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Oeuvres de Walter Scott, trad Defauconpret/Tome I/3/2

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Traduction par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret.
Furne, Libraire-éditeur (Tome I. — Ballades, etcp. 112-122).

CHANT SECOND.

i.

Veux-tu bien voir le beau Melrose ? va le visiter à la lueur pâle de la lune : les rayons du jour semblent ne dorer ses débris antiques que par moquerie. Quand la nuit règne sur les arches brisées, et que la lune argente la sculpture de chaque croisée en ogive ; quand sa clarté incertaine et froide se répand sur les restes de la grande tour centrale ; quand chaque arcade et chaque faisceau de colonnes paraissent être alternativement d’ivoire on d’ébène ; quand un cadre d’argent entoure les figures en relief et les pieux versets qui vous exhortent à bien vivre et à bien mourir ; quand le hibou chante sur les pierres des morts ; alors va, — mais va seul, admirer le temple en ruines de Saint-David, et conviens, au retour, qu’il n’existe nulle part un spectacle à la fois plus mélancolique et plus beau.

ii.

Deloraine se souciait peu d’admirer ce noble édifice. Il frappe au guichet à grands coups avec la garde de son poignard. Le portier accourt. — Qui frappe si fort ? qui vient si tard ? — Je viens de Branksome, — répond le guerrier. À ces mots le guichet s’ouvre, car les Chefs de Branksome avaient combattu pour soutenir les droits de Melrose ; et ils avaient donné à l’abbaye de vastes domaines pour le repos de leur âme.

iii.

Le brave Deloraine déclara son message. Le portier inclina humblement la tête, et le conduisit en silence, les pieds nus et une torche à la main ; les voûtes du cloître retentirent du bruit des armes du guerrier. Il baissa sa tête altière pour entrer dans la cellule du vieux moine de l’aile Sainte-Marie, et releva la visière de son casque pour lui dire avec respect :

iv.

La dame de Branksome vous salue. L’heure fixée par le destin est arrivée ; je dois veiller avec vous cette nuit pour obtenir les trésors de la tombe. — Le moine était sur la haire qui lui servait de couche ; il souleva avec peine ses membres raidis par l’âge. Cent années avaient répandu leur neige sur sa longue barbe et sur les cheveux rares qui lui restaient.

v.

Ses yeux bleus contemplent le chevalier d’un air égaré : — Oses-tu bien, guerrier, chercher à voir ce que le ciel et l’enfer veulent cacher ? Ma poitrine est entourée d’une ceinture de fer, mon corps est couvert d’un cilice armé de pointes aigues. J’ai passé soixante ans dans la pénitence ; mes genoux ont usé les pierres de ma cellule, et c’est encore trop peu pour obtenir le pardon d’avoir connu ce qui ne devait jamais l’être. Veux-tu passer dans la prière et la pénitence le reste de tes années, et n’attendre qu’en tremblant la fin de tes jours ?….. Audacieux guerrier, suis-moi.

vi.

— Je ne veux pas de pénitence, Père. Rarement j’entre dans une église, et je sais à peine une prière, tout au plus un Ave, Maria, que je récite quand je pars pour faire une excursion sur les frontières. Hâtons-nous donc ; que je retourne promptement,

vii.

Le vieillard regarda encore le chevalier, et poussa un profond soupir. Il avait lui-même porté les armes autre-fois, et avait combattu avec courage en Italie et en Espagne. Il pensait à ces jours passés depuis long-temps où ses membres étaient pleins de vigueur, son cœur bouillant de courage….. Aujourd’hui il marche à pas lents vers le jardin du monastère. Les voûtes du cloître étaient sur leurs têtes, et sous leurs pieds les ossemens des morts.

viii.

La rosée de la nuit brille sur des fleurs et des arbustes sans nombre ; ces fleurs et ces arbustes sont habilement retracés par la sculpture du cloître. Le moine fixa long-temps ses regards sur la lune ; ses yeux semblèrent ensuite vouloir percer l’obscurité des voûtes. Des rayons de lumière, d’un rouge étincelant, traversaient l’horizon du nord. C’est ainsi qu’il avait vu dans la belle Castille de jeunes cavaliers s’élancer en brillans escadrons, tourner leurs coursiers agiles et lancer le dard inattendu[1]. Il savait que ces rayons de lumière étaient les feux du nord servant de coursiers aux esprits.

ix.

