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LE VICOMTE DE LAUNAY.

pour la circonstance : le pavé cristallisé est une nouveauté de cette année. On tombait à chaque tournant de rue, n’importe, on sortait ; on ne pouvait marcher, n’importe, on courait, ou l’on patinait avec audace. On traversait le boulevard sur des sentiers de glissades que des enfants avaient pratiquées en jouant, et c’était à qui obtiendrait la faveur de parcourir ce chemin périlleux : il avait autant de concurrents que les chemins les plus fréquentés, que celui de la fortune et de la gloire. La condition des voyageurs était plus humble seulement. Parmi les artistes en patinage qui, après avoir guetté leur tour impatiemment, s’élançaient enfin sur la glace, nous avons remarqué un patineur en livrée qui tenait une lettre à la main ; il glissait avec beaucoup de grâce, en prenant des poses académiques ; pour se maintenir en équilibre, il élevait dans les airs cette pauvre lettre tout étonnée de prendre une part si active à ces jeux. Peut-être était-ce quelque billet mystérieux bien passionnément attendu, peut-être ce moment de retard a-t-il causé de grands chagrins… Ce billet nous a fait rêver longtemps. Défiez-vous, aux jours de verglas, des messagers qui patinent.

Le dégel est venu dès que les chevaux ont été ferrés à glace ; et c’est alors que le mouvement qui a régné dans Paris est devenu un spectacle véritablement fantastique ; jamais peut-être on n’avait vu, au premier jour de l’an, une agitation semblable. Toute chose était devenue étrenne. Les boutiques étaient remplies de monde, non-seulement les boutiques de marchands de joujoux, de confiseurs, mais encore les magasins de lingères, de bonnetiers, de quincailliers ; les bouquetières surtout ont vendu des charretées de fleurs ; d’abord, cette année, chaque objet s’était changé en fleurs pour être offert en étrenne : fleurs en sucre, fleurs en porcelaine, guirlandes de fleurs artificielles ; les fleurs naturelles s’étaient elles-mêmes changées en étrennes. De charmantes jardinières en ébène noir cumulaient à elles seules plusieurs espèces de fleurs : fleurs de porcelaine à l’extérieur, fleurs naturelles à l’intérieur. On choisissait un bouquet de fleurs des champs chez un confiseur : les coquelicots étaient des bonbons à la cerise, les épis étaient de sucre d’orge. Ainsi un enfant bien sage aurait pu