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LETTRES PARISIENNES (1837).

espérions éviter, enfermé dans la plus petite chambre de la maison ; et la poussière vient sécher l’encre sous notre plume, à mesure que nous écrivons. Cela nous rappelle ce que nous racontait un jour M. Italieski, vieillard plein de jeunesse et d’esprit, ministre de Russie auprès de la cour du saint-père : « J’étais à Naples, disait-il, lors de la fameuse éruption du Vésuve ; la pluie de feu tombait si abondamment, que, dans mon cabinet, la cendre venait sécher les mots à mesure que je les formais, et qu’il me fallait toutes les cinq minutes secouer le papier sur lequel j’écrivais afin de pouvoir continuer mes dépêches. » Heureux ambassadeur, tu avais du moins pour ennemi de tes pensées la cendre du Vésuve, et nous n’avons que la poussière des boulevards !

Grâce à ce grand trouble, toutes sortes de romans enfouis dans l’ombre ont revu la lumière. Arrivés les premiers, ils sont étouffés depuis deux mois par les nouveaux venus, et nous les avions oubliés.

Le bal donné à l’Opéra, par la garde nationale, a commencé sur le boulevard et en plein jour ; c’était un amusant spectacle que celui de la moitié de Paris à pied regardant l’autre moitié de Paris en fiacre. Sans doute ces gardes nationaux et leurs épouses, exposés en plein soleil avec leur uniforme et leur parure de bal à trois heures sur le boulevard, étaient assez étranges. Ces convives mangeant dans leur fiacre, en attendant la fête, étaient plaisants, il faut en convenir, mais ils n’étaient pas seuls ridicules ; et les jeunes élégants qui les admiraient avec une si bruyante malice, en leur envoyant des bouffées de tabac pour encens, qui venaient effrontément soulever les stores de leur modeste voiture pour les regarder sans pitié, nous ont paru aussi fort dignes d’amuser les observateurs. Cela nous prouve ce que nous avons déjà dit bien des fois, que l’élégance n’est pas toujours la distinction, et que les merveilleux n’ont aucun rapport avec les gens comme il faut. Ce grand bal offrait encore un phénomène singulier : tout ce qu’on y voyait entrer était affreux, tout ce qu’on y trouvait était admirable. Les femmes qui semblaient laides et communes en descendant de voiture, dans leur loge paraissaient belles et richement parées. Deux femmes de la banlieue attiraient partout les regards ;