Le moine et le guerrier pénètrent dans la nef par une porte garnie d’airain. Le toit sombre s’élevait sur de hautes colonnes délicates et légères ; la maîtresse pierre qui fermait chaque arcade était sculptée en fleurs de lis ou en trèfle ; tous les frontons représentaient des figures grotesques et bizarres, et les piliers, élégans depuis la base jusqu’au chapiteau, auraient pu être pris pour des faisceaux de lances réunies avec des guirlandes.

x.

Autour de l’autel, des écussons, des bannières déchirées, s’agitaient avec bruit au souffle glacial du vent de la nuit. C’était là que la lueur mourante d’une lampe éclairait l’urne sépulcrale du vaillant Chef qui périt à Otterburne, et celle du chevalier de Liddesdale ! Ô périssables honneurs de la mort ! fière ambition, quelle chute pour ton orgueil !

xi.

Du côté de l’est, la lune versait sa clarté à travers un treillage en pierre, travaillé avec tant de délicatesse, qu’on eût dit que la main d’une fée tressant des brins d’osier entre des peupliers, en avait formé des nœuds fantastiques, pour pétrifier ensuite, par un charme magique, les vertes guirlandes du saule. Cette lumière, pâle et tremblante, découvrait les prophètes et les saints dont l’image était peinte sur le verre. Au milieu d’eux, Michel triomphant brandissait l’étendard rouge de la croix, et foulait aux pieds l’ange rebelle ; un rayon de lumière traversant ces vitraux sacrés teignait de la couleur du sang le marbre du pavé.

xii.

Ils s’assirent sur une pierre sous laquelle reposait un roi d’Écosse ; alors le moine dit d’un ton solennel : — Je n’ai pas toujours vécu dans la solitude du cloître ; j’ai vu le pays des païens, j’ai combattu pour la croix sainte. Cependant aujourd’hui la vue de tes armes est étrange à mes yeux, et le son de ton armure est nouveau pour mon oreille.

xiii.

— Dans ces pays lointains, le hasard me fit connaître le célèbre Michel Scott, ce magicien dont le pouvoir était si redoutable, qu’en élevant sa baguette dans la caverne de Salamanque, il faisait, quand il le voulait, sonner les cloches de Notre-Dame. Il m’apprit quelques-uns des secrets de sa science ; je pourrais te dire, guerrier, les paroles qui partagèrent le sommet de l’Eildon et qui placèrent un pont sur la Tweed ; mais on ne pourrait les prononcer sans péché, et rien que pour y avoir secrètement pensé, je vais être obligé de faire triple pénitence.

xiv.

— Quand Michel fut sur son lit de mort, des remords éveillèrent sa conscience ; il songea à ses fautes, et désira me voir près de lui sans délai. J’étais le matin en Espagne, et avant la nuit je fus au chevet de son lit. Ce qu’il me dit en mourant ne peut être répété….. Cette nef massive s’écroulerait et couvrirait sa tombe de ses débris.

xv.

— Je fis serment d’enterrer son livre tout-puissant,

afin que nul mortel ne pût le lire, et de ne jamais révéler où je l’aurais caché, à moins que ce fût pour servir son Chef, le baron de Branksome. Quand je lui eus creusé un caveau dans ce séjour des morts, j’y déposai ses restes ; la cloche sonnait une heure ; la lune brillait de tout son éclat. Je saisis cet instant afin que la croix de son patron, réfléchissant sa couleur rouge sur sa tombe, en pût écarter les malins esprits.

xvi.

— Ce fut une nuit solennelle et terrible que celle où le tombeau s’ouvrit pour Michel. Des sons étranges se firent entendre dans cette nef, et toutes ces bannières furent agitées sans qu’on sentit un souffle d’air. — Le moine parlait encore quand la cloche sonna une heure. Je vous ai dit que jamais chevalier plus brave que William Deloraine ne lança son coursier contre un ennemi, et cependant une terreur soudaine vint glacer son sang dans ses veines, et ses cheveux se dressèrent sur sa tête.

xvii.

