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LETTRES PARISIENNES (1839).

femme d’un âge, d’un air respectable, cousant sérieusement une veste de singe, c’était fort plaisant.

Il fallait encore six chapeaux. Quelle couleur choisira-t-on ? Bleu ? rose ? « Je voudrais un chapeau fou ! » s’écria miss Cecilia. D’abord nous avons peine à comprendre que fou veut dire feu. Ce projet nous saisit d’épouvante ; les six chapeaux devant être pareils, c’était affreux ! Un chapeau feu, c’est une fantaisie assez agréable, mais six chapeaux feu dans la même famille, c’est un incendie. On se décida pour le blanc, c’est plus calme. Madame Golberg, célèbre par l’invention des capotes ouatées, fut choisie pour cette commande. Ses chapeaux en chenilles croisées, en velours frangés, sont trouvés charmants. On se hâte d’arriver à la Péruvienne, boulevard des Italiens, pour choisir des mantelets. Les plus distingués sont en cachemire blanc doublé de satin cerise, garni d’effilés ; la belle tante en choisit un pour elle. Pour les jeunes filles, on les prend noirs doublés de bleu. Là, de délicieuses coiffures séduisent la mère. Ce sont des demi-bonnets ornés d’une couronne de fleurs. Coquette ruse, ingénieux moyen de prolonger sans remords la jeunesse dans la parure, de porter encore des guirlandes de fleurs dans l’âge des souvenirs ; et l’on a raison, car cela sied très-bien. Les couleurs hasardées ne sont permises qu’à de très-jeunes visages. À soixante ans, portez du rose, c’est le reflet qui sied le mieux ; mais portez-le en femme raisonnable, avec des robes montantes et sur des bonnets maternels.

Nous avons fait encore bien d’autres courses dont nous vous parlerons plus tard ; il faut d’abord vous dire que pour satisfaire la curiosité de nos belles insulaires, nous les avons menées au Théâtre-Français. Mademoiselle Mars ne jouait ce soir-là que dans une pièce, ce dont nos jeunes Anglaises se plaignaient amèrement. « Mistress Blackway, ma cousine, disait miss Lucy, n’est restée que six jours à Paris l’année dernière, et elle a vu mademoiselle Mars dans deux pièces le même soir. Tels étaient leurs regrets ; mais quel fut leur étonnement : mademoiselle Mars jouait le rôle de la duchesse dans les Dehors trompeurs. Dans ce rôle, la grande actrice se métamorphose ; ce n’est plus cette héroïne de roman, douce et passionnée, cette femme aux émotions contraintes, qui sait mourir de cha-