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LETTRES PARISIENNES (1837).

notre voiture, continua la jeune femme, comme nous passions sur le pont des Arts. — Le pont des Arts ! s’écria la baronne. — Le pont Louis XVI, » interrompit la mère avec une présence d’esprit admirable ; puis elle improvisa une superbe aventure. On calma la baronne, et la conversation continua. « Vous avez là un bien beau châle, ma chère Valentine, » dit madame de ***. La jeune femme ne comptait rien répondre ; sa mère lui lança un coup d’œil terrifiant. Valentine s’inspire. « J’avais un autre châle bien plus beau, dit-elle, mais on me l’a volé hier. — Vraiment ! s’écria la baronne, qui ne cessait de s’écrier ; mais il faut absolument le retrouver ! Le préfet de police est mon ami, et je vais lui écrire à l’instant… — Oh ! ce n’est pas la peine, madame, dit Valentine. — Comment ! ce n’est pas la peine ? s’écria toujours la baronne. Mais je vous trouve bien insouciante ; un châle de ce prix-là ! — Ma fille veut dire, interrompit la mère (car la mère interrompait toujours aussi), que mon gendre a déjà fait toutes les démarches nécessaires. » On parla d’autre chose, Valentine retomba dans ses rêveries. « Vraiment, disait sa mère, le monde devient bien insignifiant. Cette institution de clubs a désorganisé la société ; plus de conversation, plus d’esprit ; les hommes passent leur matinée à jouer, à fumer, et leur nuit à boire. Je plains les jeunes femmes de ce temps-ci ; le monde n’a jamais été plus ennuyeux. — Valentine n’est pas de votre avis, je gage, reprit la baronne ; je ne crois pas qu’elle ait rien à reprocher aux clubs. » Valentine n’avait pas écouté, elle ne disait rien. « Valentine, dit sa mère avec aigreur, répondez donc, madame vous parle. — Mais elle ne sait peut-être pas ce que c’est qu’un club, reprit gracieusement la baronne, tâchant d’adoucir la mère en courroux ; je crois qu’elle n’a rien à redouter des fureurs du jeu. » Valentine leva les yeux sur sa mère, et, la voyant si mécontente, elle sentit qu’il fallait parler. « Moi, madame ? dit-elle ; si vraiment, j’ai souvent entendu parler du Jockey’s-Club ; on nous contait encore tout à l’heure une querelle qui avait eu lieu hier à ce club, et qui pouvait avoir des suites fâcheuses. — Une querelle de jeu ? demanda la baronne dans la plus vive inquiétude. — Oui, madame. On ne vous a pas dit le nom des joueurs ? — M. de H…, je crois. » À ce nom, la mère