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Page:Œuvres de Schiller, Poésies, 1859.djvu/242

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POÉSIES DÉTACHÉES.

se montre : « Il me faut donc mourir ici, délaissé, sur la terre étrangère, où nul ne me pleurera ! périr de la main de ces misérables, sans même voir paraître un vengeur. »

Atteint d’un coup mortel, il tombe. À ce moment retentissent les ailes des grues. Il entend, car déjà il ne peut plus voir, il entend près de lui leurs voix rauques pousser un cri terrible : « O grues qui volez là-haut, si nulle autre voix ne parle, vous du moins, dénoncez le meurtre ! » Tel est son dernier cri, et son œil s’éteint.

On trouve le cadavre dépouillé, et bientôt, malgré les plaies qui le défigurent, son hôte, à Corinthe, reconnaît les traits qui lui sont chers : « Est-ce ainsi que je devais te retrouver ? Et pourtant j’espérais ceindre de la couronne de pin les tempes du chanteur, brillant moi-même d’un rayon de sa gloire. »

Tous les étrangers réunis pour la fête de Neptune gémissent en apprenant cette nouvelle ; la Grèce entière est saisie de douleur : tous les cœurs ont ressenti sa perte, et le peuple afflue en tumulte chez le Prytane ; sa fureur exige qu’on venge les mânes de la victime, qu’on les apaise avec le sang du meurtrier.

Mais où est la trace qui, dans ces flots pressés, dans la foule des peuples attirés par l’éclat des jeux, fera reconnaître l’auteur d’un si noir forfait ? Sont-ce des brigands qui lâchement l’ont assassiné ? Est-ce un ennemi secret poussé par l’envie ? Hélios seul peut le dire, lui qui éclaire toute chose terrestre.

Peut-être, en ce moment même, marche-t-il effrontément au milieu des Grecs, et, tandis que la Vengeance le cherche, jouit-il du fruit de son crime. Peut-être, sur le seuil même de leur temple, brave-t-il les dieux, ou se mêle-t-il hardiment à ces vagues humaines, là-bas, qui se pressent vers le théâtre.

Car déjà, serrés banc contre banc (les étais de l’amphithéâtre rompent presque sous le poids), les peuples de la Grèce, accourus de près et de loin, sont assis et attendent. Résonnant sour-