— Guerrier, regarde cette croix rouge, elle t’indique la tombe du grand magicien. Dans ce caveau brûle une lampe miraculeuse, pour en bannir les esprits qui aiment les ténèbres. Elle brûlera sans jamais s’éteindre, jusqu’au dernier jugement. — Le moine s’avança lentement vers la pierre sur laquelle se réfléchissait la croix couleur de sang ; étendant sa main flétrie et décharnée, il montra au chevalier un pieu de fer caché dans un coin, et lui fit signe de s’en servir pour ouvrir le caveau.

xviii.

Deloraine se met à l’ouvrage ; son cœur bat avec force. Il incline ses membres nerveux sur le tombeau, et ses puissans efforts font couler la sueur sur son front comme des gouttes de pluie. Enfin il réussit à soulever l’énorme pierre. Une lumière éclatante jaillit tout à coup du caveau, s’élança jusqu’aux voûtes de la nef, et se répandit de tous côtés. Jamais flamme terrestre ne fut si éblouissante. Elle brillait comme la clarté pure des cieux ; elle éclaira le visage pâle du moine et son capuchon, la cotte de mailles et le panache flottant du guerrier.

xix.

Le magicien se présenta à leurs yeux comme s’il n’avait jamais cessé de vivre. Les flots d’argent de sa barbe blanche attestaient qu’il avait vu plus de soixante-dix hivers. Il était couvert d’une aumusse et d’un baudrier de Tolède, comme un pèlerin arrivant d’outre-mer. De la main gauche il tenait son livre de magie, de la droite une croix d’argent, et la lampe brûlait à ses pieds : il avait encore cet air fier et majestueux qui avait fait trembler les esprits les plus redoutables, et son visage était si serein qu’ils espérèrent que son âme avait trouvé grâce.

xx.

Souvent William Deloraine avait parcouru le théâtre sanglant des combats, souvent il avait foulé aux pieds les cadavres des guerriers, toujours sans crainte et sans remords ; mais les remords et la crainte s’emparèrent de lui quand il vit cette étrange apparition. Respirant à peine, les yeux obscurcis et troublés, il resta immobile et sans force. Le moine se mit à prier avec ferveur et à haute voix, en détournant la tête : il ne put soutenir la vue de celui qu’il avait chéri avec une affection fraternelle.

xxi.

Lorsqu’il eut achevé les prières des morts : — Hâte-toi, dit le moine à Deloraine, hâte-toi de terminer ce que tu as à faire, ou nous pourrions payer bien cher notre audace, car tu ne peux voir ceux qui s’assemblent autour de cette tombe entr’ouverte. — Alors le chevalier, frappé de terreur, prit de la main froide du magicien le livre tout-puissant, relié en fer et fermé par des agrafes de même métal. Il crut voir le mort froncer le sourcil ; mais l’éclat de la lumière qui sortait du sépulcre avait peut-être ébloui les yeux du guerrier.

xxii.

Lorsque l’énorme pierre recouvrit la tombe, les ténèbres redoublèrent ; car la lune avait disparu, et les étoiles scintillaient en petit nombre. Le prêtre et le chevalier se retirèrent d’un pas chancelant et l’esprit égaré, ayant à peine la force de regagner la porte. On dit qu’en traversant les ailes de l’église, ils entendirent dans l’air des bruits étranges, et que des galeries qui régnaient le long des murs il partit de profonds gémissemens, de bruyans éclats de rire, ou des sons qui ne ressemblaient pas à la voix humaine, comme si les démons eussent célébré une fête, parce que le livre magique revoyait le jour. Je ne puis dire si ces détails sont vrais : je conte l’histoire comme je l’ai apprise.

xxiii.

— Maintenant, retire-toi, dit le moine ; et, lorsque nous serons sur notre lit de mort, oh ! puisse Notre-Dame et le secourable saint Jean obtenir pour nos âmes le pardon de ce que nous venons de faire ! — Le Père retourna dans sa cellule pour s’y livrer à la prière et à la pénitence ; mais, quand la cloche du couvent sonna midi, le moine de Sainte-Marie n’existait plus. Son corps était étendu devant la croix, les mains jointes, comme s’il priait encore.

xxiv.

