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LE VICOMTE DE LAUNAY.

c’était beaucoup. Le goût qui avait présidé à cet échafaudage était plus que suspect ; mais cette guirlande était d’un rose charmant, le reflet en était très-avantageux : cette femme était nu-bras et nu-cou, chose inconvenante certes ; ce n’était pas une femme comme il faut, elle tenait même à ce qu’on ne pût jamais s’y méprendre, cet éclat trahissait une parure commise avec préméditation ; mais cette parure faisait de l’effet, et auprès de cette femme indignement mal mise, la toilette des autres femmes paraissait pauvre et mesquine ; et les hommes disaient : « Elle est atrocement fagotée, mais elle a ben de l’éclat. » Et ils passaient toute la soirée à la lorgner, et ils ne s’occupaient que d’elle ; et dès qu’un entr’acte leur permettait de s’éloigner, ils quittaient ben vite la femme si comme il faut, si distinguée, avec laquelle ils étaient venus, pour aller demander dans le foyer le nom de celle dont la parure était si extravagante, et qui leur paraissait si jolie. Or la femme comme il faut, restant seule, se livrait à des réflexions philosophiques, et de ces diverses réflexions de diverses femmes comme il faut il est résulté ceci : un luxe de toilette qui va jusqu’au délire, des modes universelles qui ne connaissent point de lois, que rien n’arrête, ni les temps, ni la distance, ni les préjugés ; qui empruntent une idée à tous les pays, à toutes les religions, à toutes les opinions, à tous les âges. On apprendrait l’histoire de France, l’histoire d’Angleterre et la géographie, rien qu’en lisant le Journal des modes : Chapeaux à la Marie Stuart, à la Henri IV, coiffure à la Mancini, nœuds à la Fontanges, résilles espagnoles, turbans égyptiens… Tous les souvenirs sont évoqués, tous les rangs sont confondus, toutes les croyances sont mêlées ; une duchesse porte des bonnets à la Charlotte Corday, une méthodiste porte des turbans à la Juive ; ce qu’il faut, c’est paraître belle, n’importe comment ; on ne demande plus, comme autrefois, si une chose est bien ou mal portée, on choisit ce qui sied ; d’ailleurs on a remarqué que ce que l’on appelait les choses mal portées étaient toujours les plus jolies. On ne prononce donc plus aujourd’hui que pour les jeunes personnes ce mot charmant : « une élégante simplicité. » Les modes sont royales, et comme les mœurs sont toujours très-bourgeoises, les dépenses n’ont plus de bornes. En effet,