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LE VICOMTE DE LAUNAY.

gâteaux. » Et vous donnez vingt ou quarante sous à l’enfant, selon le hasard de votre monnaie, et l’enfant vous remercie en baissant les yeux d’un air sombre et confus ; mais à peine avez-vous le dos tourné qu’il relève la tête avec fierté, qu’il ouvre de grands yeux brillants de plaisir, qu’il gambade comme un chevreuil, et qu’il s’en va montrer sa pièce blanche à tous les gens de la maison. « C’est le monsieur de l’entre-sol qui m’a donné ça pour acheter des gâteaux, » dit-il ; et vous avez acquis en un instant une superbe réputation dans le quartier, et, dorénavant, vous ne pourrez plus faire un pas dans la rue sans entendre de petites voix intéressées vous dire poliment : « Bonjour, monsieur. » Et vous qui aurez oublié votre générosité passagère, vous ferez de très-belles réflexions sur la bonne éducation que reçoivent les enfants du peuple ; et vous ne devinerez pas la part immense que vous avez dans cette belle civilisation.

Aujourd’hui toutes les petites filles sont heureuses, elles ont toutes des robes neuves ; il est si facile de faire une robe neuve à une petite fille ! Le moindre vieux chiffon suffit pour cela ; les rebuts maternels sont la parure de l’enfance ; et comptez-vous pour rien la joie d’une pauvre petite fille qui se croit une robe neuve ! Comme elle se regarde dans la glace avec orgueil, comme elle se tient droite ! quelle importance elle acquiert à ses propres yeux ! comme elle aime ce jour mémorable qui amène pour elle ce triomphe, ce jour dont la solennité a entraîné sa mère à lui faire ce beau présent ! Une robe neuve, pour elle c’est de la joie ; ce n’est pas tout, on lui a donné un vieux fichu de soie, c’est du délire, et de vieux gants, c’est de l’orgueil ; les gants sont une dignité chez les enfants du peuple ; c’est le luxe par excellence, c’est un symptôme d’oisiveté ! Voilà donc une jeune pensée heureuse pour tout un jour : n’est-ce rien ? Faut-il dédaigner de tels plaisirs ? Hélas ! le bonheur n’est pas autre chose que cela ; une suite de petites joies, de niais contentements, de satisfactions imbéciles ; chacun les prend selon ses goûts et son caractère ; mais le bonheur est là, il ne faut pas le chercher ailleurs. Un regard, un mot, un sourire pour ceux qui aiment ; un chapeau bien fait pour celle-ci, un bouquet de violettes pour celle-là ; un bon dîner pour les