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LETTRES PARISIENNES (1838).

ques-uns ! On n’a tout le monde que lorsqu’on n’a personne. Ah ! monsieur Guizot, croyez-en le plus obscur de vos admirateurs, en politique on est bien fort quand on est seul. Vous avez commis une grande faute : vous étiez le chef, vous vous êtes fait meneur ; vous aviez une école, vous en avez fait une coterie.

Mais de quoi nous mêlons-nous, de venir donner des avis à de si graves personnages ? Est-ce donc cela qu’on attend de nous ? devons-nous traiter de pareils sujets ? Non ; mais s’il nous est défendu d’attaquer les illustres parleurs de la Chambre, nous avons bien le droit de critiquer le puissant auxiliaire de leur improvisation, la lyre qui leur donne l’inspiration, le confident de leur faiblesse, le consolateur de leur disgrâce ; en un mot, le verre d’eau sucrée ! Nous serons pour lui sans pitié, nous l’attaquerons avec violence. Quoi ! ce personnage important, qui joue un si grand rôle dans nos débats parlementaires, le verre d’eau sucrée, ne trouve pas moyen d’être plus décent ! Quoi ! méchant verre d’eau, tu n’es même pas de cristal, et tu oses te présenter en public dans cet état pitoyable, devant la France entière qui t’écoute et l’Europe qui te contemple ! Un verre de quatre sous sur une assiette blanche fêlée !… Porcelaines de notre beau pays, révoltez-vous ! Sèvres, indigne-toi ! et vous, plateaux de Chine, plateaux d’argent et de plaqué, faites valoir vos droits ; mines du Creusot, faites briller vos pointes de diamant, renversez du trône parlementaire ce verre de quatre sous où viennent s’abreuver tous les patriotismes qui bredouillent, toutes les voix indépendantes qui s’enrouent pour la défense de nos lois. Un verre de quatre sous sur une assiette blanche ! voilà donc quel est ce fameux verre d’eau sucrée si vanté-dans les fastes de l’éloquence ! Comment se fait-il qu’on néglige une partie si importante du discours ? À la tribune, mon Dieu ! on peut se passer de bien des choses sans doute, on peut se passer de talent et d’esprit, on peut se passer de conviction, on peut se passer d’idées, on peut même se passer de mémoire et répéter toujours les mêmes choses ; mais on ne peut pas se passer d’eau sucrée. Nous appelons l’attention de messieurs les questeurs sur l’amélioration que nous réclamons au nom des députés représentants de la France ;