Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
353
LETTRES PARISIENNES (1838).

dames, au jour du jeudi saint, s’humilient de la sorte en lavant les pieds poudreux des pauvres filles. Cela est fort édifiant. Mais comme il faut être grande dame pour avoir le droit de s’humilier ainsi, il en résulte qu’on attache à cet acte d’abnégation une très-grande vanité, et nous nous rappelons encore en souriant que les filles de M. de C…, qui étaient alors deux enfants et qui sont aujourd’hui deux femmes belles et spirituelles, vinrent à cette cérémonie toutes joyeuses et toutes fières, parce que, en leur qualité de filles d’ambassadeur, elles avaient obtenu l’honneur insigne d’aller, avec la princesse Doria et les autres princesses romaines, laver les pieds des pèlerines au Vatican.

Parmi les célébrités politiques qui ornaient le bal de vendredi dernier, on remarquait le président du conseil du 22 février, causant très-coquettement à l’ombre des gobéas avec le président du 15 avril. Et cette conversation, probablement très-agréable à entendre, était assez triste à regarder. Quoi ! monsieur Thiers, vous avez renversé à force d’injures un ministère qui n’avait que le tort de durer ; vous avez dit pendant trois mois à un homme d’honneur qu’il trahissait son pays, qu’il manquait de dignité, qu’il faisait de la corruption un système ; vous l’avez abreuvé des injures les plus amères, vous l’avez criblé des traits les plus perçants ; et vous venez aujourd’hui, à la face de toute la société, devant tous ces étrangers qui ont frémi de vos combats, vous venez minauder, ricaner et coqueter politiquement auprès de lui, auprès de ce ministre vaincu par ms intrigues !

Mais vous ne savez donc point les malheurs qui sont résultés de vos luttes ? Vous avez donc oublié les quarante faillites qui ont perdu tant de pauvres gens ? Vous avez donc oublié cet échantillon de guerre civile qu’on nous a offert il y a quinze jours ? Ces hommes ruinés par vos colères ne vous ont donc rien enseigné ? ce sang versé pour vos caprices ne vous a donc point répondu ? Vous êtes léger, cela dit tout ; et parce que vous êtes léger, il faut que la France soit bouleversée. Vous jetez par terre trône et ministère ; vous paralysez toutes les affaires du pays ; l’agriculture languit, l’industrie étrangle, l’intelligence étouffe ; tout est suspendu, tout est en souffrance ;