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LETTRES PARISIENNES (1838).

souper splendide, dont les convives sont couchés dans une grande chambre fort sombre, enfumée de trois torches funèbres, a l’air d’une ambulance, et rappelle assez la salle des mairies changée en hôpital pendant le temps du choléra. Le somptueux banquet est un repas plaisamment frugal qui n’effaroucherait point le patriotique estomac du Constitutionnel. Menu : une assiette d’oranges et deux assiettes de pommes d’api, le tout pompeusement servi sur un petit guéridon. Hors-d’œuvre : un poëte très-maigre, récitant des vers d’une voix monotone ; cela ressemblait assez à une lecture de réfectoire, et ce n’était pas du tout tragique. On vendait à la porte une médaille en plomb frappée en mémoire du triomphe littéraire de Caligula. Ceci n’est pas tragique non plus ; mais on avouera que c’est du moins fort comique. La médaille a obtenu beaucoup de succès et un brevet d’invention.




ANNÉE 1838.


LETTRE PREMIÈRE.

Le temps perdu. — Les bals. — Le bal des modèles. — Le géant.
Le danger des éloges.
6 janvier 1838.

L’année n’a que cinq jours à peine, et la voilà déjà vieille pour nous ; le temps paraît si long quand on l’emploie : il n’y a de rapide que le temps perdu. Si vous restez au coin du feu trois jours à rêver sans rien faire, ces trois jours passeront comme une heure ; si au contraire vous les consacrez à vos intérêts ou à vos plaisirs, si vous allez le matin à la Chambre des pairs, à la Chambre des députés ou au Palais ; si vous allez le soir au spectacle, au bal ou à des réunions parlementaires, vous faites de ces trois jours trois années : chaque impression, chaque pensée compte pour une heure de votre vie ; vos idées se sont renouvelées tant de fois depuis le premier jour, vous avez écouté tant de paroles contradictoires, vous avez étudié