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LETTRES PARISIENNES (1838).

manger du blé avec du pain, car on sait que la sagesse des enfants consiste à manger du pain avec toute chose. Cette année, outre les fleurs, on s’est donné beaucoup de fourrures. C’est un charmant contraste, n’est-ce pas ? Il y avait rivalité entre le printemps et l’hiver.

L’arche de Noé était le joujou par excellence ; l’idée est ingénieuse, et sert de prétexte à une belle collection d’animaux ; le moindre baquet navigable est pour cette arche en miniature un océan universel, mais gare aux imitations du déluge ! Ce qui nous plaît dans ces beaux magasins, ce sont les agréables discours des marchands ; il y a des définitions de joujoux qui sont merveilleuses de naïveté : « Quel est ce gros masque de carton, affreuse tête de charretier ivre, face rouge à lunettes vertes ? — C’est un masque pour jouer à colin-maillard ; c’est fort commode, voyez-vous, monsieur, parce que cela change tout à fait la physionomie de l’enfant. » Il n’y a pas le moindre doute. Le commis marchand répond cela d’un air très-sérieux. Un autre vous montre une coquille montée sur un pied de bronze, en disant : « Ceci, monsieur, est un baguier, mais une dame pieuse peut au besoin en faire un bénitier. » Choisissez donc entre vos parures et vos prières. L’un, pour vous entraîner, vous dit : « Ceci est fort goûté, nous en vendons beaucoup. — Si tout le monde en veut, dites-vous, c’est déjà commun, et je n’en veux pas. » Mais un autre s’avance et, réparant l’erreur de son camarade, il ajoute : « C’est tout nouveau, nous n’en avons pas encore vendu. » Ce qui n’est pas précisément la même chose.

Nous admirons la patience de ces jeunes hommes bien nourris, bien portants, au maintien orgueilleux, au regard imposant, parés de noirs cheveux et de moustaches menaçantes, qui passent des journées entières à faire courir une petite voiture de porteur d’eau, à faire valoir un polichinelle, à faire tourner la manivelle d’un moulin, à ployer et à déployer le petit trousseau d’une poupée, à démonter et à remonter toutes les pièces d’un ménage ou d’un théâtre. Quel singulier métier pour des hommes, et qu’ils doivent rire entre eux le soir de toutes ces bêtises que leur état les entraîne à dire dans la matinée ; et cela s’appelle un devoir, et l’on est