et monotones ont une tristesse de complainte qui dégénère bien vite en une impression d’incurable ennui pour celui qui les écoute. Elles n’ont rien de caractéristique, encore moins de distingué ; elles rappellent, hélas ! les chansons banales que fredonnent machinalement les désœuvrés de toutes les besognes, plutôt pour s’occuper la langue que pour se récréer le cœur ou l’esprit. Je me rappelle à leur sujet le mot typique d’un musicien : — Voilà des airs qui ne sont pas précisément… flambants !

Un tel verdict fixe leur sort. Inutile de songer davantage à ressusciter ces mélodies mortes, flambées à tout jamais, pour parler le langage imagé de mon critique.



  1. Recueil de Cantiques (dixième édition) — Québec — Neilson & Cowan, Imprimeurs-Libraires, 14, rue la Montagne, 1833 — pages 340 et 341.
  2. À Paris, chez Ve P. Larousse & Cie. Imprimeurs-Éditeurs, 19. rue Montparnasse.