Page:Ésope - Fables - Émile Chambry.djvu/43

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s’estimer heureux d’obtenir la bienveillance des dieux, quand on met soi-même la main à l’œuvre ; » à quoi un moine ou un scribe pieux a ajouté incorrectement, sans que sa phrase se rattache grammaticalement au verbe on doit s’estimer heureux : « ou si l’on se néglige, être sauvé par les démons. » Si à ces moralités l’on ajoute le mot chrétien παραμονάριον, employé dans la fable 181 Le Chien, le Coq et le Renard par les manuscrits de la classe la plus récente (C), au lieu du mot classique θυμωρόν que portent les manuscrits L, c’est à peu près tout ce qu’on trouve de chrétien dans nos manuscrits les plus récents, C et B ; les autres P et L ne portent aucune trace d’idée chrétienne.


Les manuscrits de la 1re classe (P).

Ce point établi, revenons à chacune de nos grandes recensions. La plus ancienne est celle de P, notre 1re classe. Hausrath[1] affirme qu’elle est un agrégat de vieilles fables extraites d’histoires populaires d’Ésope et de fables tirées des manuels en usage dans les écoles de rhétorique. Mais d’abord est-il vrai qu’en dehors de la Vie d’Ésope faussement attribuée à Planude, il ait circulé des biographies du fabuliste avec les fables qu’il aurait eu l’occasion de réciter ? C’est l’opinion d’Olto Crusius, adoptée par Hausrath. Sur quoi repose-t-elle ? Nous avons vu qu’il était de mode au temps d’Aristophane de rapporter toutes les fables à Ésope, et même de les rattacher à quelque circonstance de sa vie. Cette mode durait encore au temps de Phèdre, nous l’avons constaté plus haut. Mais conclure de là qu’il existait des biographies d’Ésope d’où l’on tirait toutes ces fables me paraît bien hasardeux. Il serait plus juste, ce me semble, de conclure qu’on fit de toutes ces fables isolées des biographies suivies, si nous trouvions d’ailleurs quelque trace de ces biographies. Mais le scholiaste d’Aristophane dit simplement : « On rapportait toutes les fables à Ésope » ; il ne connaît certainement pas ces prétendues sources ; autrement il en aurait parlé. D’ailleurs la seule biographie importante que l’antiquité nous ait laissée, le roman d’Ésope, ne contient que 7 fables, dont 4 seulement se retrouvent dans nos manuscrits, et encore, sur ces 4 fables, une seule est à sa place, celle

  1. Das Problem der aesopischen Fabel, Neue Jahrbücher für dus klassische Altertum, 1898, 1 Bd.