Page:Œuvres de Schiller, Poésies, 1859.djvu/241

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LES GRUES D’IBYCUS[1].


Ibycus se rendait à la lutte des chars et des chants, qui, sur l’isthme de Corinthe, rassemble joyeusement les peuples de la Grèce : Ibycus, l’ami des dieux, à qui Apollon accorda le don du chant, une voix aux accents mélodieux. S’appuyant sur son léger bâton, il s’éloigne de Rhégium, plein du dieu qui l’inspire.

Déjà, sur le dos élevé de la montagne, l’Acrocorinthe attire les yeux de notre voyageur, et il pénètre avec une horreur pieuse dans la forêt de pins de Neptune. Rien ne se meut autour de lui ; il n’est accompagné que d’essaims de grues qui, formées en escadron grisâtre, vont chercher au loin les chaleurs du Midi.

« Salut, troupes amies, qui m’escortiez sur mer ! Je vous prends pour un heureux présage. Mon sort ressemble au vôtre. Nous venons de loin, vous et moi, et nous cherchons un toit hospitalier… Que le Dieu de l’hospitalité nous soit propice, lui qui écarte l’outrage de l’étranger ! »

Il presse gaiement le pas, et bientôt se voit au milieu de la forêt. Tout à coup, dans l’étroit sentier, deux assassins lui barrent le passage. Il faut qu’il s’apprête au combat, mais bientôt sa main retombe épuisée. Elle a tendu les cordes légères de la lyre, mais jamais l’arc puissant.

Il invoque et les hommes et les dieux : nul sauveur n’entend sa prière ; aussi loin qu’il lance sa voix, pas un être vivant ne

  1. Cette ballade est aussi de 1797. Elle parut, comme la précédente, dans l’Almanach des Muses de 1798.