La fraîcheur de l’air du matin rendit plus libre la respiration du chevalier, et il s’efforça de retrouver son courage. Il se sentit soulagé quand il fut au-delà des monumens funèbres qui entourent les murs de l’abbaye ; car le livre mystérieux accablait son sein comme d’un poids énorme, et ses membres si robustes tremblaient comme les feuilles du saule agitées par le vent. Il vit avec plaisir les premiers feux de l’aurore éclairer la cime du mont Cheviot ; le retour de la lumière réjouit son cœur, et il récita un Ave, Maria, aussi bien qu’il le put.

xxv.

Le soleil dorait déjà le Cheviot et la côte du Carter ; bientôt ses célestes rayons découvrirent les flots du Teviot et les tours de Branksome. Les oiseaux saluaient le jour naissant par leurs concerts ; les fleurs sortaient de leur sommeil pour s’épanouir ; la pâle violette soulevait sa tête à travers le gazon, et la rose des montagnes entr’ouvrait son sein. Plus belle que la plus belle des roses, mais plus pâle que la violette, la plus aimable des filles de la vallée de Teviot quitta sa couche que fuyait le sommeil.

xxvi.

Pourquoi la belle Marguerite se lève-t-elle de si grand matin ? Pourquoi se presse-t-elle ainsi de se parer ? Pourquoi ses jolis doigts tremblent-ils en serrant les nœuds de soie qu’elle forme à la hâte ? Pourquoi s’arrête-t-elle pour regarder derrière elle d’un air craintif en se glissant dans l’escalier dérobé ? Pourquoi caresse-t-elle le limier qui se réveille en l’entendant passer ? Et quoiqu’elle sorte seule par la poterne, pourquoi la sentinelle ne sonne-t-elle pas du cor ?

xxvii.

Marguerite s’avance d’un pas timide et tremblant, parce qu’elle craint que sa mère vigilante ne l’entende ; elle caresse le limier, de peur que ses aboiemens n’éveillent tout le château ; la sentinelle ne sonne pas du cor, parce que c’est le fils de son père nourricier qui veille sur le rempart ; et elle se glisse dans le taillis, au retour de l’aurore, pour y joindre son chevalier fidèle, le baron Henry.

xxviii.

Le chevalier et celle qu’il aime sont assis sous les rameaux d’aubépine, qui n’ont jamais prêté leur ombre à un couple plus beau. Henry était jeune, de haute taille, d’un port majestueux, redouté sur le champ de bataille, et chéri dans les châteaux ; et elle… quand un amour à demi caché et à demi avoué animait ses joues d’un vermillon plus vif ; quand un soupir prêt à s’échapper de son sein le faisait battre doucement contre le ruban de soie qui le tenait captif, quand ses yeux bleus, ombragés par les boucles de sa chevelure d’or, trahissaient son secret, où auriez-vous pu trouver la beauté sans égale digne d’être comparée à Marguerite de Branksome ?

xxix.

Et maintenant, belles dames, il me semble que vous écoutez mes chants avec une nouvelle attention. Vous rejetez en arrière votre chevelure flottante, et vous penchez vos fronts de neige. Vous croyez que je vais vous faire entendre l’histoire attendrissante de deux amans bien épris, s’entretenant dans une vallée ; vous désirez savoir comment le chevalier, brûlant du plus tendre feu, cherche à peindre son amour fidèle, et jure qu’il mourrait aux pieds de Marguerite, plutôt que de cesser de l’aimer….., pendant que Marguerite rougit, soupire, hésite entre un refus et un doux aveu, et dit qu’elle ne connaîtra jamais les liens de l’hymen, mais que, si la haine sanguinaire des partis pouvait s’éteindre, Henry de Cranstoun fixerait le choix de Marguerite de Branksome.

xxx.

Hélas ! belles dames, votre espérance sera trompée : ma harpe a perdu ses accords enchanteurs ; ce sujet aimable et léger conviendrait mal à ma vieillesse : ma tête a blanchi, ma main est sans force, mon cœur s’est éteint, et tout mon sang s’est glacé ; pourrais-je encore chanter l’amour ?

xxxi.

