Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/107

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mordant peut-il y avoir là où pas un nom n’est égratigné, sauf le mien ? Pourquoi ne pense-t-on pas à ce que Jérôme répète tant de fois : qu’une discussion générale des vices n’a rien d’injurieux pour personne ? Si quelqu’un s’en choque, il n’a pas à s’en prendre à l’auteur, mais à demander, s’il veut, réparation à lui-même, car il se trahit en se déclarant personnellement visé par un langage qui, s’adressant à tout le monde, ne s’adresse qu’à celui qui veut se l’appliquer à lui-même. Ne vois-tu pas que dans tout l’ouvrage je me suis si bien gardé de faire des personnalités que je n’ai même pas voulu désigner avec trop d’âcreté une nation quelconque ? C’est ainsi que quand je note l’amour-propre particulier à chaque nation… j’assigne aux Espagnols la gloire militaire, aux Italiens la littérature et l’éloquence, aux Anglais la bonne chère et la beauté, et de même aux autres des qualités de cette sorte que chaque nation puisse avouer pour siennes sans déplaisir ou du moins entendre en riant. De plus, quand, conformément aux nécessités de mon sujet, je passe en revue toutes les conditions des mortels, et me mets à relever les défauts de chacune d’elles, je le demande, s’est-il trouvé quelque part sous ma plume un mot dégoûtant ou venimeux ? Me voit-on ouvrir la sentine des vices ? remuer la Camarine secrète de la vie humaine ? Qui ne sait tout ce qu’on aurait pu dire contre les mauvais pontifes, contre les évêques et les prêtres malhonnêtes, contre les princes vicieux, bref contre n’importe quel ordre, si, à l’exemple de Juvénal, je n’avais pas eu honte de confier à l’écriture ce que beaucoup de gens n’ont pas honte de faire ! Nous n’avons fait que relever certains côtés plaisants et ridicules des êtres plutôt que leurs côtés hideux, et encore les avons-nous relevés de façon à donner plus d’une fois en passant des conseils sur les devoirs les plus importants, qu’il importe grandement qu’on connaisse.


XII. — Je sais que tu n’as pas le temps de descendre à des bagatelles de cette sorte ; mais, pourtant, si jamais tu en as le loisir, aie soin d’examiner avec un peu d’attention ces bouffonnes plaisanteries de la Folie : tu te rendras compte sans nul doute qu’elles cadrent beaucoup mieux avec les dogmes des Évangélistes et des Apôtres que les dissertations de certains auteurs qu’on trouve magnifiques et dignes des grands maîtres. Tu n’es pas sans reconnaître toi-même dans ta lettre que ce livre