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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Fontainebleau ; puis on se demande : Avez-vous lu le livre de M. de Viel-Castel, le Faubourg Saint-Germain ? Oui, nous l’avons lu et nous en disons cela :

L’empressement que met le faubourg Saint-Germain à lire un roman fait contre lui, peint mieux sa faiblesse et sa puérilité que ne le fait tout le livre lui-même. Vous chercheriez en vain le faubourg Saint-Germain dans Gérard de Stolberg ; vous y trouverez le monde, le monde tel qu’il est partout, mais rien de caractéristique, rien d’exceptionnel. Ce sont des femmes médisantes et des jeunes gens moqueurs ; il n’est pas besoin de traverser la rivière pour voir cette société-là. Quand on donne un titre absolu à un livre, on se crée des lecteurs exigeants. En ouvrant un roman qui se nomme le Faubourg Saint-Germain, nous nous étions attendu à une peinture exclusive de ce monde d’élite ; nous pensions que le sujet du roman serait puisé au cœur même de ce monde ; que le héros serait un de ses enfants, une victime de ses préjugés, de ses scrupules, de ses colères ; nous nous figurions un jeune homme plein d’esprit, d’imagination, ambitieux, passionné, et condamné à la nullité la plus oisive par les exigences de son nom, par les répugnances de son parti ; là, nous aurions vu une singularité de notre époque, une particularité de la caste qu’on voulait peindre. Jadis, on ne pouvait faire son chemin quand on n’était rien ; aujourd’hui, on ne parvient à rien parce qu’on est trop ; un jeune homme qui par sa naissance pourrait prétendre à tout, par le bouleversement de notre politique, est réduit à ne rien faire ; il se verra dépassé chaque jour, et dans tous les états, par ses inférieurs ; ses inférieurs en naissance, cela peut encore se supporter ; mais par ses inférieurs en capacité, cela est plus cruel. Le fils de son intendant viendra le voir avec des épaulettes de colonel, et, malgré lui, ces épaulettes lui feront envie ; son ancien professeur, l’obligé de sa famille, ne viendra pas le voir du tout, parce qu’il est pair de France et qu’il tient son rang… et lui songera avec tristesse que sa place était à la Chambre des pairs, mais que le devoir l’a forcé à donner sa démission. Voilà donc un homme intelligent, courageux, instruit, actif, déshérité de toute occupation. Que fera-t-il ? Il voyagera pendant trois ans, quatre ans, six ans,