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LE VICOMTE DE LAUNAY.

faux dieux ! » elle dit : Ou êtes eu au ieux ! Comme ce mouvement d’indignation est très-beau et que le geste qu’elle fait en renversant les petits dieux l’explique, on a applaudi, mais on n’a certainement pas entendu. Mademoiselle Noblet a aussi un mot à effet : Aquila et Junia veulent assassiner César ; ils s’écrient : « Où nous cacherons-nous pour le tuer  ? » Messaline paraît et dit : Chez moi ! La scène est belle, et le mot la termine d’une manière terrible ; mais ce mot fatal s’est changé, dans la bouche de mademoiselle Noblet, en un petit mot anglais très-gracieux. Au lieu de dire : Chez moi, elle a dit : Tchê… mu, juha. Le moyen d’être épouvanté par un si gentil langage ! Mademoiselle Ida a de même une prononciation qui lui est particulière : depuis dix ans, mademoiselle Ida est enrhumée ; cette voix pleureuse était assez agréable dans Angèle, où mademoiselle Ida a fait preuve d’un véritable talent. Dans le drame moderne, tous les défauts de prononciation sont permis, c’est de la couleur locale : les femmes les plus élégantes, de nos jours, ont en général un organe commun, une prononciation vulgaire et vicieuse ; aussi, lorsque Angèle disait à sa mère : Ah ! baban, je suis bien badeureuse ! c’était joli, c’était naïf : cela s’appelait avoir des larmes dans la voix ; mais dans la tragédie, mais quand il faut parler en vers, et parler franchement, cette naïveté perd beaucoup de son charme. C’est pourquoi mademoiselle Ida a manqué les plus grands effets de son rôle. Exemple : Stella raconte à Junia la résurrection de Lazare ; Junia s’écrie : « C’était un prodige ! » Stella l’interrompt et dit : « Un miracle, ma mère ! » Personne n’a entendu le mot ; ah ! c’est que mademoiselle Ida l’a prononcé ainsi : Un biracle, ba bère ! Cela n’est pas du tout tragique. Quant à la pompe inouïe dont parlent les journaux, et que le Théâtre-Français a déployée dans la mise en scène de ce drame, nous ne l’avons trouvée que dans les décorations, qui sont réellement fort belles. Le luxe est vraiment misérable ; le char de triomphe, dont on nous avait souvent parlé, n’est traîné ni par des chevaux ni par les Heures, comme on l’avait d’abord annoncé : il est tiré par deux gros comparses de Mecklembourg, ce qui le fait beaucoup ressembler à une petite voiture de bains à domicile, et cela n’est pas du tout tragique. Le