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LETTRES PARISIENNES (1837).

puis après il reviendra dans sa patrie, ennuyé, découragé. Plus il aura d’esprit, et plus son inutilité lui pèsera. S’il était libre et maître de sa fortune, il pourrait fonder un grand établissement dans ses terres, se faire le roi, c’est-à-dire le bienfaiteur de la commune, par les sages améliorations qu’il apporterait dans l’agriculture, dans l’industrie du pays ; mais sa fortune ne lui appartient pas, ses parents en disposent, et ses parents ne le comprennent point ; ils ont de petites idées incompatibles avec les siennes, ils ont cette dignité taquine et mesquine dont on n’obtient aucune concession ; bouderie stérile et paresseuse qui n’a rien de commun avec la véritable fierté ; qui d’un noble ressentiment fait une susceptibilité misérable, et qui donne au regret du bon droit méconnu toutes les allures de l’envie. Que fera-t-il ? Il usera, il perdra toutes les puissances de sa pensée, toutes les volontés de son caractère dans une grande et orageuse passion ; il faut bien qu’il aime, cet homme-là, il n’a rien à faire ; il ne peut être un héros de bataille, il se fera héros de roman. Mais, comme l’amour ne sera pour lui qu’un désespoir, son amour sera terrible ; plein de caprices, d’inconséquences, il aimera une femme avec délire, de toute son âme et de toute son imagination inoccupée… et puis son âme orgueilleuse se révoltera, il en voudra à cette faible créature d’absorber ainsi tous ses jours ; alors il lui sera infidèle pour se prouver à lui-même son indépendance ; et ses infidélités le jetteront dans une complication d’intrigues épouvantables, dont il résultera toutes sortes de malheurs, — et le lecteur sera satisfait. Quelqu’un disait, avec raison, que le Lovelace de cette époque serait un légitimiste désœuvré. Ce qu’il y a de certain, c’est que, pour qu’un héros de roman paraisse intéressant, il faut qu’il soit autre chose qu’un grand fainéant qui ne songe qu’à plaire aux femmes ; or, comme il est indispensable, pour qu’il y ait un roman, que le héros aime une femme, c’est un grand bonheur que de tomber sur un malheureux qui n’a pas autre chose à faire que d’aimer, et dont le premier chagrin est de n’avoir eu à choisir que cet état-là dans le monde. Voilà, ce nous semble, un malheur qui peignait bien le faubourg Saint-Germain ; un fils de pair, descendant d’une illustre famille, réduit, par les idées qui régissent son