Sous un chêne que le temps avait couvert de mousse, le nain du baron gardait le coursier de son maître, sa lance et son heaume surmonté d’un panache. Ce nain était à peine une créature humaine, s’il faut ajouter foi aux différens bruits qui couraient sur toute la frontière. On disait que le baron, étant un jour à la chasse dans la vallée peu fréquentée de Reedsdale, il entendit une voix s’écrier : — Perdu ! perdu ! perdu ! — Au même instant, ce nain difforme, et semblable à un singe, s’élançant du milieu des genêts avec la rapidité d’une balle lancée par une raquette, fit un saut de trente-trois pieds, et tomba aux genoux de lord Cranstoun. Le baron, plus que surpris, courut cinq milles tout d’une traite pour se débarrasser d’un tel compagnon. Mais le nain faisait quatre milles pendant que lord Cranstoun en faisait un, et il arriva le premier à la porte du château.

xxxii.

L’habitude, dit-on, diminue le merveilleux. Ce nain demeura avec le baron : il mangeait peu, parlait moins, et il évitait les autres serviteurs. Souvent il élevait les bras en disant : — Perdu ! perdu ! perdu ! Il était paresseux, fantasque, acariâtre ; mais il servait fidèlement lord Cranstoun, et ses services étaient agréables à son maître, qui, un jour, sans lui, aurait été tué ou fait prisonnier.

xxxiii.

Le baron faisait un pèlerinage accompagné de ce page nain. Il avait fait vœu de présenter une offrande à la chapelle de Sainte-Marie, près du lac de Notre-Dame, et il voulait l’accomplir. Mais la dame de Branksome rassembla ses meilleurs cavaliers, et leur donna pour rendez-vous Newark-Lee. On y vit accourir John de Thirlestaine, Wat de Harden, William de Deloraine, suivis de trois cent trois lances. La plaine de Douglas, la rivière d’Yarrow, virent caracoler leurs chevaux et briller leurs armures. Ils arrivèrent avant le jour au lac de Notre-Dame : mais le baron était parti, la chapelle était déserte ; ils la brûlèrent de rage, et maudirent le page de lord Cranstoun.

xxxiv.

Et maintenant, sous un vieux chêne, dans le taillis de Branksome, le coursier du baron dresse l’oreille, comme s’il entendait quelque bruit lointain. Le nain agite ses longs bras, et il fait signe aux amans de se séparer et de fuir. Ce n’était plus le moment de prononcer des vœux de constance ni de soupirer. La belle Marguerite se retire à travers les coudriers, comme le ramier timide ; Henry saute légèrement sur son coursier, pendant que le nain lui tient l’étrier, et il s’avance du côté de l’est à travers les touffes d’aubépine.


Tandis qu’il chantait ainsi son récit trop long peut-être, la voix faillit au ménestrel. Un page s’en aperçut, et mit dans la main flétrie du vieillard une coupe pleine de l’excellent vin des coteaux brûlés de Velez. Le ménestrel prit le vase d’argent, le souleva, et versa une larme de reconnaissance, en priant Dieu de bénir long-temps la duchesse et tous ceux qui daignaient encourager un fils de l’harmonie. Les jeunes filles sourirent en voyant avec quelle volupté le vieillard vida lentement la coupe jusqu’à la dernière goutte. Enhardi par ce jus précieux, il les regarde lui-même en souriant. Le nectar échauffe son cœur, et fait circuler plus rapidement son sang dans ses veines. Le ménestrel prélude d’un ton plus vif et plus léger, et continue son histoire.

CHANT TROISIÈME.

i.

Ai-je dit que mes membres étaient affaiblis par l’âge ? Ai-je dit que mon sang était glacé dans mes veines ; que le feu qui m’animait était éteint ; que mon pauvre cœur avait cessé de battre ? Ai-je dit que je ne pouvais plus chanter l’amour ? Ah ! comment ai-je pu être ingrat envers le Dieu qui inspira toujours le ménestrel et charma ses rêveries poétiques ? Comment ai-je pu prononcer le nom de l’amour sans renaître à l’enthousiasme ?

  1. Le jeu mauresque du Djerid. — Ed.