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LETTRES PARISIENNES (1837).

ferveur de novice, c’est plutôt ardeur de pénitent, et cela vaut mieux, c’est plus durable. Cette sainte métamorphose étant due aux Paroles d’un croyant, déjà le héros du nouveau roman de George Sand est un vénérable curé, comme autrefois celui de Valentine fut un chanteur, celui de Fiamma un avocat, celui de Lélia un poète. Vous le voyez, chacun de ces livres admirables porte l’empreinte de l’affection qui l’inspira ; et la pensée de George Sand, qui se montre tour à tour froide et désenchantée avec les héros des salons, gracieuse, fraîche, riante avec le chanteur des ruisseaux et des bruyères, poétique avec le poète, républicaine avec l’avocat, apparaît aujourd’hui morale et religieuse avec le prêtre politique. Ce qui faisait dire l’autre jour à un mauvais plaisant : « C’est surtout à propos des ouvrages des femmes que l’on peut s’écrier avec M. de Buffon : Le style est l’homme. »

Mais, pour ne point finir par cette folle plaisanterie, nous citerons la fin de la troisième lettre à Marcie, jeune fille un peu saint-simonienne, que George Sand cherche à détourner de ses ambitions masculines :

« Adieu ! attendez la manifestation de la volonté divine. Il est une puissance invisible qui veille sur nous tous, et, quand même nous serions oubliés, il y a un état de délaissement préférable aux rigueurs de la destinée. Il y a une abnégation meilleure que l’agitation vaine et les passions aveugles. Vous êtes au sein des mers orageuses comme une barque engravée. Les vents soufflent, l’onde écume, les oiseaux des tempêtes rasent d’un vol inquiet votre voile immobile : tout éprouve la souffrance, le péril, la fatigue ; mais tout ce qui souffre participe à la vie, et ce banc de sable qui nous retient, c’est le calme plat, c’est l’inaction, image du néant. Mieux vaudrait, dites-vous, s’élancer dans l’orage, fût-ce pour y périr en peu d’instants, que de rester spectateur inerte et désolé de cette lutte où le reste de la création s’intéresse. Je comprends bien et j’excuse ces moments d’angoisses où vous appelez de vos vœux l’heure de la destruction, qui seule consommera votre délivrance. Cependant, si les flots pouvaient parler et vous dire sur quels graviers impurs, sur quels immondes goémons ils sont condamnés à se rouler sans cesse ; si les oiseaux des tem-