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LE VICOMTE DE LAUNAY.

nous ? — À voter pour vous ! — Mon cher, vous êtes un sorcier. Qu’avez-vous fait pour le séduire ? — Je l’ai pris par les sentiments. — Je ne vous comprends pas. — Ah ! tu n’as pas d’enfants ! Le gros bonhomme a deux filles à marier. — J’entends. — Je connais la Chambre comme ma chambre. Je possède un peu bien ma statistique parlementaire. Je sais ceux qui ont des filles à établir, ceux qui ont des fils à placer, ceux qui ont des frères incapables sur les bras, ceux qui ont des intérêts de cœur dans les théâtres royaux, ceux qui ont des secrets à cacher, ceux qui ont des manufactures à soutenir, ceux qui ont des forges, ceux qui ont des sucres, ceux qui ont des rentes, et ceux enfin qui ont des dettes. Eh ! je dis avec le proverbe : Qui paye leurs dettes s’enrichit. — Et moi je dis, en parodiant le mot de Louis XI, que, dans le siècle où nous vivons, payer, c’est régner. »

La dernière semaine de carnaval a été tellement animée, que la population parisienne n’a pas encore repris sérieusement ses travaux. Jamais, peut-être, on n’avait tant sauté à Paris. Il y avait plus de deux cents bals par soirée. Il y avait quelquefois jusqu’à trois bals dans la même maison. Les pâtissiers se trompaient d’étage : les gâteaux destinés au premier montaient au second, et ceux du troisième se laissaient manger à l’entre-sol. Et c’était dans l’escalier un tapage épouvantable chaque fois que les portes s’ouvraient : le bruit des trois orchestres se mêlait, alors cette triple mélodie se fondait en un seul et magnifique charivari.

Le grand bal costumé donné par M. Thorn, dont nous vous avons parlé l’autre jour, était superbe ; la beauté, la splendeur de cette fête ont servi d’excuse à tous les empressements.

Le divertissement que l’on avait composé pour donner plus de piquant aux costumes a été fort bien exécuté ; mais laissons parler un des assistants, anonyme à nom illustre, qui veut bien nous communiquer les détails suivants :

« Dix heures sonnaient, la foule brillante et parée se pressait curieuse et inquiète. On regardait, on admirait, mais on semblait attendre encore quelque chose de mieux. Cependant arrivaient de belles Napolitaines (costume connu, mais toujours joli et convenable), des Espagnoles (costume charmant, mais bien