Page:Ésope - Fables - Émile Chambry.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des Loups et des Brebis ; les trois autres sont mal rattachées au texte et peu en rapport avec la situation ; elles semblent avoir été insérées par un maladroit, qui ne voulait pas laisser mourir le fabuliste, sans qu’il eût donné quelque échantillon de son talent. Il faut donc chercher ailleurs que dans ces biographies problématiques la source de nos fables. Viennent-elles pour une part des manuels des rhéteurs, comme le croit Hausrath ? Quant à moi, je ne vois qu’une fable qu’on puisse sûrement y rapporter : c’est L’Homme qui a trouvé un lion d’or ; mais cet insipide exercice de rhétorique ne se rencontre que dans un seul manuscrit de la 1re classe, Pb, et dans un manuscrit mélangé. Les fables de rhéteurs connus ont été conservées dans leurs œuvres, et la forme en est fort différente de celle de nos manuscrits ; il en est de même des recueils d’Aphthonios et de Syntipas qui ont fait œuvre de fabulistes ; une ou deux fables d’Aphthonios se sont égarées dans un ou deux de nos cent manuscrits, de Syntipas aucune. Je ne voudrais pas nier pourtant qu’il ne s’y fût glissé quelques fables dues il la plume d’un rhéteur inconnu ; mais c’est impossible à prouver.

J’ajoute que je crois le fond de notre premier recueil antérieur aux exercices de rhétorique en faveur aux premiers siècles avant et après J.-C. On a dit que le recueil de Démétrios de Phalère était perdu. Est-il vraisemblable que ce recueil célèbre n’ait pas survécu en tout ou en partie dans une au moins de nos collections ? Un grand nombre des fables de P, dans leur développement un peu sec, mais si juste et si précis, sont si bien dans la tradition du génie grec à l’époque classique, qu’il me semble impossible d’en placer la rédaction, je ne dis pas au IXe siècle, mais au Ve ou au VIe mêmes. Comparons des rédactions comme celles de L’Aigle et du Renard, de L’Aigle et de l’Escarbot et de 50 autres avec une fable véritablement byzantine, celle par exemple de Nicéphore Basilacas (n° 263 du recueil de Halm), Le Lion et le Taureau[1]. Entre le style fleuri, affecté, prétentieux de

  1. En voici la traduction : « Un jour un lion voit un taureau, et il a un vif désir de nourriture ; mais il craint les attaques de ses cornes, et, tout en ayant trouvé le remède, il ne soigne pas sa maladie. D’un côté ; il est vaincu par la faim qui l’engage à se mesurer avec le taureau ; mais la grandeur des cornes l’épouvante. A la fin il cède à son appétit, et, feignant l’amitié pour le tromper, il le flatte ; car, quand le mal est devant nous, le courage même a peur, et, s’il voit qu’une victoire par la violence n’est pas sans danger, il ruse sournoisement.
    « Pour moi, dit-il, je loue ta force, je suis émerveillé de ta beauté, à voir la tête que tu as, la forme qui est la tienne, la grandeur de tes pieds, la grandeur de tes sabots ; mais quel fardeau tu portes sur la tête ! Enlève donc cet enchevêtrement si inutile : ce sera pour ta tête une parure, la délivrance d’un poids, ou un changement en mieux. D’ailleurs qu’as-tu besoin de cornes, la paix régnant avec les lions ? » Le taureau se laisse prendre à ces paroles, et, rejetant la force de ses armes, il fut dès lors pour le lion une proie facile à prendre et un dîner sans danger.
    « C’est ainsi qu’à écouter ses ennemis on s’attire, avec la tromperie, le danger. »