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LE VICOMTE DE LAUNAY.

LETTRE TRENTE-SIXIÈME.

On loue les livres, on ne les achète pas. — Les femmes qui lisent.
16 décembre 1837.

Les voilà revenus les beaux jours littéraires, si toutefois il est vrai que la littérature ait de beaux jours. Nous sommes peut-être dans l’unique semaine de l’année où les conversations commencent par ces mots : « Avez-vous lu tel livre ? Pouvez-vous me prêter tel roman ? » Depuis samedi, nous avons entendu souvent cette phrase : « Avez-vous vu le Livre du peuple ? — Non, il n’a pas encore paru, reprenait-on. — Si vraiment, il a paru. — Je ne le crois pas ; il est annoncé dans tous les journaux, mais on ne le vend pas encore. — Moi, j’ai l’honneur de vous dire qu’on le vend et qu’il a paru ; ce qui me le ferait croire, c’est que je l’ai acheté et que je l’ai lu. — Eh ! dites-le donc tout de suite ; quel est votre avis ? — J’attendrai le vôtre. — Avez-vous fini Latréaumont ? — Pas encore ; je vous le donnerai demain. Le second volume est très-intéressant ; mais mon pauvre Louis XVI, comme on le traite ! Louis XVI, grossier et méchant ! C’est un point de vue nouveau. — C’est historique. Que voulez-vous ? l’histoire est comme la science, elle fait des découvertes chaque jour ; les historiens sont comme les savants, le dernier seul a raison ; son talent consiste à prouver que ses devanciers n’avaient pas le sens commun. L’histoire que nos enfants apprennent n’a plus aucun rapport avec celle qu’on nous a enseignée ; nous n’avons pas les mêmes héros. Ceux que nous estimons, nos enfants les méprisent ; ils ont découvert depuis nous des choses affreuses sur ces gens-là ; mais, en compensation, on leur a révélé toutes sortes de belles actions commises par de grands scélérats, et ils retrouvent pour ceux-ci l’admiration qu’on leur apprend à refuser aux autres. — À propos d’histoire, vous lirez avec intérêt l’Histoire des classes ouvrières, par M. Granier de Cassagnac. — Moi ! vous savez bien que je ne lis que des romans. — Je sais, madame, que vous n’aimez pas les ouvrages lourds et ennuyeux, c’est pourquoi je vous conseille de lire celui-ci. On peut être érudit sans être pédant ;