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LE VICOMTE DE LAUNAY.

matiquement sa fille pour obtenir un vent, c’est-à-dire un vote favorable. Étrange susceptibilité que la vôtre ! Vous voulez que l’on tue, mais avec un poignard, non avec un couteau. Ah ! ce n’est pas l’assassinat qui vous révolte, c’est l’instrument ; l’espion en frac vous semble odieux, l’espion en manteau vous paraît sublime. Vous voulez que l’on vous serve de la poésie ? Soit, ce n’est pas nous qui nous opposerons à ce désir ; mais alors, permettez que l’on invente une mythologie nouvelle, ou bien résignez-vous à la vérité.


LETTRE DIXIÈME.

La vocation. — Le menuisier grand seigneur. — Le grand seigneur galérien. — Les grandes dames nées actrices, — nées portières, — nées courtisanes, — nées dames du palais, — nées gardes-malades, — nées sergents de ville, — nées majors allemands, — nées bergères, — nées soubrettes. — Les femmes de chambre nées princesses. — Les filles du peuple nées petites maîtresses. — Les actrices nées grandes dames, — Les hommes nés moines, — nés troubadours, — nés chevaliers, — nés bouffons. — Les grands seigneurs nés grands seigneurs et les duchesses nées duchesses.
28 mars 1840.

L’autre jour, nous étions à la Chambre des députés. Au moment où la séance allait commencer, la porte de notre tribune s’ouvrit et une jeune femme vint se placer près de nous. C’était mademoiselle Rachel. — Aussitôt, tous les yeux et toutes les lorgnettes (car messieurs les députés ont presque tous à la Chambre leurs lorgnettes de spectacle) se tournèrent de son côté, et toutes les personnes de sa connaissance la saluèrent avec le plus gracieux empressement. Quelques jours auparavant, la jeune tragédienne était allée à un grand bal chez la femme d’un ministre du 12 mai, et là, personne ne s’était étonné de la voir si exceptionnellement accueillie ; pas une mère ne s’était formalisée de ce que l’on donnât à sa fille pour vis-à-vis dans une contredanse une actrice de la Comédie française.

Ces grands égards que témoigne pour mademoiselle Rachel le monde parisien, ordinairement si plein de préjugés et de petites idées, sont-ils accordés seulement à son talent, qui est bien fait pour les mériter ? Nous ne le pensons pas. D’autres femmes artistes ont eu, comme elle, un beau et noble talent,