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LETTRES PARISIENNES (1838).

caravane qui venait d’accomplir le voyage que vous veniez entreprendre, et qui s’en allait à son tour contempler les peintures de la salle de bal. Les voyageurs échangeaient quelques paroles en passant : « C’est bien beau ; si vous allez là-bas, n’oubliez pas de regarder telle chose. — Avez-vous vu la cheminée du salon bleu ? avez-vous remarqué les arabesques du salon blanc ? » Et ce n’était point un peuple de badauds qui étudiaient, le nez en l’air, ce qu’il peut y avoir d’or sur un plafond : c’était un public d’amateurs éclairés qui admiraient et même critiquaient des œuvres d’art commandées avec goût et exécutées avec conscience. Enfin, pour vous donner une idée des magnificences artistiques de cette fête, Strauss, Strauss lui-même conduisait l’orchestre, et il était à peine écouté… Ce luxe d’harmonie est passé presque inaperçu. Quelques dilettanti seulement se sont écriés : « C’est lui ! » car on ne peut tromper l’oreille d’un dilettante. Il y avait là aussi quelques philosophes (nous n’entendons point désigner, par cette expression, les hommes d’État qui s’y montraient en foule) ; il y avait là des philosophes, disons-nous, que ces splendeurs faisaient rêver, qui cherchaient dans leur pensée d’où venaient tant de merveilles, qui se demandaient le secret de cette incontestable puissance : une devise, écrite en lettres gothiques dans les mille dessins des belles portes du salon, a répondu à cette question. Cette devise, la voici : Industrie, Concorde, Intégrité. En effet, ces trois mots disent tout. L’intégrité, c’est le crédit ; la concorde, c’est la force ; l’industrie, c’est la vie ; or n’est-ce pas de ces trois choses-là que se compose le pouvoir ? et cela ne vous explique-t-il pas pourquoi la maison Rothschild est représentée par un millionnaire près de tous les rois, dans tous les pays du monde ?

Allons, nous sommes content de nous : nous venons de faire une action courageuse. Vanter des millionnaires, c’est généreux par le temps qui court. Ces pauvres riches sont si mal vus sous le règne des envieux !

Ce qui nous plaît dans ces belles demeures, c’est l’obligation où sont toutes les femmes de paraître à leur avantage, c’est-à-dire avec des robes fraîches, des coiffures nouvelles et des gants neufs. Une robe reteinte, qui serait si jolie dans un bal