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LETTRES PARISIENNES (1838).

nos mères portaient jadis de magnifiques étoffes ; leurs fourreaux de soie coûtaient un prix exorbitant, leurs falbalas de dentelles auraient suffi à doter une fermière, leur robe de noce valait la rançon d’un prisonnier ; sans doute, mais aussi quel respect nos mères avaient pour de si rares merveilles ! que leur démarche était calme et prudente ! quelle décence et quelle économie dans leur grave maintien ! on marchait avec précaution, on riait avec ménagement, on embrassait ses enfants avec la plus grande circonspection ; bien mieux, on ne les embrassait plus passé une certaine heure. Il y avait de certaines robes si belles, si imposantes, si jalouses, qu’elles ne permettaient aucune affection. Aujourd’hui toutes les robes sont indulgentes, les plus riches étoffes sont traitées sans égard ; on se promène dans la rue en traînant une robe de velours vert, on joue avec son enfant malgré deux étages de dentelles, et l’enfant qui vient de manger du chocolat ou des confitures imprime sa petite main chérie sur le satin groseille et sur le pékin bleu. Tout jeune on le dresse au massacre, et lui-même a déjà de beaux ornements à déchirer, il plume en jouant son petit manchon dont la fourrure est précieuse, il agrandit avec ses ongles les points à jour de son fichu ; et comme son panache flottant le divertit beaucoup, il prend cet ornement pour un joujou et il vient vous montrer avec le plus charmant sourire qu’il a cassé lui-même toutes les plumes de son chapeau… Ainsi, les femmes d’aujourd’hui ont ramené les modes de nos mères sans ramener les grands airs et l’étiquette qui rendaient ces modes raisonnables ; on s’habille en princesse pour sortir à pied, on se couvre de satin et d’hermine pour être bonne d’enfant et femme de ménage, et l’on est forcé de renouveler tous les ans les robes que l’on portait autrefois toute la vie. C’est pourquoi les maris et tous ceux qui leur ressemblent poussent, à cette époque de l’année, des gémissements qui font pitié. Comme ils vantent la mousseline de laine ! avec quelle adresse ils vous disent, en parlant d’une étoffe ruineuse : « C’est fort beau, cela, mais cela ne sied pas, le velours grossit ; moi, je n’aime que les gazes légères, la mousseline blanche ; le blanc, c’est si joli ! » Les pauvres femmes disent : « Il fait bien froid pour porter de la mousseline ; d’ailleurs, avec les