Page:Ésope - Fables - Émile Chambry.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Babrius.

Il est vraisemblable que le recueil de Nicostrate fut utilisé par Babrius, dont on place l’existence au commencement du IIIe siècle. Comme Suidas rapporte que Babrius écrivit dix livres de fables, on a supposé que ces livres correspondaient aux dix livres de Nicostrate. Il est peu vraisemblable qu’un poète comme Babrius se soit borné à versifier l’œuvre d’un autre auteur, et qu’il n’ait pas étendu sa curiosité à toute la production ésopique. D’ailleurs Avien parle de deux volumes de fables de Babrius. Son témoignage et la division en deux parties, marquée dans le manuscrit du mont Athos, sont des preuves suffisantes de l’erreur de Suidas.

On connaît les sujets d’environ 140 fables de Babrius. Or Denis a remarqué que sur ces 140 fables et les 92 de Phèdre, il n’y en a guère que 14 qui se ressemblent pour le fond, et que ce sont en général les mieux conçues de Phèdre qui manquent à Babrius et réciproquement. Il semble s’en étonner ; pourtant la raison en paraît simple. Si Babrius a laissé de côté des fables comme Les Grenouilles qui demandent un roi, Le Cerf et les Bœufs, L’Aigle, la Chatte et la Laie, et quelques autres, c’est qu’il les trouvait supérieurement traitées dans Phèdre, et qu’il n’était pas d’humeur à affronter la comparaison, même dans une autre langue, d’autant plus qu’il était sans doute latin lui-même et dut publier son œuvre à Rome même. Si de son côté Phèdre n’avait pas osé reprendre Le Rat de Ville et le Rat des Champs, si pittoresquement mis en scène par Horace, c’est qu’il se sentait incapable d’égaler le chef-d’œuvre de son devancier ; et, s’il a négligé d’autres sujets, très connus déjà, c’est qu’il a moins tenu à être complet qu’à briller dans les sujets de son choix. Beaucoup de sujets traités par Phèdre et Babrius ne figurent pas dans nos recueils. C’est que sans doute nos recueils ne sont qu’une partie de ceux qui circulaient alors. Il était d’ailleurs difficile de recueillir entièrement cette masse mouvante de récits, d’anecdotes, de bons mots qui se transmettaient de bouche en bouche, avec des variantes dues à la verve de chaque narrateur, avec les additions et les créations nouvelles dont l’imagination populaire grossissait le nombre tous les jours. Chaque faiseur de recueil en ramassait ce qu’il pouvait ; et il dut se former ainsi quantité de collections partielles qui circulaient en même temps dans