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LETTRES PARISIENNES (1837).

uns, une bonne rime pour les autres ; une promenade en bateau, des fraises nouvelles, un livre amusant, une jolie romance, du feu en hiver, de la glace en été, du vin passable pour le pauvre, un cheval anglais pour le riche : tels sont les détails, les ingrédients dont se compose le bonheur. Depuis des siècles on se figure que le bonheur est une grosse belle pierre précieuse qu’il est impossible de trouver, que l’on cherche, mais sans espérance. Point du tout ; le bonheur, c’est une mosaïque composée de mille petites pierres qui, séparément et par elles-mêmes, ont peu de valeur, mais qui, réunies avec art, forment un dessin gracieux. Faites monter cette mosaïque avec soin, et vous aurez une jolie parure ; sachez comprendre avec intelligence les jouissances passagères que le hasard vous jette, que votre caractère vous donne ou que le ciel vous envoie, et vous aurez une existence agréable. Pourquoi toujours regarder à l’horizon, quand il y a de si belles roses dans le jardin que l’on habite ? Eh mon Dieu ! ce qui empêche de trouver le bonheur, c’est peut-être de le chercher.

Laissez donc le peuple s’amuser sans trouble, et ne glacez pas ses plaisirs par la froideur de vos dédains. Nous qui n’admettons aucune prétention, pas même celle de l’ennui, nous nous promettons bien d’aller observer ce soir la joie populaire ; et, voyez comme nous avons l’esprit mal fait ! nous ne braverions jamais la foule de l’hôtel de ville, nous serions incapable d’aller demain à la grande fête qui y sera donnée, et pourtant aujourd’hui nous irons tranquillement sur la place Louis XV contempler le feu d’artifice. C’est que, dans cette saison, les plaisirs ne sont supportables qu’avec l’air et la liberté. Nous irons aussi écouter le concert monstre aux Tuileries ; nous regarderons le palais Bourbon illuminé, nous verrons l’arc de triomphe illuminé, et cette grande avenue des Champs-Élysées si belle avec ses guirlandes de feu. Nous savons d’avance que nous aurons la niaiserie de trouver ce coup d’œil superbe, et que nous passerons une heure à regarder toutes ces lumières réfléchies dans les flots de la Seine, qui les agite sans les emporter. Nous nous amuserons, comme on s’amuse avec une imagination sincère, d’un beau spectacle, quel que soit l’événement qui vienne l’offrir ; nous nous amuserons comme on